| 
 
         
          |  |   
          | Automne 2005
 
 |   
          |   Anne 
            Cuneo / Les corbeaux sur nos plaines |   
          | 
 
               
                |  
                    
  ISBN 2-88241-159-6 | 
                     
                      | Il y a quelques mois, le hasard 
                          a voulu quun exemplaire des Corbeaux sur nos 
                          plaines (copie violette, pâle et jaunie, dun 
                          stencil à alcool) de la version originale, celle 
                          quavaient lue Françoise dEaubonne 
                          et Simone de Beauvoir, celle que je ne possédais 
                          plus, refasse surface chez un de mes amis.Jai dabord relu cette histoire presque oubliée 
                          par simple curiosité. Enserrée dans une 
                          gangue de considérations inutiles, elle était 
                          là, prête à être dégagée 
                          des scories qui létouffaient. Jai 
                          décidé dessayer. Cette fois, aucune 
                          hésitation: jai enlevé le prêchi-prêcha, 
                          les répétitions, les italianismes, jai 
                          ralenti un peu le rythme des dialogues, pour, comme 
                          lavait suggéré Michel Dentan, obtenir 
                          «un roman, avec ses lenteurs, son relief propre
» 
                          Il ne fallait surtout toucher ni au déroulement 
                          ni à laction. Il fallait simplement être 
                          encore plus rigoureux dans langle choisi; cela 
                          supprimait aussitôt «le poids de trop dévénements» 
                          déploré par Michel Dentan. Cétait 
                          peu de chose : quelques heures de travail ont suffi.
 Jai appliqué de façon systématique 
                          une des « lois » du Nouveau roman, quen 
                          dautres termes les surréalistes ont également 
                          exprimées: finis le regard omniscient de lécrivain 
                          démiurge, lil qui voit dans la tête 
                          de tous les personnages, laffabulation psychologisante. 
                          Il faut un point de vue unique, celui du narrateur. 
                          Je crois que cest le seul moyen datteindre 
                          lauthenticité, même en adoptant la 
                          forme romanesque plutôt que lautobiographie.
 |  |   
                | 
                    
