retour à la rubrique
retour page d'accueil


Luisa Campanile
De l’eau et d’autres désirs, Genève, Samizdat, 2010, 40 pages.

4ème - Critique, par Françoise Delorme -
In breve in italiano
- Kurz und deutsch

Télécharger la page en PDF

Retrouvez également Luisa Campanile dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse.

  Luisa Campanile / De l'eau et d'autres désirs

 

Luisa Campanile / De l'eau et d'autres désirs Curieusement, avoir entendu Luisa Campanile lire ses textes en public a représenté pour moi une expérience moins verbale que proprement physique. Laissant dans ma mémoire une trace persistante, quasi sans mots : une impression indéniablement liquide ! Il m'en restait quelques images : un ascenseur comme un puits, une colonne d'eau, des crues et des marées. Une figure de noyée. Corps pris dans les algues. Attraction mortelle des profondeurs ? Naissance ou noyade ?

Plus tard, le manuscrit entre les mains, j'ai retrouvé mes sensations, mais cette fois les images prises dans les mots, portées par un langage précis, aux brusques raccourcis, aux abruptes ellipses : "lent le mouvement vers le bas c'est fou je ne le cherchais pas (.) je croyais la mort un accord de l'eau avec l'air".

Longues phrases verticales, chutes, jaillissement, énumérations véhémentes dont le ton presque prophétique nous étonne. Est-ce parce qu'elle est comédienne ?

La voix de Luisa Campanile nous entraîne dans un théâtre personnel, étrange, à la fois candide et péremptoire. Au premier abord déconcertant. Mais chaque lecture nous le fait pénétrer plus avant :

J'appelle océan ma page blanche
J'appelle la grêle mon cheval
J'appelle aussi le geyser, je l'appelle mon amour .

Claire Krähenbühl

Luisa Campanile , née à Sion en 1973, italienne et suisse, psychologue de formation, puis comédienne, metteure en scène, auteure de l'auto-fiction Flux migratoires, pratique la marche et la poésie en alternance. « De l'eau et d'autres désirs » est son premier recueil de poèmes.

Luisa Campanile, De l’eau et d’autres désirs, Genève, Samizdat, 2010, 40 pages.


  Critique, par Françoise Delorme

In breve in italiano - Kurz und deutsch

De l'eau et d'autres désirs se présente comme un petit livre qui tient dans la main, qui tient dans la poche : et on est tout troublé d'emporter avec soi pour une lecture rapide ou contemplative le Temps, retenu un instant dans quelques pages :

Mon désir est mon ouverture
Une page se tourne
L'eau suit son cours

Le titre étonne déjà. Il fait de l'eau à la fois la soif et la réponse à la soif. Les textes sont par ailleurs accompagnés des gouttes d'encre rêveuses de Clelia Bettua, dont la liquidité poussée par un souffle a tracé des silhouettes très vives, aux gestes accueillants. Elles prolongent le sentiment léger d'être emporté dans un temps moins violent qui caresse autant qu'il malmène.
Il ne faut pas s'appesantir trop sur des textes si brefs et pour beaucoup assez elliptiques. On pourrait les imaginer comme de petits vortex qui se forment dans un cours d'eau, petites formes fermées sur un silence mêlé de mots dont la précision brille.
C'est vrai, ces poèmes sont transparents ; et plutôt mystérieux.
Les images qui s'y déploient donnent accès directement à une réalité poétique peu convenue, une quête à la fois douloureuse et délurée, lucide et légère. Quand je dis légère, peut-être voudrais-je dire sérieuse sans ostentation ? Et même, elle ne manque pas d'humour !

Je place pour cette nuit
l'écriteau Please not disturb
J'ai peur de mourir par illusion

Ces poèmes développent des vers comptés, mais très librement, pour suivre les mouvements aléatoires d'une eau au rythme indocile. Certains sont assez longs et leur titre révèle des préoccupations philosophiques ou existentielles, Apocalypse ou A la noyée que j'ai dû être . Ils sont traversés de questions, de doutes, d'hésitations, de visions inquiètes :

Je vois la bête qui frappe
de sa queue la poussière
Mes amis se prosternent
La bête ralentit la mer
Pourquoi donc se soumettent-ils
A qui par la terreur gouverne ?

