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Petite chronique des dangers de l'amour

 

Présentation de l'auteur
Petite chronique des dangers de l'amour (1)
Petite chronique des dangers de l'amour (2)
Petite chronique d'India Song (1)
Petite chronique d'India Song (2)
Petite chronique d'India Song (3)
Petite chronique d'India Song (4)

Petite chronique d' " India Song " (2)

Le premier plan d’ " India Song " est tout simplement splendide. Il faut dire comment il a été tourné. M.D. était très forte pour prédire le temps. Elle a dit à Bruno Nuytten, le directeur de la photographie, qui le raconte dans les " Cahiers du cinéma " (no 501 d’octobre 1996, p. 40).

" Tiens, on va aller filmer un coucher de soleil ! "

Le ciel était sans soleil.

" Tu as combien de minutes dans ta caméra ?
— Dix minutes
— Eh bien, tu tournes. "

Nuytten a mis la caméra en route. Le ciel était toujours sans soleil. Puis le soleil est arrivé, il y a eu le soleil qui tombait, descendait lentement devant un voile de nuages. ça durait. Puis on a entendu le bruit dans la caméra qui disait que le film allait finir, qu’il n’y aurait plus de pellicule. De l’horizon, le soleil était encore loin. Un oiseau passait, qui traversait le ciel, de gauche à droite, même pas voulu, l’oiseau. Et l’horizon était encore très loin. Encore un oiseau a traversé l’image, de droite à gauche et plus haut dans le ciel. Et le soleil a disparu entre deux épaisseurs de nuages. Il n’y a plus eu de pellicule. Le soleil n’a jamais atteint l’horizon. Il a disparu. Avant. C’est tout. Et c’est ainsi, et c’est génial ainsi.

C’est un plan magnifique. Le plus miraculeux de toute l’histoire du cinéma. Même pas voulu, pas voulu entièrement, peut-être, voulu quand même, finalement. Mais qu’en sait-on… on n’en sait rien, on laisse ici aller des mots, on prolonge le film, en soi, ailleurs, on fait un nouveau film, un autre texte…

Voilà ce que l’on a regardé de ce film aujourd’hui, le premier plan, le très long premier plan, trois minutes et cinquante secondes. Rien que ça on a adoré. Sur ce plan a défilé le générique. Et l’on a entendu le chant laotien de la mendiante. Puis une voix a raconté l’histoire de la mendiante. Au premier plan : la campagne verte, collines, prés clairs, bosquets vert foncé, ciel bleu vert. L’image est granuleuse. La lumière a changé en même temps que le soleil est descendu. Puis a commencé sur la fin de ce plan fixe illimité la musique d’" India Song ", au piano, d’une lenteur illimitée aussi. On s’est enfin trouvé dans les images tournées en intérieur, avec les voix, cette douceur des voix toujours égales à elles-mêmes. Encore ça on a adoré, et cette phrase : " Puis il y a eu ce bal… ce bal de S. Tahla. " C’est ça, le début d’" India Song ".

C’était à Paris en été, en juillet. Les repérages avaient commencé le lundi 13 du mois de mai de 1974. C’était à Paris, à Versailles et à Neauphle. Les Indes étaient ici. En France. Comme la musique de Carlos d’Alessio était d’ici, c’est-à-dire d’Amérique du Sud. L’universel est atteint ainsi : quand tombe le soleil qui disparaît derrière un voile dans un autre pays et qu’on l’y suit jusqu’à la fin du monde.

© jean-pierre.cousin@bluewin.ch
me 18/10/2000

 

Page créée le 01.08.01
Dernière mise à jour le 01.08.01

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