                      | La seule chose quil a fallu récrire, cétait 
                        la fin, qui était confuse et maladroite. Cétait 
                        un travail délicat, qui sest apparenté 
                        à une restauration  je tenais à respecter 
                        lesprit de lintrigue originale.
 Je ne voulais pas écrire un roman tel que je lécrirais 
                        aujourdhui. Je tenais à me limiter au travail 
                        quun lecteur de maison dédition aurait 
                        pu faire ou maider à faire en 1965, sil 
                        avait suffisamment cru aux possibilités de ce texte.
 Je nai rien changé au nom des personnages 
                          principaux. Je ne me souviens plus de comment je les 
                          avais choisis, mais je tiens à dire que toute 
                          coïncidence avec des personnes réelles ne 
                          saurait être que fortuite.
 Plusieurs choses mont frappée 
                          pendant ce travail de «nettoyage» et de 
                          remise en forme.Il y a dabord le caractère encore très 
                          répressif de la morale sexuelle, implicite mais 
                          terriblement réel ; puis le pacifisme caractéristique 
                          de laprès-guerre, rarement énoncé 
                          en tant que tel, toujours présent, et dont le 
                          corollaire était la volonté de se réconcilier 
                          avec une Allemagne devenue démocratique. Et puis 
                          on sent, dans ce récit entièrement écrit 
                          avant Mai 68, la révolte qui se prépare 
                          et qui allait, pour moi, exploser dans Gravé 
                          au diamant, écrit, lui, juste avant Mai 68. On 
                          ne veut plus être victime soumise. Les conventions 
                          ne sont pas immuables. Lavortement est un pis-aller, 
                          mais il est des circonstances où il lève 
                          lhypothèque qui pourrait peser sur deux 
                          vies. Les femmes travaillent, et le fait que dans ce 
                          récit cela aille de soi est per se une revendication.
 Il y a enfin le constat quil est impossible doublier 
                          les plaies de lâme provoquées par 
                          la violence des guerres; on peut sen accommoder, 
                          on peut finir par les intégrer, mais les cicatrices 
                          nen disparaissent jamais.
 Les corbeaux sur nos plaines 
                          a enfin trouvé un éditeur à qui 
                          je lai soumis timidement, pour ainsi dire symboliquement: 
                          jaurais compris quil ne le publie pas. Pour 
                          moi, le simple fait davoir donné à 
                          cette histoire la forme dont javais rêvé 
                          sans être capable de la réaliser, cétait 
                          comme si une affaire laissée en suspens aboutissait 
                          enfin. Le sac de regrets et de frustrations que, comme 
                          chacun de nous, je porte sur mon dos sen est trouvé 
                          allégé.Par ailleurs, Les corbeaux sur nos plaines tombe 
                          peut-être à point pour commémorer 
                          à sa manière lArmistice dont cest 
                          le soixantième anniversaire et la fin de la Deuxième 
                          Guerre mondiale, le plus grand carnage du XXe siècle. 
                          À sa modeste façon, il rappelle que, de 
                          Verdun à Berlin, de lAlgérie au 
                          Vietnam, de lex-Yougoslavie à lIrak, 
                          ceux qui vivent les guerres nen sortent jamais 
                          indemnes. Quels que soient leur nationalité, 
                          leur situation, leur âge, quils appartiennent 
                          au camp des vainqueurs ou à celui des vaincus, 
                          ils en portent à jamais les stigmates.
 Anne Cuneo Née à Paris à 
                          la veille de la Seconde Guerre mondiale, Anne 
                          Cuneo passe son enfance en Italie du Nord.Après la mort de son père en 1945, elle 
                          passe plusieurs années dans divers internats 
                          et orphelinats religieux en Italie dabord, puis 
                          à Lausanne où elle doit sadapter 
                          à la langue et à lenvironnement 
                          nouveaux. Après cette difficile période, 
                          elle passe une année en Angleterre, à 
                          Plymouth et Londres, et découvre la culture anglo-saxonne. 
                          Plus tard, elle puisera dans les souvenirs de ce moment 
                          décisif de son adolescence pour un roman plein 
                          dhumour et de fraîcheur, Station Victoria 
                          (1989). De retour à Lausanne, elle est dabord 
                          téléphoniste, puis étudie à 
                          lUniversité de Lausanne (licence ès 
                          lettres), apprend les métiers de la publicité, 
                          enseigne la littérature, voyage à travers 
                          lEurope.
 Éclectique, Anne Cuneo partage son temps entre 
                          la création dans presque tous les domaines de 
                          la littérature et le journalisme. Son uvre 
                          est animée par une participation spontanée 
                          aux courants modernistes. Lillustration de ses 
                          choix esthétiques apparaît dans Gravé 
                          au diamant (1967), Passage des Panoramas (1978), 
                          Hôtel Vénus (1984). Porte-parole 
                          des laissés-pour-compte dans La Vermine, 
                          elle introduit le monde des immigrés dans la 
                          littérature romande avec les deux volumes de 
                          son Portrait de lauteur en femme ordinaire 
                          (1980/1982). Elle évoque le milieu des malades 
                          dans Une cuillerée de bleu (1979) après 
                          avoir survécu à un grave cancer. Essayiste, 
                          elle dessine des portraits des milieux du spectacle 
                          dont elle se sent proche: Le Piano du pauvre 
                          (1975), La Machine Fantaisie (1976), Le Monde 
                          des forains (1985), Benno Besson et Hamlet 
                          (1987).
 Elle participe à des expériences cinématographiques 
                          et théâtrales. De lécriture, 
                          elle passe à la mise en scène et à 
                          la réalisation.
 Aujourdhui, Anne Cuneo ne met plus sa vie en livres, 
                          estimant quelle a raconté tout ce quelle 
                          a vécu de différent. Cette voix plus profonde, 
                          elle la prête à des personnages, qui sexpriment 
                          toujours à la première personne, telles 
                          les héroïnes de Station Victoria 
                          (1989) et de Prague aux doigts de feu (1990), 
                          ou le héros du Trajet dune rivière 
                          (1993, Prix des Libraires 1995), Francis Tregian. Anne 
                          Cuneo a publié en 1996 une suite indirecte au 
                          Trajet dune rivière, Objets de splendeur, 
                          où la figure attachante dun Shakespeare 
                          amoureux nous réintroduit dans lunivers 
                          du grand dramaturge.
 En 1998, Anne Cuneo publie son premier roman dit «policier» 
                          (mais quelle qualifie de «roman social»), 
                          Âme de bronze  suivi en 1999 par 
                          Dor et doublis puis en 2000 par Le 
                          Sourire de Lisa  où lon retrouve 
                          lenquêteuse Marie Machiavelli.
 Anne Cuneo collabore au Téléjournal à 
                          Genève et à Zurich, où elle demeure 
                          conjointement aujourdhui. Ses ouvrages, constamment 
                          réédités et traduits en allemand, 
                          sont tous de grands succès de librairie en Suisse.
   Anne Cuneo, Les corbeaux sur nos 
                          plaines, Bernard Campiche, 2005, 200 pages   |  |  |   
          |   Janine 
              Massard / Le jardin face à 
              la France
           |   
          | 
 
