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COGITO EGO SUM
Traités


Présentation de l'auteur par Patricia Zurcher
Avant propos de l'auteur
Traité I Traité sur le mensonge
Traité II Traité sur la débatologie
Traité III Traité sur les gens
Traité IV Traité sur l'Homme
Traité V Traité sur l'Egothéisme

Du 3 mars 1999 au 6 mars 1999

TRAITÉ I

TRAITÉ SUR LE MENSONGE
Etude du mensonge, le propre de l'homme

Il y a des circonstances où le Mensonge est le plus saint Des devoirs.
Eugène Labiche

Pourquoi mentir ?

" Pourquoi mentir ? " est bien la question la plus idiote que l'on puisse se poser. Tout le monde a saisi l'intérêt du mensonge. Et tout le monde peut comprendre combien le fait de transmettre volontairement une fausse information peut s'avérer rentable pour ses intérêts personnels. Dans une société désespérément matérialiste comme la nôtre où le seul idéal visé est la recherche de l'argent, du confort, du pouvoir, bref, la recherche de toutes ces choses plus ou moins intéressantes à posséder qui flattent notre vanité et pour l'obtention desquelles nous sommes prêts à sacrifier notre temps, notre honneur et notre santé, dans une société comme la nôtre, disais-je, il serait tout à fait inconcevable qu'on ne comprenne pas les évidents avantages que peut nous procurer la pratique de ce noble art, de la plus belle conquête de l'Homme, j’ai cité : le mensonge.

Le fait de considérer le mensonge comme la plus belle conquête de l’Homme va en exaspérer plus d'un, je le sais. Je pense notamment à toute la clique des idéalistes, des hommes de foi, des preux chevaliers des temps modernes et autres personnes estimant que la Vérité avec un grand V et l'Honneur avec deux n sont les plus belles des vertus. Ces gens-là, je les admire, car ils sont capables de sacrifier des dizaines de vies humaines pour le respect de ces deux qualités.

Je pense également à tous ces groupes sectaires ou pseudo-écologistes qui estiment que la manière la plus intelligente de vivre est de vivre en marge de la société. Ceux-là vont probablement trouver dans ces lignes un prétexte de plus pour critiquer le monde industriel, base de la corruption et de la perte des valeurs morales. Je les entends déjà. " La société actuelle est basée sur le mensonge, vous l'avez tous entendu. Cela signifie que les fondations elles-mêmes sont corrompues, avilies par le plus horrible défaut qui soit et dont le monde est porteur depuis la nuit des temps ". Stop, aurais-je envie de répliquer. Rien n'est plus subjectif que de considérer le mensonge comme un défaut, voire un péché. Ce traité est là pour vous prouver que raisonnablement utilisé, le mensonge peut s'avérer n'être qu'un outil de plus que tout être intelligent devrait être capable de maîtriser. Il faut en effet posséder un minimum d'intelligence pour être capable de mentir convenablement, en accord avec les règles millénaires qui président à l'application de cet art.

De plus, je signale à tous ceux qui resteraient sceptiques que s'il n'y avait pas de mensonges, on ne saurait pas non plus apprécier à leur juste valeur la franchise et l'honnêteté. Et toc !

