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Chronique de décembre

Et c’est milieu décembre, seulement quatre heures de l’après-midi, et le soleil est déjà couché, il fait froid, il fait nuit, et vous suivez des rues entre des palissades, des chantiers, des terrains vagues, des immeubles en démolition, vous suivez des rues vers nulle part très loin des enseignes lumineuses, des néons prétendus joyeux qui annoncent prétentieusement Noël, vous suivez des rues qui s’éloignent dans la nuit, se perdent dans la brume, le brouillard, le froid. Il ne neige même pas, ce n’est même pas vraiment l’hiver, il y a eu seulement ce ciel tout le jour plombé, ce ciel plombé typique de la saison d’hiver, l’hiver n’a pas encore commencé, c’est seulement l’extrême automne et un total inconfort. Vous vous dites : rien d’intéressant n’aura lieu aujourd’hui. Et vous vous enfoncez dans votre solitude.

Tout le jour vous avez traîné, d’abord dans cette banlieue grise où vous habitez d’habitude, dans l’ennui gris du jour, l’ennui blanc. Vous êtes entré dans un bar, un bar à café sans alcool au rez-de-chaussée d’une villa blanche dans un endroit désert presque totalement inhabité. Vous avez bu un coca. Une jeune fille que vous connaissez était là. Vous avez bu ce coca près d’elle. Elle aussi a bu un coca. Elle vous a dit : " Je vais me marier bientôt… " Lorsqu’elle s’est en allée, vous l’avez embrassée. Vos lèvres se sont croisées, touchées presque ? Vos lèvres ont dérapé, juste un peu, un tout petit peu ? Vous l’aimez, vous pensez, peut-être qu’elle vous aime aussi. Elle s’est si vite enfuie… comment savoir… Vous avez fini votre boisson. Vous êtes reparti, seul. C’était un jour entier d’errance et de désœuvrement. Un après-midi de décembre ordinaire.

Puis, vous arrivez en ville. La nuit vient de tomber. Il n’est pourtant encore que quatre heures. Et vous entrez dans une église. Un mariage a lieu là. Il fait chaud et vous vous asseyez. Vous écoutez. L’orgue joue quelque chose que vous reconnaissez comme un prélude de Bach, Präludium en C dur, Ave Maria, quelque chose comme ça, vous saviez même le jouer un peu, vous croyez. Vous écoutez : l’ " Éloge de l’Amour " est lu (Première épître aux Corinthiens, chapitre 13) ; les " Béatitudes " sont lues ; le prêtre parle et développe le thème du bonheur. Vous vous dites : " Le bonheur, c’est quoi ? " ça : l’amour. La mariée est plus belle qu’un rêve.

Vous aviez vu ce film en décembre l’autre année : " Just married… ou presque " avec Julia Roberts qui, chaque fois avant le " oui " fatidique, prend ses jambes à son cou. D’y songer, ça vous fait travailler les idées. La mariée est toujours plus belle. Elle ressemble à la jeune fille avec laquelle vous avez bu un coca cet après-midi. Ce n’est pas elle, elle y ressemble un peu, vous imaginez que c’est elle. Vous vous dites : c’est l’instant. Elle vous aime, elle vous l’a montré tout à l’heure, elle attend que vous entriez en scène, c’est le dernier moment, avant le " oui " ; pour elle et vous : la dernière chance. Derrière l’église, deux chevaux attendent, son étalon fringuant et votre vieille jument. La mariée est encore plus belle, vous ne pouvez plus voir qu’elle, une totale bouffée d’amour vous emporte, c’est elle la femme de votre avenir. Jusqu’à elle, vous allez marcher, elle saisira votre main et vous l’entraînerez par la petite porte derrière le chœur, celle qui donne dans la cour où attendent les chevaux. Dans un film : une très belle scène, vous pensez. Mais vous n’êtes jamais monté sur un cheval. Sauf une fois, en Camargue, c’était il y a trop longtemps. La mariée est plus belle que tout, mais vous quittez ce rêve. Vous sortez. Dehors, il fait toujours aussi froid et nuit.

© jean-pierre.cousin@bluewin.ch
décembre 2000

 

Page créée le 01.08.01
Dernière mise à jour le 01.08.01

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