               
                |  
                    
 ISBN 2-88241-157-X | 
                     
                      | Le jardin face à la 
                          France est une forme de récit autobiographique, 
                          sans lêtre totalement.Janine Massard nous fait sentir, avec force et émotion, 
                          la vie quotidienne, durant la dernière guerre 
                          mondiale, dune petite ville suisse tranquille, 
                          Rolle. Et pourtant, la guerre est tout près, 
                          de «lautre côté du lac».
 Proche dun Henri Debluë (Et Saint-Gingolph 
                          brûlait), Janine Massard dresse le portrait 
                          dun grand-père hors du commun, qui ouvre 
                          les yeux de sa petite fille sur les désastres 
                          du monde, tout en laccueillant dans ce jardin 
                          qui restera un souvenir merveilleux dans lesprit 
                          de l'enfant.
 Dans son roman, Janne Massard évoque aussi les 
                          «oubliés» de la prospérité 
                          suisse, ces travailleurs de la terre qui peinent à 
                          sen sortir économiquement et sont prêts 
                          à tous les sacrifices pour y parvenir.
 Il ma fallu un temps 
                          infini pour mettre des mots sur toutes ces choses, pressenties 
                          ou ressenties. Elles sont revenues au moment où, 
                          glissant sur lautre versant de ma vie, je me suis 
                          retrouvée vivre dans une maison avec un jardin 
                          face à la France.  |  |   
                | 
                    
                      | Une gargouille sest mise à glouglouter, 
                          des gouttes ont jailli sur ma figure pour se transformer 
                          en mots. Jai détourné mon oreille 
                          de ce surgissement pour échapper au bouillonnement 
                          bredouillant. Je me suis alors tournée vers la 
                          terre et ce passé enfoui ma éclaté 
                          à la figure, il est remonté du plus profond 
                          de moi aussi, en images précises ou tremblées, 
                          en même temps que je me remettais à gratter 
                          cette terre, avec une sorte de furia, comme à 
                          cette époque lointaine où je cherchais 
                          en elle les antipodes
 car cest en elle que 
                          se sont fondus les morts, cest par elle que jentre 
                          en contact avec eux et cest vers elle que je retournerai 
                          un jour
 Janine Massard Originaire d'Yverdon-les-Bains 
                          et de Lucens, Janine 
                          Massard est née à Rolle. Elle commence 
                          des études de lettres à Lausanne mais 
                          les interrompt après trois semestres. Elle exerce 
                          alors divers métiers avant de se vouer à 
                          l'écriture.Son uvre comporte un recueil de nouvelles, un 
                          conte, une chronique, mais surtout des récits 
                          et des romans, parfois à trame autobiographique 
                          comme La petite monnaie des jours (1985), pour 
                          lequel elle reçoit en 1986 le Prix Schiller. 
                          Son essai Terre noire d'usine, qui reconstitue 
                          la réalité quotidienne des paysans et 
                          domestiques de campagne des régions industrielles 
                          du Jura, connaît un grand retentissement.
 Aux Éditions de l'Aire, elle publie Trois 
                          mariages, analyse de l'institution du mariage à 
                          travers les générations et les diverses 
                          couches sociales qui lui vaut le Prix des Écrivains 
                          vaudois. Ce qui reste de Katharina, également 
                          publié aux Éditions de l'Aire, obtient 
                          le Prix de la Bibliothèque pour Tous en 1998. 
                          Elle reçoit le Prix Édouard-Rod (2002) 
                          pour Comme si je n'avais pas traversé l'été, 
                          son huitième livre.
 Présidente de l'Association Films Plans-Fixes 
                          depuis janvier 2003, Janine Massard vit actuellement 
                          à Pully.
 Janine Massard, Le Jardin face à 
                          la France, Bernard Campiche, 2005, 240 pages   |  |   
                | Anne-Lou 
                  Steininger / Les contes des 
                  jours volés |   
                | 
 
