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Alexandre Voisard
Sauver sa trace, Bernard Campiche Editeur

Retrouvez également Alexandre Voisard dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse.

  Alexandre Voisard / Sauver sa trace
 

Alexandre Voisard: L’aride patois de la poussière.

On dirait que le titre du nouveau recueil d’Alexandre Voisard, *Sauver sa trace* ,est un filet qui retient intimement les poèmes, d’autant plus que c’est le poète lui-même qui, d’une *trace*, illustre la couverture. "Trace": c’est le passé surtout, mais aussi le rassemblement de tous les signes dispersés dans l’espace (celui de la nature essentiellement, comme toujours ), et c’est, timidement, réclamer qu’il y ait un chemin devant soi, même s’il est à "refaire" plutôt qu’à découvrir.

C’est comme une fièvre. Sauf dans la première partie, la mieux nouée, *Le Muguet perdu*, celle d’une mémoire particulière qui est devenue, à force, un paradigme: l’histoire d’un petit bouquet de muguet destiné à maman, que les fils, oublieux, laissent dans la forêt et qui demeure ensuite introuvable malgré toutes les recherches.


Quelle merveilleuse tendresse pour le passé dans ces pages où l’homme mûr (celui qui fête cette année ses 70 ans!) remonte jusqu’à l’enfant, non tant, comme c’est le cas si souvent, avec un éblouissement redevenu enfantin, qu’avec la gravité, justement, de celui qui découvre dans l’enfance les signes premiers de ce qui pourrait s’être répété plusieurs fois dans une vie:

notre mère prenait son temps pour pleurer
et j’ajoutais mes sottises à sa peine -

C’est en ce temps-là, aussi, que naît le poète:

en ce temps-là (..) que je devins
celui dont le regard s’agrippe au ciel.

Un ciel, cependant, qu’il ne faut pas entendre mal: ce n’est que le rêveur, l’escaladeur d’irréel qui parle, et non pas l’assoiffé d’un Dieu quelconque. La nature de Voisard, celle qu’il chante, qu’il nomme, sur laquelle obstinément il laisse sa trace verbale, est tout à fait païenne; je dirais même: ici plus que jamais.

Alors, quelle trace (quel chemin) devant soi? Ce n’est certes plus l’engrangement alterné des saisons; ce n’est plus l’extension du marquage; c’est devenir:

Dès lors, ayant été autant qu’on puisse l’être au fond,
nous osons dire: voyez, nous ne cessons de devenir.

Et c’est là que vient la fièvre: une hantise du rétrécissement, l’envie de "retrouver des lenteurs de bête sauvée des eaux / et hurler" - au moins "juste le temps d’un souffle". Même si, à lire, le poète pose cette fois son regard en maître sur le monde - sur le passé et le présent, les vivants et les morts - se l’appropriant au moment qu’il le nomme, alors que jusqu’ici, la poésie de Voisard, pourrait-on dire, entrait plutôt en résonance avec le monde dans une forme de dialogue.

Il ne faudrait pas que la fièvre gagne: elle aliènerait à la fois le monde et l’écrivant, et ne lui laisserait même plus cette "seule noix, un unique papier minuscule pour dire [son] âge/ pour [s’]émerveiller encore / et survivre."

Alexandre Voisard: Sauver sa trace, poèmes, Campiche, 185 p.

Monique Laederach

2 déc. 2000


Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01

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