retour à la rubrique
retour page d'accueil


Philippe Jaccottet
TRUINAS, LE 21 AVRIL 2001, Genève, La Dogana, 2004, pp. 64.

Version imprimable

Retrouvez également Philippe Jaccottet dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse.

  Philippe Jaccottet / Truinas, le 21 avril 2001
 

Philippe Jaccottet - Truinas, le 21 avril 2001

ISBN 2-940055-47-5

 

"Mais la merveille extrême, celle capable de susciter, paradoxalement sinon scandaleusement, une espèce de joie sourde, timide et tout de même puissante, ç'avait été à coup sûr les paroles, elles-mêmes une autre espèce de fleurs et de flocons, qui s'étaient élevées, avaient fleuri, avaient flotté quelques instants à mi-hauteur entre terre et ciel, [...] et c'était elles, oui, décidément, qui avaient gagné, ce matin-là, le temps de ce matin-là, sur le vide".

Dans ce texte d'une extraordinaire intensité, Philippe Jaccottet non seulement évoque devant la tombe la "noblesse d'âme" de son ami André du Bouchet, poète incandescent, mais il retisse les liens qui tiennent ensemble, fragilement, le monde, les êtres humains, les bêtes, quelques mots, "ainsi que le chagrin et une espèce de joie".

Philippe Jaccottet, Truinas, le 21 avril 2001, Genève, La Dogana, 2004, pp. 64.

 

  Truinas, 21 avril 2001 - Revue de Presse

[…] De cette matinée étrange, Jaccottet fait un texte sublime, tout en résonances et correspondances - de Obermann de Senancour ("Si les fleurs n'étaient que belles sous nos yeux, elles nous séduiraient encore"), lu à l'enterrement, alors qu'il a été une illumination pour Jaccottet dans les années 60, à Gustave Roud, autre figure décisive, en passant par la poétesse Emily Dickinson, présente sur les lits de mort tant de Roud que de Bouchet, le Voyage d'hiver de Schubert, le visible et l'invisible, la nature et les humains, les vivants et les morts, les paroles anciennes et nouvelles, le chagrin et la joie, l'être et son mystère. Le paysage environnant lui-même apparaît différent après ce moment de grâce - Jamais la jonquille ne dira "jonquille", et c'est sans doute pourquoi elle nous paraît à la fois si belle et si insaisissable. Les fleurs sont sans regard, sans larmes, sans voix." D'une matinée où "tout était avivé" en lui, Jaccottet fait une élégie à fleur de peau, déchirante, insistante. […]

Isabelle Falconnier

25.11.2004

[…] Dans une prose qui s'engage comme un récit, Philippe Jaccottet, à sa manière précautionneuse mais obstinée, scrute l'énigme d'un jour, celui de l'enterrement de son ami, le poète André du Bouchet: le 21 avril 2001. Sobrement, simplement, l'auteur ressaisit, interroge des choses vues: la neige printanière, la route et le paysage de Truinas, l'absence de rituel ou de toute liturgie, les présences humaines, quelques paroles entendues ou lues dans la résonance particulière d'une journée étrangement peu funèbre, "sauvage", où "tout était avivé", "en relief". A quelques jours, à quelques mois de distance, la méditation s'élargit, précise les intuitions tenaces; le rayonnement de ce jour, son "ordonnance merveilleuse" se dégagent d'un léger entrelacs de correspondances et de réminiscences: aux flocons, fleurs, plumages, torrent, rochers et passages, à l'absence elle-même, ont répondu, indubitables et immatérielles, des paroles sans âge, les voix proches de Senancour, Hölderlin, Emily Dickinson, et celles de poètes d'aujourd'hui; c'est de ce fragile et très intermittent triomphe de la poésie que Jaccottet vient témoigner, nous dit-il, comme d'un signe "de plus en plus lointain".