Le mensonge, le chaînon manquant

Le mensonge est non seulement primordial et irremplaçable dans la vie d'un homme, mais il est en plus très probable qu'il ait présidé à la naissance même de cet être bipède et mal formé que nous avons l'habitude de qualifier d'humain. Je vais même jusqu'à soutenir fermement qu'il a été le chaînon manquant, c'est-à-dire l'étape intermédiaire (jusqu'alors) indéterminée entre l'homme et le singe. Cette analyse à la va-vite a probablement de quoi effrayer darwinistes, lamarckistes et autres spécialistes de l'évolution bornés, enfermés dans des concepts abstraits vieux de plusieurs dizaines d'années et quelques heures et incapables par-dessus tout de s'ouvrir aux nouvelles théories proposées par des hommes géniaux et modestes tels que moi. Il faudra donc, comme d'habitude, que je défende mon opinion en susurrant des phrases convaincantes au possible et ne s'éloignant pas (si possible) outre mesure de la réalité. Je commence, ou plutôt non, je commencerai quand les deux, là au fond, auront fini de s'agiter et prêteront une paire d'oreilles attentives (chacun) au beau discours pour lequel je me réjouis déjà d'utiliser ma salive (subtilité : je n'utilise en fait aucunement ma salive puisque je tape le texte à l'ordinateur). Prêt ? Allons-y ! (Remarquez au passage l'incroyable banalité de cette expression trop couramment utilisée par des pseudo-écrivains rien que pour gaspiller de l'encre et faire en sorte d'avoir leur poids de papier à la fin du mois, après quoi ils courront chez leur éditeur pour présenter un texte ridicule à en mourir mais qui leur fera gagner plus de fric en une semaine qu'un honnête travailleur en un mois et c’est honteux, car je viens de laisser échapper un mot d’argot, ce qui n’est pas mon habitude puisque je n’utilise habituellement que des mots issus d’un langage aussi châtié que recherché, mais je suis sûr que vous me pardonnerez).

Le mensonge est donc, selon moi, à la base de la conception de l'être humain. En effet, qui a déjà vu un animal mentir ? On pourra juste citer quelques crocodiles larmoyants, une poignée de plantes carnivores aux couleurs imitant les ailes des papillons et le chat de mon professeur de français qui fait semblant de dormir paisiblement au salon pour ne pas être enfermé à la cuisine pour la nuit. Il aurait même poussé la tromperie jusqu’à ouvrir lentement ses paupières à l’appel de celui-ci pour les refermer ensuite lourdement, en signe d’immense fatigue. Lorsqu’on sait que l’instant d’avant, il était extrêmement affairé à se lustrer les poils sans présenter le moindre signe d’épuisement, il y a en effet de quoi avoir des doutes.

Mais revenons à nos moutons. Tiens, en voilà un qui ne sait pas mentir. C'est fort dommage pour lui d'ailleurs. S'il savait mentir, il serait peut-être à même d'éviter, le jour J, de se faire massacrer par des ignobles industriels aux mains rouges du sang de ses confrères. J'imagine très bien la scène ; le mouton s'adressant au chef de secteur en lui disant : " Vous vous êtes trompé, monsieur le chef de secteur, je suis une vache. " Bien sûr, il est probable que ça ne marche pas à tous les coups.

Mais revenons à nos moutons. Je signale juste au passage que j'ai déjà bêtement tapé deux mille cinq cent nonante-sept caractères, espaces non compris, depuis le début du chapitre sans toucher le vif du sujet, c'est à dire le mensonge, chaînon manquant entre l'homme et le singe. Je vous le signale juste à titre informatif. J'aurais pu aussi vous indiquer le nombre de lignes, mais, celui-ci pouvant varier selon la taille de la page, j'ai préféré m'en tenir aux caractères, espaces non compris. Accessoirement, c’est aussi parce que mon logiciel de traitement de texte ne compte que les caractères et pas les lignes.

Mais revenons à nos moutons. Après avoir bêtement gaspillé votre temps et le mien, je vais vous expliquer pourquoi tout me donne lieu de penser que le mensonge est le chaînon manquant entre l'homme et le singe. Tenez-vous bien. Comment ça à quoi ? Cessez donc de poser des questions saugrenues.

Au début, l'être humain (qui n'était pas encore un être humain) s'avérait n'être qu'une petite créature, négligeable parmi les autres. Les communications étaient pauvres au possible, faute de sous-entendus, d'insinuations et de phrases à double sens. C'est alors qu'un de ces hominidés primitifs eut l'idée géniale de transmettre une fausse information à son voisin. Au départ, cela semblait surtout utile pour sauver sa peau. Exemple : admettons que le primate en question se soit goulûment empiffré du régime de banane que le chef de la horde avait précisément conservé pour le jour où le groupe atteindrait enfin les rives du Jiji-kan-staou. Le despote sanguinaire, constatant le désastre, se tourne vers celui qu'il estime être le coupable et lui demande d'avouer. S'est-il, oui ou non, goulûment empiffré du régime de banane qu'il avait précisément conservé pour le jour où le groupe atteindrait enfin les rives du Jiji-kan-staou ? N'importe quel contemporain de ce primate menteur, que nous appellerons Hmpf par convenance, aurait stupidement avoué la vérité et se serait retrouvé à l'hôpital, ce qui pose un problème étant donné que le plus petit tas de vermine grouillant de sottise compressée sait (ou a du moins ouï-dire) qu'il n'existait pas encore d'hôpital en 3'500'000 avant Jésus-Christ-béni- soit-son-nom. N'importe quel contemporain de Hmpf, mais pas Hmpf, qui, comme son nom l'indique, était plus rusé que la moyenne. Celui-ci répondit au chef hargneux quelque chose comme :"C'est pas moi, m'sieur, c'est l'autre, m'sieur, j'vous jure, m'sieur." Pas idiot, lui, contrairement à Maurice, mais l’odieuse insulte n’engage que moi.