                     
                      |  
                          
 ISBN 2-88241-158-8   | 
                           
                            | Pourquoi nous racontons-nous 
                                des histoires? Pour tromper la mort? Par peur 
                                du noir? Ou parce que la réalité 
                                ne suffit jamais à notre plaisir? Faire 
                                diversion et se divertir: cest lenjeu 
                                des Mille et Une Nuits que lon retrouve 
                                dans ces récits. Peut-on les appeler fables 
                                pour leur valeur dillustration ? Parler 
                                de fantastique en ce qui les concerne? Oui, mais 
                                dun fantastique de la perception  
                                et dune illustration par labsurde. Anne-Lou 
                                Steininger est née en Valais et 
                                vit actuellement à Genève. Elle 
                                est lauteur de La maladie dêtre 
                                mouche, Gallimard, 1996, qui a été 
                                adapté et joué au théâtre. 
                                En 1998, elle a reçu le prix de la Fondation 
                                Édouard et Maurice Sandoz pour son recueil 
                                de récits, Les contes des jours volés. 
                                Elle est également lauteur du Destin 
                                des viandes, qui a reçu en 2001 le 
                                prix de la Société genevoise des 
                                écrivains. Anne-Lou Steininger, Les contes 
                                des jours volés, Bernard Campiche, 2005, 
                                200 pages   |  |   
                      | Sylviane 
                        Chatelain / Une main 
                        sur votre épaule |   
                      | 
                           
                            | 
 
                                 
                                  | 
 ISBN 
                                      2-88241-161-8   | 
                                      
                                        | Variations 
                                            sur quelques thèmes, l'art, 
                                            la solitude, la mort, les textes qui 
                                            composent ce livre ont tous pour cadre 
                                            le même lieu, la même 
                                            maison. Les personnages de l'un se 
                                            croisent dans un autre. Chacun contient 
                                            en germe le suivant.Ni recueil de nouvelles ni roman, 
                                            ou alors lacunaire, puzzle à 
                                            assembler de différentes manières, 
                                            les pièces manquantes offertes 
                                            à l'imagination du lecteur, 
                                            à son bon plaisir.
 Sylviane 
                                            Chatelain est née à 
                                            Saint-Imier en 1950. Elle est mère 
                                            de quatre enfants. Son premier roman, 
                                            La Part d'ombre (1988), s'est 
                                            vu décerner le Prix Hermann-Ganz 
                                            1989 de la Société suisse 
                                            des écrivains et le Prix 1989 
                                            de la Commission de littérature 
                                            française du Canton de Berne 
                                            (traduit en allemand (1991): Schattenteil). 
                                            Son deuxième recueil de nouvelles, 
                                            De l'autre côté 
                                            (1990), a obtenu le Prix Schiller 
                                            1991. Un deuxième roman, Le 
                                            Manuscrit (1993; traduit en allemand: 
                                            Das Manuskript, 1998), a été 
                                            salué par la Critique. Son 
                                            recueil de nouvelles, LÉtrangère 
                                            et son dernier roman, Le Livre 
                                            dAimée (Prix Bibliothèque 
                                            Pour Tous 2003 et Prix 2004 de la 
                                            Commission de littérature française 
                                            du canton de Berne, décerné 
                                            également pour lensemble 
                                            de luvre), ont encore 
                                            élargi son audience. Sylviane Chatelain, 
                                            Une main sur votre épaule, 
                                            Bernard Campiche Editeur, 2005, 200 
                                            pages   |  |  |  |   
                      | Corinne 
                        Desarzens / Poisson-Tambour |   
                      | 
                           