Mais parfois tout s'éclaire dans la gratuité de la lumière d'un jour plus confiant et par la force de métaphores toujours surprenantes quoique reconnaissables (elles obéissent à l'imagination matérielle de l'eau telle que la définit Bachelard et sonnent juste) :

Le bruit des sabots
le cheval blanc passe
Le soleil moelleux avec
la lune lisse sur ma nuque
Ce matin sur le grand axe
le trafic timide court
Il reste le silence

Des souvenirs d'enfance se mêlent à des événements du quotidien, au grand mélange des éléments (l'air, la terre et le feu sont du voyage). Nous apercevons des visages, des corps de nombreux personnages dont nous entendons quelques paroles en écho :

Tu les sens si proches
juste derrière les voiles de l'heure incertaine
leur voix l'eau du bien-aimé ruisseau

Laisse-les cheminer

Peut-être est-ce d'ailleurs la manière très particulière d'entrelacer le banal et l'extraordinaire qui invente une forme si émouvante, si mouvante, si fluide.
Le premier texte intitulé La Porte mystérieuse pose trois questions, à la fois très ordinaires et très étranges :

Pourquoi met-on une source derrière une porte ?
De quoi est-elle faite cette porte ?

Et tout d'abord la trouverai-je ?

Ces questions diffusent leur désarroi, leur curiosité, mais aussi leur entrain dans tout le livre et elles se dissolvent peu à peu dans une réponse qui les renouvelle, mais dans un acquiescement à la vie, à l'amour, à la rencontre, à la surprise. Ce petit recueil se termine en effet par des poèmes d'amour lumineux et, comme promis, sans illusion, bienveillants. Amour porté, amour reçu.
Et la vie continue, portée par l'élan d'une eau parfois suffisamment violente pour inverser les images convenues, une eau souvent salvatrice :

J'appelle l'océan ma page blanche
J'appelle la grêle mon cheval
j'appelle aussi le geyser, je l'appelle mon amour

Françoise Delorme

  En bref

 

In breve in italiano

Luisa Campanile, svizzera e italiana, attrice, nata a Sion nel 1973, dà alle stampe la sua prima raccolta di poesie. Come esplorando le onde, a volte violente, del sogno, l'autrice ci guida tra le righe cesellate di poemi dall'ermetismo necessario e fecondo. Svariate immagini, appena metaforiche, danno accesso ad una realtà poetica diretta, potente e originale. Tra la nascita e la morte l'acqua porta con sé il consenso, la collera, lo stupore, lo scoramento e il rinnovellarsi di una fiducia nella vita, nella forza delle parole, del desiderio puro, nudo, mondato da tutte le condizioni che lo limitano e che l'autrice assume con risolutezza : « Finisco di dire/Non uccido le possibilità/Scelgo il meglio per il silenzio/Non temo il piccolo » . Questo libriccino denso, dallo stile musicale, elastico teso tra le disarmonie che lo rendono tanto vivace, è paradossalmente molto fluido : un desiderio di ignoto, fragile, attraversato da ritmi sorprendenti, zampilla dove meno ci si aspetta, per essere ricanalizzato con tenacia. (rd)

***

Kurz und deutsch

Die 1973 in Sion als schweizerisch-italienische Doppelbürgerin geborene Schauspielerin Luisa Campanile legt ihren ersten Gedichtband vor. Als würde sie wogende, manchmal gewaltsame Träume erforschen, lässt die Autorin den Leser in eine Abfolge von fein ziselierten Texten eintauchen. Etliche Bilder sind nur leicht metaphorisch und bilden den Zugang zu einer direkten, kraftvollen und unkonventionellen poetischen Wirklichkeit. Zwischen Leben und Tod transportiert hier das Wasser Zustimmung, Wut, Verwunderung und Enttäuschung. Gleichzeitig erneuert es auch das Vertrauen in das Leben, in die Kraft der Worte sowie in die Kraft des reinen Verlangens, das von allen einschränkenden Bedingungen reingewaschen ist. Diese Bedingungen nimmt die Autorin radikal auf : «  Je termine de dire/Je ne tue pas les possibilités/Je choisis le meilleur pour la part de silence/Je ne crains pas la petitesse » . Die Texte in diesem kleinen, dichten Band sind sehr fliessend, dank einem musikalischen Stil, der mit belebenden Disharmonien durchsetzt ist : hier kondensiert sich ein zerbrechlicher, von unverstandenen Rhythmen durchdrungener Wunsch nach dem Unbekannten, der plötzlich auftaucht, wo man ihn nicht erwartet, und immer hartnäckig fortgeführt wird. (ja)

 

Page créée le: 10.02.11
Dernière mise à jour le: 10.02.11

© "Le Culturactif Suisse" - "Le Service de Presse Suisse"