Et voilà, le premier mensonge de l'histoire était né (que dis-je de l'histoire ? De l'Histoire !). Dès lors, l'homme se mit à évoluer.

Auparavant, personne ne pouvant rien cacher à personne, il n'existait qu'un univers, qu'une réalité. Après l'invention du mensonge, ça allait changer. Les premiers menteurs (expression employée pour dire : les premiers hommes) se rendirent vite compte qu'il existait au moins deux réalités : la réalité collective, c'est-à-dire ce qui était communément admis par l'ensemble de la communauté, et la réalité individuelle, c'est-à-dire ce que eux savaient, et les autres pas, lalalèreu. Les esprits les plus brillants de l'époque comprirent également que, à force de mentir à tout-va, il commençait à naître par-ci par-là des milliers de petites réalités individuelles. Le monde commençait à se faire plus compliqué.

Et pourtant ce n’était pas fini. Le mensonge entraîna la naissance de l'amitié. Un ami, c'est quelqu'un avec qui on partage une chose qu'on ne partage pas avec les autres, pas vrai ? Si, c’est vrai (et je n’ai d’ailleurs nul besoin de votre pitoyable avis pour l’affirmer. Soit dit en passant, je m’en fiche littéralement. Je connais mon métier, tout de même). C'est ainsi qu’en plus des univers collectifs et individuels, apparurent les univers semi-collectifs, des univers où seul un nombre de personnes limité, c'est-à-dire des amis, avaient accès. Dès lors l’affaire se complique.

A ce stade de l'évolution humaine, longue course de la recherche de l'intelligence, de la pureté et de la sagesse, qui aboutit aujourd'hui à un univers complexe où, summum du summum, nous sommes arrivés à nous poser des questions telles que : qu'est-ce qu'on mange ce soir, est-ce que l'équipe du Boulatéragoti va gagner contre celle du Jedeshmen, qu'est-ce que je vais mettre demain pour aller travailler, est-ce qu'il va y avoir des embouteillages sur la A16, quelles sont les prévisions météo pour aujourd'hui, de toutes manières ils se trompent tout le temps, qui est-ce qui a été élu aux dernières votations, de toutes manières ce sont tous des incapables, et cætera, à ce stade de l'évolution humaine, disais-je, s'est produit un darwinisme particulier : seuls ont survécu ceux qui étaient assez rusés, malins et astucieux pour savoir jongler entre les différentes réalités tout en œuvrant pour leur confort personnel. Seuls ceux-ci ont pu s'y retrouver dans ce monde devenu si complexe sans se mélanger les pinceaux et ont donné naissance à de petits menteurs tout mignons qui allaient devenir la Relève de l'Humanité. En bref, à une certaine époque, il y a eu sur Terre un grand balayage et seuls les intelligents (les premiers hommes, car c'est connu, seuls les hommes sont intelligents) ont survécu.

Bon, d'accord, ont aussi survécu des gens idiots comme ce n'est pas permis, qui ne s'y retrouvaient pas du tout dans leur univers mais qui s'en fichaient. Ceux-là se sont accouplés entre eux et ont donné naissance aux petits imbéciles que l'humanité compte à présent dans ses rangs, et sont maintenant bien plus nombreux sur Terre que les intelligents.