                            | 
 
                                 
                                  | 
 ISBN 
                                      2-88241-162-6  | 
                                      
                                        | On ne connaît 
                                          pas ses proches. Rien de nos plus proches. 
                                          Je ne sais rien de mon frère. 
                                          Pas même sil préférait 
                                          le vert au bleu, ni ce quil mettait 
                                          dans son café. Ni le diamètre 
                                          de sa calvitie. Jaurais dû 
                                          monter sur une chaise, pour le savoir, 
                                          ou passer derrière lui, les rares 
                                          moments où il acceptait de sasseoir. 
                                          Il était grand, beau, brusque, 
                                          le poil acajou, de cette nuance que 
                                          nimporte quelle femme voudrait 
                                          avoir aujourdhui. Je ne lai 
                                          jamais touché. Parler vaut moins 
                                          que toucher. Nous navons jamais 
                                          parlé damour non plus. 
                                          Je ne sais pas combien de billets il 
                                          devait poser sur la table, ou serrer 
                                          dans un élastique, pour être 
                                          aimé. Je ne le connais pas. Il 
                                          pousse les jours dans sa vie inconnue, 
                                          quelque part où ils dégringolent, 
                                          comme les cartes postales qui glissaient 
                                          derrière le banc, par la fente 
                                          entre le mur et le bois, ne se retrouvaient 
                                          jamais. Et pourtant, dans cette vie 
                                          inconnue, il y a quelque chose que je 
                                          ne connais que trop bien. La cabane de pêche sent le métal 
                                          froid, le bois mouillé, le sang 
                                          et le vieux papier. Sur le répondeur 
                                          passe encore la voix de mon frère. 
                                          Son prénom na pas quitté 
                                          lannuaire. Il fait cru. Le sol 
                                          a été lavé à 
                                          grande eau. Au-dessus de la balance 
                                          pend un calendrier de papier recyclé, 
                                          vieux et neuf à la fois. Un calendrier 
                                          moche, sans fantaisie. Une typographie 
                                          de plaque dimmatriculation. Plusieurs 
                                          lundis de suite, un crayon a tracé 
                                          les lettres AA. En bas, il y a un post-it 
                                          collé dessus, avec deux numéros 
                                          de téléphone, le premier 
                                          encore au crayon, suivi de quatre chiffres, 
                                          un code bancaire peut-être ou 
                                          un numéro incomplet, lautre 
                                          au stylo.
 |  |  La balance penche un peu, 
                                équilibrée dun côté 
                                par une carte postale pliée en quatre. 
                                Sous la table seffondre une pile de journaux, 
                                contre une boîte de carton gris-vert. Je 
                                me demande à quoi correspond ce AA. Dagenda, 
                                non, il nen a jamais eu. Tu ne connais pas ta mère? mavait 
                                récemment demandé mon père 
                                dun ton acide. Tu prétends que
  Mais non. Elle non plus.
 À part quelle dit oui et non à 
                                la fois, toujours. Voilà ma seule certitude. 
                                À quinze ans, je retenais mon souffle près 
                                de la haie du jardin, sentant la présence, 
                                derrière, dune inconnue absorbée 
                                par larrosage dune salade, par une 
                                ficelle dans ses mains, par une pensée, 
                                une inconnue qui est ma mère, hésitant 
                                à manifester ma propre présence, 
                                inutile, savourant la délicatesse de ce 
                                moment bizarre, en faisant attention à 
                                ne pas respirer trop fort, de peur que même 
                                fermer les yeux fasse du bruit, quelle sursaute 
                                en poussant un petit cri.
 Je navais pas envie détaler 
                                les définitions de connaître. Il 
                                y en a tellement. Lenvie douvrir une 
                                porte. Et puis une porte derrière une autre 
                                porte. Se taire dans le noir. Côtoyer en 
