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Petites chroniques d'été

 

Présentation de l'auteur
Chronique des géraniums en fleurs (1)
Chronique des géraniums en fleurs (2)
Dernière chronique des géraniums
Petite chronique d'un soir d'été sur un balcon au printemps
Petite chronique d'avant l'été
Petite chronique d'été (1)
Petite chronique d'été (2)
Petite chronique d'été (3)
Petite chronique de l'été 2000
Petite chronique de l'été qui revient, de l'écriture, des montagnes et des anges
Dissolution


Petite chronique de l'été 2000

On n’attendra quand même pas l’automne pour lire " L’été 80 " de M.D. On lira " L’été 80 " ce matin. Il y a dix chroniques à lire, chaque chronique n’est qu’un seul paragraphe, ça fait dix paragraphes en tout. On s’installera sur une terrasse et l’on connaîtra tout de l’été 80 de M.D. tel qu’elle l’a décrit chaque semaine, à dix reprises, pour " Libération ". On verra qu’elle y parle de Gdansk et de la grève des chantiers navals, de la Pologne, des J.O. à Moscou, de Brejnev et de Ratekétaboum, le requin, de l’enfant aux yeux gris de la colonie de vacances qui écoute la jeune monitrice raconter l’histoire de Ratekétaboum, et de la jeune monitrice qui donne rendez-vous à l’enfant ici même, douze ans plus tard le 30 juillet à minuit, à Trouville où M.D. écrit. Et puis du temps qu’il fait, de la plage, de la mer, des pétroliers et des falaises d’Antifer, voilà, et ce n’est pas tout ;-) Et le plaisir à lire cela sera immense. Ensuite, on écrira, on parlera de l’été 2000, pas pour faire comme M.D., mais pour parler de l’été comme on a parlé du printemps, comme aussi déjà de l’été un peu, comme on parlera de l’automne, de l’hiver, et du printemps à nouveau encore. L’été 80 était pourri. L’été 2000 est pourri aussi, est pourri en partie. Les étés ne sont jamais pourris qu’en partie. Certains sont plus pourris que d’autres, d’autres ressemblent davantage à l’été, l’été 2000 est un mélange. Aujourd’hui, il fait beau. Et c’est ainsi qu’on s’abandonne, sur une terrasse du centre ville, en plein après-midi, aux torpeurs douces d’une quasi-canicule ; quand il fait beau, c’est quand même plus pratique et bien plus confortable : les terrasses accueillent nos désœuvrements, nos nonchalances, on se sentirait presque heureux. On tombe sous le charme d’une jeune femme qui passe, on se prend à rêver la séduire, on cherche les mots qui séduisent et charment, quand on les trouve, la jeune femme est passée. Reste à errer à sa recherche, de rue en rue et de rue en ruelle, de places écrasées d’ombre en places écrasées de lumière, la ville, l’été, c’est l’alternance des lumières vives et des ombres profondes. Jusqu’à l’éblouissement. Jusqu’à l’aveuglement. En trottinette, ce n’est pas sans risque. La trottinette, c’est la nouvelle mode cette année. L’été 2000, c’est aussi ça : les trottinettes qui déboulent. Elles sont plus belles que jamais, leur nouveau look leur a ôté tout caractère enfantin. C’est fun, ça roule, ça glisse. Quand le macadam est bien lisse, ça glisse à n’en plus finir. L’ivresse de la vitesse, c’est en trottinette, désormais. Le bonheur est urbain, sa poursuite surtout ;-) Et c’est le soir qu’il fait bon rouler sur les chemins dans les hauts de la ville, peut-être que l’on croisera cette jeune voisine qui tous les soirs promène son gros chien jaune. Peut-être que la trottinette l’intéressera davantage que la noétique dont on l’entretenait une récente fois, et même qu’elle voudra l’essayer, la trottinette, ou qu’elle en aura une et qu’elle acceptera qu’on l’accompagne et que tout cela finisse, sur une terrasse, à boire un pot ensemble. C’est alors que la nuit sera belle, à dix heures et demie du soir sous un ciel illimité absolument sans nuages et plein d’étoiles et merveilleusement noir profond, c’est alors que la nuit sera douce. Un autre soir, on cherchera cette douceur du côté du lac, du côté des quais, avec elle, on espère. On aime entrer dans la ville la nuit par la route du lac. Cette entrée dans la ville au bord du lac l’été rappelle les toutes premières images de " Chaminou et le Khrompire ", bande dessinée de Raymond Macherot et Olivier Saive dont le premier épisode parut le jeudi 19 mars 1964 dans le " Journal de Spirou ". On se souvient de ce soir-là quand on les lut, ces premières images, c’était à la fin de l’hiver, on n’aspirait qu’à l’été et c’étaient des images d’une chaude nuit d’été. La première commence avec une phrase splendide : " …à dix heures, j’étais à La Siesta !