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Rose-Marie Pagnard
Par Aline Delacrétaz

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  Rose-Marie Pagnard Un théâtre à soi

 

La narratrice de La Leçon de Judith le dit fort bien : nous sommes toujours à la merci d'un théâtre intérieur – le nôtre ou celui d'autrui. Chez Rose-Marie Pagnard, le lecteur, invité à abandonner d'entrée de jeu son propre théâtre intérieur, est à la merci de celui de l'auteur, monde scénographique, «  théâtre circulaire où les morceaux s'enchaînent aussi vite que les pensées  » . Non que ce monde soit décousu : bien au contraire, solidement campé dans l'art de la fabulation, il tourne et retourne avec constance, humour et gravité autour de quelques thèmes principaux qui se mêlent et se nourrissent.

L'un des plus importants est celui des arts. A une exception près ( Janice Winter ), tous les récits de Rose-Maire Pagnard ont pour protagonistes des artistes. Car l'art, pour reprendre la formule de Doris Jakubec dans sa postface à Le Collectionneur d'images , est « le grand vecteur de l'ailleurs », où « génie et folie voisinent dangereusement ». On le devine, la littérature y occupe une place de choix ( La Période Fernández , Figures surexposées ). Les arts plastiques, également, jouent un rôle prépondérant chez un auteur qui, depuis toujours, partage la vie du peintre René Myrha : Revenez, chères images, revenez met en scène un peintre, et Les objets de Cécile Brokerhof une jeune femme qui apprivoise le monde à l'aide des petits objets qu'elle façonne. Mais la part du lion, dans les récits de Rose-Marie Pagnard, revient à la musique : élément principal de Dans la forêt la mort s'amuse , de La Leçon de Judith ou de Le Conservatoire d'Amour , la musique, à l'essence « aussi insaisissable que celle du rêve » et qui pourtant « parvient à exprimer quasiment tout », traverse cette œuvre comme une respiration.

Un autre thème prégnant, chez Rose-Marie Pagnard, est celui des rapports familiaux. Toujours complexes, ces rapports vont de l'admiration sans discernement pour une figure souvent paternelle ( La Période Fernández ) à l'amour fraternel incestueux ( Le Conservatoire d'Amour ), du rejet du fou ou de l'intrus ( Janice Winter , Dans la forêt la mort s'amuse ) à la tentative d'accepter une sœur, adorée mais suicidaire et destructrice ( La Leçon de Judith , Janice Winter ). La famille au sens large est en effet, pour l'auteur, l' hortus conclusus idéal « où mettre en présence des cerveaux différemment construits et observer leurs interactions », tant il est vrai que « même au sein d'une famille unie, le mystère des êtres reste entier ». Et surtout parce que « s'apercevoir un jour que son enfant transparent et heureux de vivre abrite en lui son contraire est une épreuve presque indépassable pour les parents » : paroles qui, placées dans la bouche d'Ida, grand-tante de Janice Winter, disent le drame qui sous-tend tous les récits de Rose-Marie Pagnard depuis La Leçon de Judith et qui évoque avec une pudeur infinie, et sur des modes toujours différents, la disparition d'une fille de l'auteur.

Bien d'autres motifs ou sous-motifs pourraient encore être évoqués, la récurrence de la ville de Bergue - ou Felsberg - comme décor, par exemple, ou l'apparition fréquente d'un cigare torsadé au coin d'une lèvre paternelle.

Ce qu'il importe cependant de relever ici est que le grand fondement formel de l'œuvre de Rose-Marie Pagnard, et qui constitue la patte de l'auteur, est celui de l'absurde, du fantastique, du « merveilleux » - au sens médiéval du terme. L'œuvre entière est en effet peuplée de créatures singulières aux noms étranges (Pawel, Jospe, les Gesualdo-von Bock) ou imagés (le Maestro Feierlich, M. Winter et Mme Sommer, le peintre Wunderling), parfois directement issus de l'univers des contes (Hansel et Gretel, la Folie). Ces êtres énigmatiques, de science-fiction ou de jeu de cartes, forment une ronde de masques parfois inquiétante, mais pleine de poésie et de magie. C'est que l'univers théâtral est cher à l'écrivain, à qui il est arrivé de collaborer à des mises en scène de danse et d'opéra. Dans Janice Winter , d'ailleurs, seul de ses récits, on l'a dit, à ne pas avoir pour figure centrale un artiste, Janice représente précisément l'enfant créateur, « l'incarnation du génie de l'invention, le théâtre à l'état pur ».

