retour à la rubrique
retour page d'accueil


Pierre Lepori

  poèmes traduits par Pierre Lepori

 

Gustave Roud - Anne Perrier - Pierre-Louis Matthey - Monique Laederach
Jean-Pierre Schlunegger - José-Flore Tappy - Edmond-Henri Crisinel
Françoise Matthey - Corinna Bille - Claire Genoux

 

  Edmond-Henri Crisinel

 

Alla finestra, lo so, ci sono delle rose, rose rosse del tardo autunno, le più alte del roseto rampicante. Non oso guardarle, sono fiori d’un altro mondo, quello che si ferma al bordo della mia finestra. Mi ricordo di avere amato le rose; questo ricordo mi è odioso. Non poter dimenticare, ecco ciò che mi divora, e queste rose son qui, fiori che si sporgono dal mondo alle porte dell’inferno, solo per ravvivare il fuoco del ricordo! Sopra le rose, vedo alberi e case, alberi e case qualunque; là fuori la vita continua; donne si sporgono alla finestra, bambini giocano nella corte, parte un tram, una campana suona le ore; qui il tempo si è fermato. Il tinnìo secco dell’orologio, al di sopra della mia stanza, altro non è, ormai, che un suono bizzarro, allucinante, di cui ascolto le vibrazioni, nelle mie notti d’insonnia; il sonno, anche lui, si è fermato. Non c’è più tempo né sonno: nient’altro che una spaventosa memoria. Piccoli denti di una selce acuta, le vibrazioni dell’orologio mi fanno male al cervello. Vorrei poterle acchiappare al volo, come si fa con le mosche irritanti, e ridurle al silenzio. Al di sopra degli alberi, c’è il cielo, visibile per zone quadre molto piccole, attraverso le sbarre della mia finestra, sempre ermeticamente sigillata.

La casa dorme, ma non quelli che la abitano. Un grido lungo, d’improvviso, rompe il silenzio, scuotendo i cani di guarda, severi molossi. Altri cani, di lontano, rispondono ad eco. Un passo sordo fa schioccare il legno della scala, una porta si apre, si richiude. Accanto alla mia stanza, una donna si trascina, emettendo sospiri che salgono da un abisso. Si siede. Con orrore spio un rumore secco e cadenzato, sfregamento di un flebile dito sul tavolo. Si direbbe che questa donna si sfinisca a cancellare una macchia, una piccola macchia immaginaria, che le toglie il riposo. Mi par di vederla, questa donna, che dorme, gli occhi aperti. Ogni notte, la scena si ripete, invariabilmente la stessa. “Smetti!” le grido infine. “Per pietà, non mi tormentare in questo modo, oppure domani il giorno si alzerà su un uomo morto, misteriosamente colpito, senza ferita apparente!” Non c’è stata risposta. La casa dorme, ma quelli che la abitano continuano il loro gioco, spinti da una forza acquattata nelle tenebre, davanti a impassibili testimoni.

 

A la fenêtre, je sais qu'il y a des roses, des roses rouges d'arrière-automne, les plus hautes du rosier grimpant. Je n'ose les regarder, elles sont d'un autre monde, celui qui s'arrête au bord de ma fenêtre. Je me souviens d'avoir aimé les roses ; ce souvenir m'est odieux. Ne pas pouvoir oublier, voilà ce qui me dévore, et ces roses ne sont là, fleurs avancées du monde aux portes de l'enfer, que pour aviver le feu du souvenir ! Au-dessus des roses, je vois des arbres et des maisons, des arbres et des maisons quelconques; là-bas, la vie continue ; des femmes se penchent à la fenêtre, des enfants crient dans une cour, un tram démarre, une cloche sonne les heures ; ici, le temps s'est arrêté. Le tintement de l'horloge, au-dessous de ma chambre, n'est plus qu'un son bizarre, hallucinant, dont j'écoute les vibrations, dans mes nuits d'insomnie ; le sommeil, lui aussi, s'est arrêté. Il n'y a plus de temps ni de sommeil : rien qu'une effrayante mémoire. Petites dents d'une scie aiguë, les vibrations de l'horloge me font mal au cerveau. Je voudrais pouvoir les saisir au vol. comme on fait des mouches irritantes, et les réduire au silence. Par-dessus les arbres, il y a le ciel, visible par petits carrés, entre les barreaux de ma fenêtre, toujours hermétiquement close.

La maison dort, mais non ceux qui l'habitent. Un long cri, soudain, rompt le silence, secouant les chiens de garde, sévères molosses. D'autres chiens, au loin, leur répondent. Un pas sourd fait craquer le bois de l'escalier, une porte s'ouvre, se referme. A côté de ma chambre, une femme se traîne, en poussant des soupirs qui montent d'un abîme. Elle s'assied. Avec effroi, j'épie un bruit sec et saccadé, frottement d'un faible doigt sur la table. On dirait que cette femme s'épuise à effacer une tache, une petite tache imaginaire, qui lui ôte le repos. Je crois voir cette femme dormant, les yeux ouverts. Chaque nuit, la scène se répète, invariablement la même. "Arrête !" lui criai-je enfin. "Par pitié, ne me tourmente pas ainsi, ou demain, le jour se lèvera sur un homme mort, mystérieusement frappé, sans blessure apparente !" Il n'y a pas eu de réponse. La maison dort, mais ceux qui l'habitent continuent le jeu, mûs par la force qui gît dans les ténèbres, devant d'impassibles témoins.

Edmond-Henri Crisinel, Oeuvres, Lausanne, L'Age d'Homme (Poche Suisse)

 

Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01

© "Le Culturactif Suisse" - "Le Service de Presse Suisse"