… devant moi s’étendait la plus belle ville du monde, un paradis sur terre… et pourtant c’est là que le cauchemar allait commencer !… " Pourquoi on trouve cette phrase splendide ? Parce qu’elle ouvre sur un univers, un monde merveilleux, et sur l’inconnu, l’aventure. Et puis ici, cette ville d’ici, ce paysage que l’on connaît trop, devient la ville de La Siesta, la plus belle du monde, et l’on se prend à rêver un roman dont on devient le personnage, le héros, comme Chaminou le chat est le héros de " Chaminou et le Khrompire ", une variété de chat détective qui arrive à La Siesta au volant d’une décapotable, si l’on se souvient bien. Et l’on est ce héros qui arrive, un personnage que l’on s’invente. Et l’on commence d’écrire le livre, le film où ça se passera. On ne sait d’abord pas ce qu’il vient faire ici, ce personnage. Ou ce qu’il cherche. Ou ce qu’il fuit. On sait qu’il suit la route du bord du lac, qu’il longe les quais. Il y a quelque chose de fascinant à s’imaginer qu’on entre dans une ville inconnue sans savoir ce qui va arriver, sans savoir où l’on va aller. Puis que l’on cherche un hôtel. Que l’on s’arrête pour demander à une jeune femme si elle connaît un hôtel pas très loin. Que la jeune femme répond qu’il y en a un plus loin, pas loin, où ça ? là-bas… Et qu’on lui propose de monter dans la décapotable. Et qu’elle ne monte pas. Puis l’on se dit que ça devient banal, cette histoire, trop convenu, que ça finira au piano-bar de l’hôtel avec la jeune femme retrouvée plus loin. On aime pourtant les pianos-bars. On se souvient avec nostalgie de celui du Central Sporthotel à Davos en 1991, du petit chien blanc du pianiste couché sous le piano sagement, il pleuvait, il avait fait un vrai temps de cochon, et froid, toute la semaine, heureusement qu’il y avait là le piano-bar, le soir, on n’aurait su où aller d’autre, et ça faisait une jolie note pour finir, les cuba libre, bloody mary, les tequila sunrise, tout ça. Alors on abandonne la fiction pour regagner the real life, la non-fiction de ce beau soir d’été avec celle que l’on aime, que l’on poursuit, en trottinette, elle va si vite, elle a pris tant d’assurance, et la nuit est si belle, et la ville la nuit est si belle, La Siesta. On la rejoint, celle que l’on aime. ça finira quand même au piano-bar de l’hôtel plus loin. Où se trouve véritablement La Siesta ? On ne sait plus. Peut-être en Italie sur la côte ligure entre Savone et Ventimiglia où les noms des cités balnéaires font rêver, peut-être en Amérique du Sud, en Espagne ou simplement ici ? Surtout nulle part, forcément. Mais ce n’est pas que ça, l’été 2000 : l’été des quais, des bords du lac, des trottinettes. On peut écrire un autre récit, celui d’une petite fille qui passe l’été en ville, qui ne part pas en vacances à la campagne, à la montagne, à la mer. Bien sûr, elle préférerait la mer et toutes ses étendues de sables, illimitées. Mais elle reste dans sa chambre avec ses peluches et leur parle. Elle leur raconte des histoires. Quand il fait beau, elle les sort dans la cour. Elle leur invente d’autres histoires, elle les conduit jusqu’à la mer en imagination. Elle y emmène son Pikachu, c’est l’un de ses préférés, car c’est l’été de Pikachu, des Pokemon, cet été-ci. Elle l’emporte en trottinette sur une autoroute de soleil. Elle ne lit pas les journaux. Qu’il y a-t-il dans les journaux ? Les nouvelles de l’été, elle ne les connaît pas, même la télévision, elle ne regarde pas, jamais les nouvelles, seulement les histoires d’animaux. Quant aux nouvelles de cet été 2000, quelles sont celles que l’on retiendra… Qu’a-t-on retenu de l’été 80, il y a vingt ans ? Heureusement qu’aujourd’hui on lit Marguerite Duras.

© jean-pierre.cousin@bluewin.ch
août 2000

 

Page créée le 01.08.01
Dernière mise à jour le 01.08.01

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