Ainsi, une prose poétique musicale mêlée à l'utilisation d'un langage propre aux arts scéniques crée, au fil des récits de Rose-Marie Pagnard, une fantasmagorie, un théâtre fabuleux, une mise en scène permettant de tempérer la mélancolie des thèmes abordés. L'auteur n'attend pas de son lecteur qu'il adhère à ce monde, ni même qu'il y trouve ses repères : ce qu'elle lui propose est une expérience émotionnelle et esthétique, une manière de jeu théâtral pour mieux toucher à l'essentiel, pour aller voir ce qui se trame derrière les apparences, au-delà de ce qu'il suppose être la réalité. Car, fait-elle dire à l'un de ses personnages, « trouver le vrai visage de l'humain est l'affaire de toute une vie », mais « on ne peut prétendre écrire une seule ligne ni dessiner un seul doigt sans avoir une petite idée personnelle sur l'arrière du masque ».

 

  Entretien

 

Toute votre œuvre montre que vous entretenez un rapport étroit, intime avec la musique...

? Cela me vient de l'enfance, d'un éblouissement encore vif dans ma mémoire : je suis dans la salle à manger, seule, occupée à tripoter les boutons d'une radio que mon père vient d'acheter - un poste magnifique, en bois luisant -, et j'arrive à obtenir une fréquence avec de la musique, probablement instrumentale. Mon corps la reçoit alors comme un flot de caresses, comme si j'avais soudain eu des petits coussins sous les pieds et le long de la colonne vertébrale. Et ce flot arrive au cerveau : instinctivement, je marque le rythme, et je me rends compte que je suis quelqu'un et que je bouge !

Après cette découverte, je n'ai plus pu me passer de musique. Nous n'avions pour ainsi dire pas de disques mais la radio diffusait beaucoup de musique classique - qui, je ne sais pourquoi, était celle qui m'enthousiasmait. Je pleurais, je riais, je faisais des pirouettes, des sauts, des bonds, presque nue sur le plancher qui craquait. Parfois, au contraire, je m'accroupissais dans un coin pour mieux écouter, me demandant comment était faite cette musique, à quel miracle tenait tant de beauté ! La musique et la danse étaient donc liées, chez moi, dès l'origine. C'était physique, et c'était un monde à moi, auquel les autres - par exemple mes parents, à qui je n'en ai jamais parlé - n'avaient pas accès.

Ce n'est que plus tard, vers douze ans, que j'ai commencé le violon, grâce à une institutrice violoniste qui m'a proposé de faire partie de l'orchestre de mon collège, à Delémont. Ma mère, dont j'ignorais jusque-là qu'elle avait joué du violon et du piano, avait conservé son violon : nous l'avons échangé contre un trois-quarts, j'ai pris des cours et suis entrée à l'orchestre. J'ai abandonné la pratique vers l'âge de vingt ans, mais tout cela m'a conduite un peu plus loin dans le monde mystérieux de la musique. En jouant, je retrouvais cette expérience physique de l'écoute et mon imagination fonctionnait à plein, comme fouettée par cette beauté absolue.


Et la littérature ?

? C'est plus tard, vers treize ans, que la magie du livre est venue s'ajouter à celle de la musique et de la danse. Au collège, j'aidais à ranger les livres et avais ainsi obtenu le privilège de pouvoir en choisir et en emmener à la maison, où nous en avions très peu. Le charme a immédiatement opéré : un livre, c'était à nouveau pouvoir me retirer, être seule avec un monde à moi, un monde à rêver et à transformer. C'était comme si l'on semait pour moi une poudre d'inventivité qui se mettait à produire des choses merveilleuses. Ma mère s'est faite ma complice : à chaque anniversaire, à chaque Noël, j'ai reçu un livre. Lorsque j'avais environ quatorze ans, elle m'a également offert un carnet, avec une couverture de cuir et une serrure, dans lequel j'ai couché mes premiers textes. Des poèmes, aux titres plutôt sinistres pour mon âge : « La Toussaint », « Le Carrousel des Saisons »… Je les avais montrés à mon professeur de français, qui m'en avait fait lire certains en classe.