                                détaillant les défauts, et continuer 
                                à aimer quand même. Vivre toute une 
                                vie en partageant le même toit mais pas 
                                forcément le lit, comme des étudiants. 
                                Tutoyer, alors que recule, encore, encore, cette 
                                troisième personne : lui, Frédéric.
 Sa vie inconnue. Les questions quil ne mavait 
                                pas posées. Ce que jaurais aimé 
                                lui raconter, avec des interruptions, juste pour 
                                me rendre compte sil était captivé 
                                ou non. Ferré, dirait le pêcheur. 
                                Mais cela aurait été impossible, 
                                de toute façon, depuis plusieurs années. 
                                Nous ne parlions plus. Avoir de ses nouvelles 
                                revenait à laisser la personne qui en donnerait 
                                tracer un geste dans lair, une courbe, un 
                                zigzag, un baromètre de santé. Calme, 
                                statu quo, avis de tempête, violence. Un 
                                bulletin de météo marine, plein 
                                dabréviations, aride, sans rien des 
                                hésitations du capitaine dedans.
 Troublant, aussi, de se sentir inconnu à 
                                soi-même en réalisant quil 
                                est à jamais impossible de se voir savancer 
                                dans une allée, ou séloigner, 
                                à jamais impossible de se voir soi-même, 
                                de dos. Seuls les jumeaux identiques le peuvent.
 Frédéric était un jumeau 
                                identique.
 Dans chaque vie grandit un sentiment dinsuffisance, 
                                sétalent les restes dune stupeur 
                                dorigine. De la peine? Non. Le souvenir 
                                diffus, plutôt, mais persistant de quelque 
                                chose quon est passé à côté 
                                sans voir, de quelque chose de négligé, 
                                doublié, de presque perdu. Et lémerveillement 
                                de ce qui continue à le faire bouger, quand 
                                on reste éveillé dans le noir, sur 
                                le dos, à sinterroger. Les yeux ouverts 
                                dans le noir, parfaitement bien et parfaitement 
                                désolés, maintenant que les mots 
                                senfoncent doucement dans le silence. Un 
                                silence deau et de nuit, les mots comme 
                                des pièces de monnaie tombant en spirale, 
                                très lentement, dans une fontaine porte-bonheur.
 Le corps de mon frère a éclaté.
 Je redoute le moment où les hommes en uniformes 
                                mettront la carte postale dans une pochette en 
                                plastique scellé, avec un numéro 
                                et la fiche didentité électronique 
                                de mon frère. Un il sur le AA pour 
                                le mémoriser, jemporte le post-it, 
                                la boîte de carton qui fait seffondrer 
                                encore plus les journaux, et je soulève 
                                la balance pour retirer la carte postale. Une 
                                carte postale que je lui ai adressée moi-même, 
                                il y a bien vingt ans. Un pont sur la Seine et 
                                deux danseurs. Une carte que je reconnais mais 
                                nai pas envie de regarder. Pas maintenant.
 Rassembler les morceaux est la moindre des choses 
                                que je puisse faire.
 Corinne Desarzens Née à Sète 
                                de parents suisses, Corinne 
                                Desarzens, licenciée en russe, est 
                                journaliste par passion: elle collabore à 
                                la Tribune de Genève et au Journal de Genève. 
                                Outre le journalisme, elle partage son temps entre 
                                les voyages, la peinture et l'écriture.Elle est l'auteur de trois romans, Il faut 
                                se méfier les paysages, Bleu diamant et 
                                Aubeterre, d'un essai, Deux doigts de 
                                prunelle dans un verre à bourbon, de 
                                deux recueils de récits, Carnet madécasse 
                                et Pain trouvé.
 Elle reçoit le Prix Schiller 1990, le Prix 
                                Jubilé 1991, le Prix Rambert en 2001 pour 
                                son roman Bleu diamant paru en 1998 et 
                                le Prix Bibliothèque pour tous 1995.
 Corinne Desarzens vit à Nyon où 
                                elle travaille à ses prochains livres et 
                                ses futures expositions. En 2003 a paru aux Editions 
                                du Laquet Sirènes d'Engadine.
 Corinne Desarzens, Poisson-Tambour, 
                                Bernard Campiche Editeur, 250 pages   |  |   
                      | Yves 
                        Rosset / Les Oasis 
                        de transit |   
                      | 
                           
