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Enrique Vila-Matas
Docteur Pasavento, Christian Bourgois Editeur, 2006, 229 p.

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Retrouvez également Enrique Vila-Matas dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse.
et notre
dossier Robert Walser de septembre 2006 consacré à l'actualité qui entoure l'auteur.

  Enrique Vila-Matas / Docteur Pasavento

 

 

Le héros de l'écrivain Pasavento est Robert Walser, dont il admire l'habileté à passer inaperçu. Vivre le destin de cet auteur signifie pour Pasavento se retirer du monde. Il veut s'éloigner et, un beau jour, il disparaît. Il se dit qu'on le recherchera, qu'il lui arrivera ce qui advint à Agatha Christie quand toute l'Angleterre s'était mise à ses trousses pendant onze jours et avait fini par la retrouver. Mais personne ne recherche le docteur Pasavento et peu à peu s'impose cette simple vérité : personne ne pense à lui. Il aura alors recours à la stratégie du renoncement. Il va renoncer au moi, à sa grandeur et à sa prétendue dignité et en viendra même à croire que sa personne incarne à elle seule l'histoire de la disparition du sujet en Occident. Il se rend à l'asile d'aliénés suisse où Walser passa tant d'années à l'écart du monde et fait ses premières armes dans un art très singulier dans lequel son écrivain préféré était passé maître : l'art de n'être rien.

Enrique Vila-Matas, Docteur Pasavento, Christian Bourgeois Editeur, 2006, 229 p.

  Revue de presse

Ecrire, ne pas écrire : telles sont les deux activités au coeur de tous les textes d'Enrique Vila-Matas depuis plus de vingt ans [...]
Les écrivains et leurs textes sont presque toujours les héros véritables des livres d'Enrique Vila-Matas. Dans une espèce de post-modernisme humaniste, avec humour et ironie et non sans émotion, il fait vivre une seconde vie aux citations en en changeant l'auteur (Valery Larbaud se retrouve l'auteur d'une phrase de Christophe, le créateur de la Famille Fenouillard) ou en intervertissant les écrivains et ce qu'ils ont dit quand il en cite plusieurs à la fois, comme par exemple, dans Docteur Pasavento, Samuel Beckett et Peter Handke. Mais l'auteur au centre de ce dernier livre est Robert Walser, l'écrivain suisse né en 1878 et mort en 1956 après vingt-sept ans passés à l'asile, et qui passionne Vila-Matas depuis Abrégé d'histoire de la littérature portative. Car l'auteur de l'Institut Benjamenta, «le prince discret des écrivains qui ont du charme», est celui dont la vie et l'oeuvre se rapprochent le plus des ambitions des personnages de Vila-Matas. «Et cela faisait déjà des années qu'il était mon héros moral. J'admirais chez cet homme l'extrême répugnance qu'éveillait en lui tout type de pouvoir et son renoncement précoce à tout espoir de succès, de grandeur. J'admirais l'étrange décision qu'il avait prise de vouloir être comme tout un chacun, alors qu'en réalité, il ne pouvait être comme personne, parce qu'il ne souhaitait pas être quelqu'un, ce qui, sans aucun doute, rendait encore plus difficile son désir d'être comme tout le monde», dit rapidement le narrateur de Docteur Pasavento.

Mathieu Lindon
Libération
9.03.2006

Sur les traces de Robert Walser
L'Espagnol Enrique Vila-Matas cultive l'art de l'éclipse dans son dernier récit. Une fugue éclatante d'érudition, de fantaisie.