Pour résumer les choses, la musique, la danse, la littérature – et le chant, aussi, que j'aimais beaucoup : c'est comme si les muses étaient tombées d'accord pour me mettre dans l'embarras. Mais la littérature l'a emporté, et je ne saurai jamais pourquoi.


Littérature et musique restent cependant, pour vous, très liées.

? J'essaie du moins de les faire coïncider. L'une et l'autre procèdent du plus grand mystère mais suivent des règles strictes. L'une et l'autre connaissent des modes, des époques, mais se transmettent par un type d'écriture bien précis, des signes qu'on ne choisit pas au hasard. En littérature comme en musique on développe une mélodie, des sous-mélodies, des accompagnements, des variations, des ornements. Le compositeur et l'écrivain sont confrontés aux mêmes questions et doivent tous deux s'immerger dans leur monde sonore intérieur pour le transcrire. Cependant, la grande différence entre les deux arts réside dans le fait que le travail de l'écrivain reste, alors que la musique est une émanation du monde hertzien qui se matérialise, que l'on entend et qui s'en va. L'écrivain, lui, n'a pas besoin d'un interprète pour faire vivre son texte.

Je tente donc de faire coïncider littérature et musique, mais comment traduire la musique par des mots ? Comment suggérer un piano dans un texte ? Et un da capo ? Comment donner l'idée d'un leitmotiv, d'un refrain ou d'un sous-motif ? Un point d'orgue, par exemple, est une note qui se prolonge, vous conduit un peu plus loin puis, tout à coup, vous lâche : l'espace et le temps y sont convoqués ensemble. Difficile à rendre par le langage !

Pour ma part, je tâche de composer ma langue comme une musique, de la faire chanter dans l'esprit du lecteur, de développer un certain nombre de sous-motifs autour d'un motif principal. Parfois, je donne même à mes textes une forme ouvertement musicale. C'est le cas par exemple du Conservatoire d'Amour , récit conçu à la manière d'un opéra : une introduction donne déjà les clefs de tout l'ouvrage, suivent trois actes – incarnés par trois journées -, et enfin vient le Finale , où tout le monde se retrouve, comme dans un opéra de Mozart.


Au nombre des arts qui vous sont chers, vous ne citez pas la peinture alors que vous avez un monde très visuel et que vous vivez et travaillez avec un peintre…

? Curieusement, je n'ai jamais été attirée par la peinture. La littérature et la musique sont venues à ma rencontre, alors que les images avec lesquelles je joue sont mes images à moi, éveillées au contact d'images parentes ou amies. La peinture abstraite me touche donc très peu : j'aime au contraire les histoires imagées avec des personnages, des ambiances, des couleurs, des thèmes. J'aime la mise en scène, la tromperie, le roman concentré en une seule image. C'est pourquoi je trouve fascinant de voir chercher et travailler René Myrha. Nous allons d'ailleurs tenter de réaliser à Neuchâtel, en 2010, une exposition à la fois rétrospective et de création basée sur son monde pictural et sur mes textes.


Quant à votre passion pour la danse, elle ne transparaît dans aucun récit.

? La danse, pour moi, est plutôt une discipline, une harmonie des gestes où toute violence est contenue. Après la mort de ma fille, j'ai eu le sentiment de ne plus avoir droit à cet art. Mais j'en fais tous les jours un peu, dans mon coin, pour garder la forme et pour m'ouvrir l'esprit sans mots, avec une autre partie du cerveau, un peu comme d'autres jouent de la musique avant d'écrire.


Vous avez cependant collaboré à la mise en scène d'un
Egmont dansé, ainsi qu'à celle de deux opéras, La Damnation de Faust et Parsifal , et votre œuvre a un aspect éminemment scénographique. Qu'a représenté pour vous cette expérience de la mise en scène ?