                            | 
 
                                 
                                  | 
  ISBN 
                                      2-88241-163-4  | 
                                      
                                        | Les Oasis 
                                            de Transit est un projet littéraire 
                                            d«écritures en 
                                            voyage», en oscillation constante 
                                            entre le journal de voyage intime 
                                            et une forme exacerbée de reportage 
                                            littéraire. Sy donneront 
                                            à lire autant un récit 
                                            désirant traduire la nature 
                                            poétique de la magie du voyage, 
                                            quun essai réflexif sur 
                                            les conditions de celui-ci à 
                                            laube du XXIe siècle. 
                                             Se voulant écho incessant 
                                            dune expérience éperdue 
                                            décritures en chemins, 
                                            les Oasis de Transit devront, par 
                                            leur rythme et leur genèse, 
                                            rester ouvertes à ce qui les 
                                            pénétrera et sy 
                                            infiltrera, au fil du temps et de 
                                            la géographie parcourue  
                                            Les Oasis de Transit seront à 
                                            réaliser en trois étapes 
                                            de travail, auxquelles correspondront 
                                            trois formats décriture 
                                             Des carnets tenus tout au long 
                                            de lannée de la bourse 
                                            et qui constitueront le manuscrit 
                                            original remis à la FEMS  
                                            Des lettres électroniques adressées 
                                            à un interlocuteur fictif et 
                                            envoyées au fil des diverses 
                                            étapes parcourues. Conçues 
                                            comme un work in progress, ces lettres 
                                            alimenteront une chronique à 
                                            créer sur le site Internet 
                                            de la FEMS  Un récit 
                                            final intitulé «Oasis 
                                            de Transit» et destiné 
                                            à une publication rassemblant 
                                            un montage du matériel décriture 
                                            retravaillé. Un avant-propos 
                                            y décrira la nature du projet 
                                            ainsi que le cadre de sa réalisation. 
                                            Les trois derniers mois de la bourse 
                                            seront consacrés à sa 
                                            rédaction.  Pour réaliser 
                                            les «Oasis de Transit», 
                                            je veux effectuer trois genres de 
                                            voyages:  Des voyages de proximité, 
                                            relativement courts, autour de Berlin 
                                            où je séjourne depuis 
                                            douze ans: Pologne, Tatras, Mer Baltique. 
                                             Des voyages plus longs où 
                                            minvitent lamitié. 
                                            : Israël, Etats-Unis, Italie. 
                                             Des voyages durant les vacances 
                                            scolaires faisant sens pour ma famille 
                                            et pour moi: Japon, Suisse, Paris, 
                                            Turquie. Yves 
                                            Rosset, pour le Jury du Prix FEMS 
                                            2003 |  |  Né en 1965 à 
                                Lausanne  1989. Licence en psychologie à 
                                lUniversité de Genève  
                                1990. Déménagement à Berlin 
                                où il travaille comme cuisinier  
                                1991. Mariage avec Käthe Elke Kruse. Naissance 
                                de Edda Luisa  1991-1992, Travaille aux 
                                archives du quotidien «Die Tageszeitung» 
                                 1993-1995. Travaille comme homme au foyer 
                                et barman 1995. Naissance de Klara Odette 
                                 1996. Début détudes 
                                en littérature comparée à 
                                la Freie Universität de Berlin 1999. 
                                Organisation de concerts au Club «Maria 
                                am Ostbanhof» avec Käthe Kruse, Mutter 
                                et Mini Metal (Zurich), en collaboration avec 
                                Pro Helvetia  1999. Bourse Erasmus et séjour 
                                à Paris. Conférence dans le cadre 
                                du séminaire dHélène 
                                Cixous à lUniversité de Paris 
                                VIII sur une nouvelle dIngeborg Bachmann. 
                                Lecture au Centre Culturel Suisse à Paris, 
                                invité par Laurent Goei, Premiers travaux 
                                de traduction pour des galeries et pour un éditeur 
                                de films  2000. Stage de deux mois au sein 
                                de la rédaction «culture» du 
                                quotidien «Die Tageszeitung». Depuis, 
                                collaboration régulière sous forme 
                                darticles sur lart contemporain, la 
                                photographie et la musique électronique 
                                 2001. Prix Georges-Nicole. Publication 
                                du livre «Aires de repos sur lautoroute 
                                de linformation» chez Bernard Campiche 
                                Editeur. Magister Artium en littérature 
                                comparée. Travail de mémoire consacré 
                                au thème de la guerre dans «A la 
                                Recherche du temps perdu» de Marcel Proust. 
                                Participation à lémission 
                                «Jeunes auteurs francophones de Suisse Romande» 
                                sur France-Culture  Depuis août 2001, 
                                travaille comme écrivain, traducteur, journaliste, 
                                barman et réceptionniste  Prix Fems 
                                2002 (CHF 100000.-), à lorigine 
                                du projet «Les Oasis de transit». 
                               Yves Rosset, Les Oasis de 
                                transit, Bernard Campiche Editeur, 2005, 530 pages   Page créée 
                                le 04.10.05Dernière mise à jour le 04.10.05
 
 |  |  |  |   
          | © "Le Culturactif 
              Suisse" - "Le Service de Presse Suisse" |  |