D'abord connu d'un petit cercle d'aficionados, Enrique Vila-Matas l'est aujourd'hui par une foule de lecteurs. Grâce à l'éditeur Christian Bourgois, les francophones peuvent accéder à l'oeuvre vertigineuse de cet homme né à Barcelone en 1948. Trois de ses titres viennent d'être (re)publiés en français. En plus d'un inédit, deux rééditions paraissent dans la nouvelle collection de poche «Titres»: Abrégé d'histoire de la littérature portative et Enfants sans enfants dédié à Kafka. Lui aussi «fils sans fils», le Barcelonais a fondé - et l'agrandit de texte en texte - une famille littéraire en se dédoublant et en prenant pour héros des écrivains, vivants ou morts, vrais ou fictifs, masqués ou sans fard.
Comme souvent dans les romans («livres autobiographiques où tout est inventé») de l'Espagnol, le narrateur de Docteur Pasavento est un auteur élaborant une conférence. Une fois encore, Enrique Vila-Matas réfléchit sur la nécessité de la littérature et de ses artifices pour supporter le réel en flirtant avec l'absurde dans ce nouveau récit inclassable, picaresque, intime, autofictif, philosophique, éclatant d'intelligence et de fantaisie. Après Paris ne finit jamais (2004), où le Barcelonais évoquait sa rencontre avec Marguerite Duras, la capitale française accueille ici le soi-disant Docteur Pasavento. Cet homme qui se prend pour un psychiatre aimerait se retirer du monde, s'évanouir dans la nature, mais aussi dans la littérature. Il fugue tout en dissertant sur l'identité et la disparition, thèmes majeurs chez Vila-Matas, dont la narration effervescente et en trompe-l'oeil brouille nos repères spatio-temporels.
La plupart des figures d'écrivains chez Vila-Matas sont des disparus attirés par la disparition (Kafka, Salinger, Blanchot, Bove, Michaux, Perec, Sebald...). Parmi eux, notre compatriote Robert Walser est le «héros moral» du Docteur Pasavento, qui se rend entre autres (en pensée ou pour de vrai) à l'asile d'Herisau, où ce «prince discret des écrivains qui ont du charme» a fini sa vie. Se demandant en passant si la Suisse n'est pas «une immense Arcadie de la maladie», le narrateur laisse son humour, son imaginaire et son érudition vagabonder en des terres littéraires où l'on cultive l'art de l'éclipse. Se perdre de vue pour mieux se retrouver semble le résultat de ce voyage. N'est-ce pas aussi le but de l'écriture et de la lecture, qui permettent de changer de peau à l'envie?

Elisabeth Vust
24Heures
11.04.2006

[...] nombreuses sont [...] les figures de la modernité qui ont problématisé le destin d'une littérature obsédée par sa possible disparition, glissant vers le "blanc pur" , l'"innommable" ou le "rien".
Ecrire (sur) le rien, c'est encore écrire bien sûr. [...] [Vila-Matas] a depuis longtemps intériorisé l'idée d'un "adieu", ou en tout cas d'un "après": il sait qu'il y a eu avant lui Montaigne, Sterne, Hemingway, Melville, Kafka, Robert Walser... Il le sait tellement qu'il a fait des écrivains les personnages principaux de ses livres, à mi-chemin entre romans, récits biographiques et autofictions facétieuses.
[...]
Docteur Pasavento a pourtant quelque chose d'un peu différent des précédents livres du Barcelonais, parce qu'on sent y poidre une tentation sincère du retrait, et comme un désir de fuite, de refuge dans la neige - fantasmée - où s'est définitivement perdu Walser, le jour de Noël 1956. [...]
Bien sûr, ce rêve de disparition n'est pas une simple lubie. C'est, avec beaucoup d'humour, une manière d'imaginer une issue possible aux impasses de la modernité et à cette "crise du sujet" dont la littérature ne s'est toujours pas guérie... [...]
Pour Vila-Matas, c'est aussi une façon de se retrouver, car le départ solitaire de son personnage coïncide avec le retour d'une mémoire comme remise à neuf, où affleurent pêle-mêle le souvenir d'un but de Maradona et les enseignes détruites d'une rue d'autrefois... Voici donc la magie bien vivante de la littérature [...]: l'intime s'y régénère quand le "je" s'y perd, pèuisque l'écriture en fait toujours "un autre".

Fabrice Gabriel
Les Inrockuptibles

Comme un prélude à la modernité, et à tout ce qu'elle devait comporter de tragédie, Franz Kafka formula un jour ce mystérieux précepte, à l'accent hégélien : « Il nous incombe encore de faire le négatif ; le positif nous est déjà donné. »
[...]
Ainsi le Docteur Pasavento est l'identité fortuite prise par le narrateur pour mieux disparaître. [...] De multiples pérégrinations - de Naples au Canton d'Appenzell - ne feront que rendre ce désir [de disparaître] plus insaisissable. [...]

Patrick Kéchichian
Le Monde
24.03. 2006


Page créée le: 14.08.06
Dernière mise à jour le: 14.08.06

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