La mise en scène est pour moi fascinante. Elle est source de grande frustration puisqu'elle a pour ambition d'offrir au public un produit fini réalisé grâce à un travail d'équipe où se mêlent et s'équilibrent les savoirs : on ne peut donc pas y faire valoir son imagination comme lorsque l'on travaille seule, dans le secret de son bureau. Mais elle est fascinante parce que j'aime infiniment l'interaction entre ce qui se joue sur une scène et ce qui se passe dans le regard du spectateur. Et puis, j'adore jouer la comédie ! Avec l'écriture, d'ailleurs, j'essaie de me provoquer moi-même, de me faire mon théâtre à moi. Souvent, le matin, je commence par relire une page qui me paraissait bien la veille : soudain, parce que rien en elle ne me surprend, elle me semble médiocre. Mon vœu le plus cher est de me surprendre, de dénicher dans chaque page au moins une étincelle d'étonnement.


C'est en effet un véritable théâtre intérieur que vous offrez au lecteur, une expérience déroutante qui le précipite dans un monde inédit. Vous faites d'ailleurs fréquemment usage du « merveilleux » - pour user d'un terme propre à la littérature médiévale -, de l'univers des contes, où tout est possible.

? Rien n'est jamais assez fou ! Je ne cherche pas à m'éloigner de la réalité, mais ce qu'est cette réalité échappe de plus en plus à ma compréhension. Je fais cependant très attention à ne pas enlever au lecteur tous ses repères, à ne pas le décourager d'emblée. Aller trop loin dans le « merveilleux » est dangereux, même s'il faut bien admettre que tout ce qui paraît impossible serait en réalité tout à fait possible dans la vie réelle. Il faut conserver des jalons, des îlots de vraisemblance parmi lesquels il est ensuite possible de naviguer avec plus de liberté. Ce n'est évidemment pas avec ces jalons ordinaires que je cherche à me surprendre mais dans les marges – même si ces marges, chez moi, prennent la place principale.

En ce qui concerne la forme, j'essaie d'aller de plus en plus à l'essentiel, d'élaguer pour laisser de l'espace au lecteur, d'utiliser un langage d'autant plus expressif qu'il sera plus simple. Ce qui m'importe avant tout, cependant, est l'intrigue, une intrigue que le lecteur puisse suivre. Et j'aime qu'y soient mêlés le tragique et le comique, la gravité et la légèreté. Mais, pour ne pas lasser le lecteur par des propos trop sombres, je détourne cette gravité par des scènes « merveilleuses », fantastiques, ou encore de carnaval.


Le masque, d'ailleurs, est omniprésent dans votre œuvre.

? C'est qu'un autre thème me tient particulièrement à cœur, qui est celui du mensonge. Mensonge et Vérité sont comme deux masques superposés, qui se fondent l'un dans l'autre. Le masque exprime magnifiquement le fait qu'au cœur de chaque mensonge se loge peut-être la vérité, et vice-versa. Dans chacune des mes histoires, un personnage a menti, triché ou gardé un secret par devers-lui. Avec pour conséquence l'injustice et le sentiment qui en découle, essentiel mais peu fréquent aujourd'hui, de la compassion. Pour moi, la compassion est une forme de lucidité fondamentale, la capacité à saisir qu'un personnage qui a mal agi était peut-être destiné à cela par une convergence d'éléments, une déficience mentale ou physique, son passé, son entourage… Revenez, chères images, revenez a pour thème une injustice absolue : une innocente jeune fille est tuée par un chauffard. A l'origine, je voulais comme tout le monde que mon chauffard soit puni. J'ai réalisé ensuite qu'il n'était pas responsable de ce drame : ce n'est donc pas la punition qui prime à la fin, mais bien la compassion.


Plusieurs de vos personnages sont, justement, des innocents. Mais vous montrez également qu'un être mentalement ou physiquement fragile est un intrus, qui dérange, qui provoque le rejet.

