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Editorial

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Depuis plusieurs années, notre revue chante la richesse transculturelle et plurilingue des littératures helvétiques. Est-ce à dire que nous préférons la célébration au débat, les accords aux désaccords ? Nos dossiers forment-ils une iconostase compassée à la gloire de nos preux littérateurs confédérés, en odeur – comme nous-mêmes – de sainteté multiculturelle ? Viceversa Littérature produit-elle un discours de circonstance au pays du consensus ?

Une revue littéraire acquiert son sens et témoigne de sa vigueur non pas tant par le prestige des auteurs qu’elle présente qu’à travers sa capacité d’établir des liens et des relations, de stimuler des rencontres et des débats, sans nécessairement passer par la polémique – ce qui n’exclut pas à l’occasion de secouer le poirier. Si la littérature invite à l’approfondissement, au calme, si sa démarche passe le plus souvent par le silence et la solitude, son essence même est paradoxale : « le poète est en même temps un maillon dans la chaîne de la tradition et un élément isolé, lié et libre, dépendant et aventureux », affirme le Romanche Andri Peer dans les pages qui suivent. En mettant en scène, de façon fort simple, les différences entre les personnalités, entre les langues, entre les milieux, nous voulons dépasser la simple déclaration d’un principe civique de tolérance polie. C’est justement le particulier qui nous intéresse, l’irréductible, l’individuel. Ce qui, lorsqu’il se fait langue, lorsqu’il se fait livre, distingue l’écrivain, devient style, démarche, parcours. Et nous interroge alors à notre tour. Les auteurs présents dans ce volume reflètent de façon manifeste cette liberté, cette singularité des cheminements : Jürg Laederach traduit en écrivant ou écrit en traduisant ; Eveline Hasler cherche dans ses romans le point de jonction entre histoire et psychologie ; Jürg Schubiger interpelle les adultes en écrivant pour les enfants ; Rafik ben Salah invente un français mêlé de sons, de tournures, de personnages et de paysages sortis de sa Tunisie natale ou du sac à histoires oriental, mais se promet dorénavant d’être un auteur suisse jusque dans ses sujets ; Tim Krohn se présente comme un auteur postmoderne, artisan d’un mariage inédit entre la langue de Goethe et le dialecte glaronnais…

Quant à nos deux dossiers thématiques, ils ne sont pas particulièrement sereins. Les littératures des langues minoritaires de Suisse semblent en difficulté. Les conditions dans lesquelles se développe la littérature tessinoise soulèvent beaucoup de scepticisme dans nos pages. L’avenir des lettres romanches paraît lui aussi problématique : cette expression d’une si petite population, dont la langue s’érode à la suite du mode de vie paysan et montagnard autour duquel elle a construit son identité dans le siècle écoulé, saura-t-elle se réinventer ? Le dossier sur les lieux imaginaires de la littérature suisse, enfin, entre commentaires
et créations, dessine une carte où la Suisse ne se trouve pas toujours là où on l’attend.

Le numéro s’achève, comme chaque année, avec une vue d’ensemble de l’année littéraire écoulée dans toute la Suisse. Il ne s’agit pas là d’un annuaire – encore que nous aspirions à l’exhaustivité, pour inatteignable qu’elle soit. Nous proposons plutôt des regards critiques assumés, au nom d’une rédaction et d’un réseau de collaborateurs qui aiment débattre, et aussi, assurément, valoriser des littératures toujours plus foisonnantes qu’on ne le croyait.

Le comité de rédaction

 

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