20.11.2004

 

  Quand le chagrin est une espèce de joie (Julien Burri)

Commencées la veille de l'enterrement de l'ami poète André du Bouchet, puis laissées de côté, " traînées pendant trois ans comme un poids ", ses pages de prose poétique se révèlent essentielles: d'une grande beauté, délicates et touchantes, discrètes: elle sont comme l'épure d'un geste humain et chaleureux, synthétisant l'œuvre de Jaccottet. Le jour de l'enterrement, une neige duveteuse recouvre l'herbe et les fleurs. La vie renaissante côtoie la mort dans une étrangeté qui révèle la " merveilleuse réalité " contrastée du monde. Partant d'une phrase de la dernière lettre reçue de son ami, " Arrivée à Truinas dans une merveilleuse tempête de neige ", Jaccottet tresse une métaphore filée de fleurs et de neige, pour essayer de dire la rencontre des éléments, convoquant en échos " entendus dans les profondeurs du cœur ", Hölderlin, qui compare la neige aux muguets, Oberman de Senancour, évoquant les fleurs, puis Roud et Dickinson, etc... Dans ce fil les œuvres seront tour à tour fleurs, les paroles neige, jusqu'aux fleurs de givre de Schubert. En quelques phrases Jaccottet évoque l'exil originel, antérieur à toute parole, avant que l'homme ne quitte le " monde 'merveilleux' des choses sans regard et sans voix " comme les fleurs ou les flocons; la parole poétique née d'une blessure, d'une séparation, et qui, le temps d'être prononcée, essaie de nous rattacher, de nous faire " trouver dans ce peu de mot l'ouverture infinie qui fait vivre ".

Julien Burri

2 décembre 2004

 

  Truinas, 21 aprile 2001 (Pierre Lepori)

Tutto il cammino poetico di Philippe Jaccottet è stato scandito dai rintocchi immemori della morte, cui da sempre fa da contraltare lo stupore della natura, marcescibile e ciclica, eternamente amica ma fragile come gli occhi che la osservano. Da un primo Requiem - poi in parte rinnegato - dedicato ai morti della guerra nel 1947, al sublime Leçons (del 1967), marchiato a caldo dallo scandalo assurdo dell'agonia d'un amico.
Un dialogo, ormai, non più uno scontro, che il poeta avanzando con gli anni rende ancora più cogente, nel gioco di specchi inevitabile tra chi parte e chi resta, nell'attesa del proprio turno. E se in Paesaggio con figure assenti Jaccottet aveva detto "la verità tutta intera in fin dei conti è per me raccolta in un'immagine, come quella della campana resa stonata dalla neve, di cui parla Hölderlin", è proprio la neve - che lo accoglie nel giorno delle esequie dell'amico poeta André du Bouchet - a dargli la forza di avvicinarsi ancora, di inoltrarsi anzi un po' più avanti, nel mistero della morte - non più scandalo ma quieto dolore.
Hölderlin, certo, e Gustave Roud - che nel suo Requiem sulla neve cercava le tracce di bestie notturne che avrebbero potuto condurlo verso l'incontro con il mistero. Ma anche il Lenz di Büchner, in cui la neve è bianco sprofondamento nel non-senso o il Winterreise di Schubert in cui l'illusione dei fiori di brina sul vetro gelato è spazzata via dal cantare del gallo. Anche Jaccottet segue queste tracce con rispetto e timore, con una voce tiepida e un'apertura ai segni fragili dei fiori di ghiaccio, raccontando in tutta modestia la sua profonda tristezza e il suo profondo amore per le cose, il fulgore di un'amicizia che continuerà ad abitare l'aria, e il primo passo avanzato verso il proprio ultimo viaggio.
Sempre sospeso, senza mai decidere - perché decidere non è proprio della poesia - tra le sublimi sterminate pianure della neve di cui parla Saint-John Perse nel suo Exil, e il fragilissimo fiocco di neve di cui s'incanta Yves Bonnefoy, che si scioglie al tepore di una mano nel suo Début et fin de la neige.
Anche per Jaccottet la neve parla soprattutto la voce della sua fragilità, il momento in cui è indistinguibile il bianco rosato dei primi fiori del melo e il manto con cui l'aprile ha un ultima volta ricoperto il villaggio di Truinas e l'esequie dell'amico André du Bouchet.

Pierre Lepori

© Rete2 - RSI
1 dicembre 2004


Page créée le: 04.01.05
Dernière mise à jour le 10.01.05

© "Le Culturactif Suisse" - "Le Service de Presse Suisse"