Ici, je me permets une petite parenthèse. De récentes recherches en génétique prouvent que, dans certains cas, des intelligents peuvent être croisés avec des imbéciles. On pourrait de prime abord croire à une incompatibilité. Et pourtant, le couple semble viable. Du moins jusqu’à un certain point. Le cas le plus célèbre est celui d’Hillary et de Bill Clinton. Le cas le moins célèbre est celui de Ghislaine et de Robert Duparc. Même moi, je ne les connais pas ; c’est pour dire.

L'art de mentir

Le mensonge est plus qu'un outil destiné à accroître sa fortune et son influence et, le cas échéant, à sauver sa vie. Le mensonge est tout un art. Personne parmi vous ne peut se vanter de n'avoir jamais menti, ou alors il ment.

Pour transmettre une fausse information, il faut prendre en compte trois éléments très importants. Un, la manière de la transmettre, cette fameuse fausse information. Il faut que vous ayez l'air très naturel et décontracté, mais pas trop, sinon ça semblera louche. Il ne faut pas oublier que dans notre société où l'on est régulièrement, sinon à longueur de journée, pressés, compressés et tourmentés, un minimum de stress est essentiel, du moins poli. Deux, il faut que le mensonge ait un minimum de réalisme. Si vous affirmez, par exemple, que vous avez vu un kangourou se promener sur les toits par un beau mardi matin ensoleillé, personne ne vous croira. Si vous affirmez que c'était un lundi, vous aurez déjà plus de crédibilité, car le lundi est le jour par excellence où l'on fait des choses stupides, retourner au bureau par exemple. Trois, il faut que vous soyez capable de protéger votre mensonge des mauvaises influences extérieures. Je m'explique. Au cas où vous auriez affaire à un sceptique qui commettrait l'impolitesse de ne pas croire en la véracité d'une information sous prétexte que c'est un mensonge, vous devrez savoir défendre votre point de vue (faux, naturellement) en inventant une jolie petite histoire par derrière. Il faut savoir enchâsser vos mensonges les uns dans les autres pour pouvoir constituer la toile hypercomplexe et super-embrouillée de la fausse information à transmettre.

Le mensonge dans notre société

Un des plus importants piliers de notre société est le mensonge. Sans lui, plus rien ne pourrait tourner et ce serait l'anarchie. Pour vous rendre compte à quel point la société vous ment, prenez connaissance des exemples suivants :

Premier exemple. Quand vous achetez un flan à la crème au supermarché, il s'agit en fait d'un produit alimentaire fait à base d'eau, de paracétamol, de vanille, d'édulcorant, de E412, de E414, de E=MC2, de conservant, de colorant et de pas un milligramme de crème.

Troisième exemple. Lorsque vous votez pour tel ou tel candidat au suffrage universel, vous pensez naturellement que votre voix sera tenue en compte alors qu'en fait, les élections sont truquées.

Je vous épargne le deuxième exemple car il est si horrible que sa prise de connaissance pourrait être la cause d'une éventuelle dépression nerveuse.

Pour s'assurer que nos descendants auront beaucoup de facilité à maîtriser le noble art qu'est le mensonge, nous procédons dès leur plus tendre enfance à leur éducation dans ce domaine-là. Ainsi, nous leur donnons du lait contenu dans un biberon dont l'embouchure en hydrocarbure raffiné (en plastique, quoi) imite la tétine de leur génitrice. Plus tard, nous les convainquons de l'existence du Père Noël. Plus tard encore, de celle de Dieu. Et ces mille petits mensonges vont, au fil des âges, procéder à l'éducation de nos chers petits.

Moralité : le mensonge est un vil défaut, une horrible tare, un affreux vice, un péché destructeur, mais puisque l'homme est menteur par nature, autant considérer ce mal comme un art et l'utiliser à bon escient.

Ceci dit, je me retire dans toute la dignité qui me convient et j'espère sincèrement, cher lecteur, chère lectrice, que vous avez passé un bon moment en parcourant mon traité, qui, personnellement, me semble tout à fait convenable. C'est mon avis personnel et je le partage d'autant plus volontiers. Sans mentir.

Maël Donoso

 

Page créée le 23.03.00
Dernière mise à jour le 23.03.00

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