? Etre différent, c'est être fragile. Dans Janice Winter , le cousin Horst, malade psychique, est un intrus, aussi bien dans sa famille que dans le monde. Quant à Cécile Brokerhof, pourtant saine d'esprit, elle façonne des objets bizarres, incompréhensibles pour autrui. L'intrus dérange, inquiète, et déclenche des réactions et des événements que l'on n'attendait pas. Dans mes récits, le thème de la compassion est également très prégnant pour ces êtres à l'existence fermée, que l'on n'arrive pas à comprendre, et c'est pourquoi j'aime et admire beaucoup le tailleur Félix de Dans la forêt la mort s'amuse  : lui accepte et aime le Maestro Feierlich comme il est, alors que c'est là un être odieux, qui a tenté de tuer son propre enfant. Cet amour de Félix pour le Maestro est une très belle forme d'amour, car aimer, c'est aussi accepter en l'autre des choses peu brillantes, voire franchement répugnantes. C'est trouver la perle dans le magma que forme un individu, c'est se dire que trois petites cellules de cet être-là sont un trésor unique qui en rend le reste acceptable. Au fond, si je devais résumer tous mes livres, je dirais qu'ils sont une imagination de l'amour.

La même démarche vaut pour la mort. J'en parle souvent, peut-être parce que notre fille aînée est décédée. Je ne crois cependant pas que cela soit ressenti comme morbide par mes lecteurs, car la langue me permet de donner une dignité, une couleur et une luminosité à cet élément dramatique que chacun préférerait ignorer mais qui fait partie de ma vie. A mes yeux, rien ne doit apparaître de manière trop naturaliste, au premier degré, sans bonté. Il est même possible de noyer un propos grave dans du comique, du burlesque, comme si on réalisait un emballage précieux pour des choses qui sont monstrueuses : ce n'est que lorsque le monstre est enrubanné que l'on peut le supporter et vivre avec lui. C'est une sorte de beauté, une forme de spiritualité, à laquelle on atteint par un langage qui peut donner une impression de légèreté.


Les noms de lieux ou de personnages, bizarres, originaux, forment eux aussi un univers indéfini, semi-symbolique, parfois amusant…

? Cela m'ennuie tout simplement infiniment de baptiser l'un de mes personnages Pierre ou Paul. L'ennui joue un grand rôle dans la vie des écrivains, vous savez ! En réalité, je tiens surtout à ne pas donner l'idée qu'il s'agit d'un lieu précis, d'une culture précise. De plus, sans le vouloir, je reprends des personnages ou des lieux apparus dans de précédentes histoires. Dans mon prochain texte, par exemple, je retrouve un personnage de La Période Fernández et cela se passe à Bergue, la ville de Dans la forêt la mort s'amuse et de Revenez, chères images, revenez . C'est un cercle cohérent, un monde que j'explore.


Vous donnez régulièrement des chroniques littéraires et vous mentionnez souvent, dans vos récits, l'écrivain Alberto Savinio. Quels sont les auteurs qui comptent pour vous ?

? Ceux qui n'ont peur de rien, les paradoxes, les trompe-l'œil ! Alberto Savinio, en effet. Mais surtout les auteurs du Nord, Torgny Lindgren, Karen Blixen. Et puis Hermann Burger, bien sûr, dont j'ai préfacé Diabelli [dans l'édition Actes Sud/L'Aire, 1991, traduction française de Gilbert Musy, ndlr ]. Un vrai fou du verbe, l'invention éblouissante à l'état pur. J'aime également beaucoup W.G. Sebald. C'est très différent, plus classique, composé de longues périodes, mais avec une poésie et une intelligence des mots remarquables.

En somme, je déteste le conformisme mouton et j'admire par-dessus tout la liberté d'invention. Adieu ratio , vive la folie ! La répétition est certes ce qui fait une voix, mais ce qui donne un ton à un écrivain est sa capacité à aborder un thème sous un angle de vue différent. Il faut tout de même qu'il y ait une cohérence dans cette folie, mais les feux d'artifice de l'invention sont une des plus belles réussites de l'esprit de l'homme.


Reprendre la mise en scène d'opéra ou de théâtre serait-il un souhait, un bonheur pour vous ?

? Non. Je dois être lucide, je n'ai plus beaucoup de temps à disposition. L'aventure a été passagère, très enrichissante mais, pour moi, c'est l'écriture qui compte. Le temps passe vite et nous avons vécu des choses qui ont usé notre potentiel énergétique. Il faut savoir ce que l'on veut avec ce qui nous reste de temps à vivre. Moi, j'aimerais dire encore des choses, mais tout simplement avec des mots.

Propos recueillis et recomposés par Aline Delacrétaz

- Dans l' édition papier de Viceversa, ce dossier est assorti d'un texte de création inédit ou en traduction inédite
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