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Corinne Desarzens
Par Elisabeth Vust

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   « Je suis tout ce que je rencontre »


Regarde et tu verras, lit-on en filigrane des textes de Corinne Desarzens, qui élabore depuis une vingtaine d'années une œuvre d'une rare liberté créatrice, reliée au monde concret et à l'imaginaire. Le génie à capter l'esprit d'un lieu de cet auteur, ainsi que son art de la digression et sa curiosité encyclopédique rappellent cet autre artiste inclassable qu'était Charles-Albert Cingria. Celui-ci figure notamment dans Je voudrais être l'herbe de cette prairie, tour d'Europe en train avec des écrivains pas toujours vivants pour humer l'herbe des villes et des champs, cette « bête » herbe que « les scientifiques détestent » et « classent en latin, brin par brin ».

Tantôt caressants, tantôt griffeurs, les mots de Corinne Desarzens fusent, tourbillonnent, jouent à saute-mouton avec les clichés ou alors suspendent le temps, pour saisir un éclat de beauté, de rire, de mélancolie. Cette femme aux semelles de vent, née dans le midi de la France de parents suisses, vit aujourd'hui dans le canton de Vaud. Polyglotte, licenciée en russe, elle a situé son premier roman, Il faut se méfier des paysages, dans l'Irlande des XIXe et XXe siècles. Depuis cette parution, elle mélange si intimement vie et fiction que « la vérité n'a qu'à bien se tenir ». Il est en outre difficile de qualifier ses livres d'essais, de récits , de nouvelles ou de romans ; prose poétique conviendrait mieux, mais elle même n'accorde pas d'intérêt à la question des genres.

Le détail est restitué dans sa valeur sensorielle. Il condense et reflète le monde. Corinne Desarzens observe avec acuité, toutes portes de son corps ouvertes, tous ses sens à l'affût, les six, car son intuition est bavarde. Alternant les focales, elle passe du minuscule au panoramique, de l'ellipse à la digression. Avec elle, une manière appelle son contraire : un dîner de roi réclame une semaine d'ascèse, une vie de moine une semaine de folie, une tragédie une comédie. Quant à ses images, certaines sont jubilatoires - aux Grisons, les gazons sont si drus qu'on peut les « manger des pieds en buvant le ciel » -, d'autres sont des « coups de poing sur le tambour de l'âme » — une formule qu'elle emprunte à Cingria. « Dans la famille, nous avions l'amour silencieux. C'était un œuf frais au bord d'une table, qui vacillait au bord d'une marche d'escalier », note-t-elle dans Poisson-Tambour, livre dédié à l'un de ses frères qui s'est suicidé. Dans ce récit bouleversant et hypnotique, l'auteur prête sa voix au mort afin qu'il conjugue enfin le verbe être. Cette démarche d'identification est formulée dans deux précédents titres conçus en miroir, Je voudrais être l'herbe de cette prairie et Je suis tout ce que je rencontre où des fils narratifs soyeux s'enroulent autour de l'araignée.

Les verbes être et rencontrer disent bien la démarche de Corinne Desarzens. L'intitulé de son dernier recueil, Le verbe être et les secrets du caramel, suggère par ailleurs l'existence de liens subtils ou secrets entre les choses. Il souligne également l'importance de la gourmandise chez cette lectrice vorace et écrivain insatiable. « Il n'y a pas de fin à la tâche de connaître », écrit-elle dans Ultima latet, qui montre vingt-trois scènes de vieilles dames en vingt-trois heures, « la dernière sera silencieuse ». Les personnes âgées sont des coffres remplis d'histoires. Elle remplit les trous de mémoire amoureux d'une célèbre et excentrique galeriste genevoise dans Bleu diamant. Ce texte n'a ni la structure ni le souci de vérité d'une biographie, genre qui se limite souvent, note-t-elle, « à une suite de marches d'escalier bien balayées ». Corinne Desarzens ne met pas d'ordre où elle passe avec sa plume : elle éclaire une chose au milieu de milles autres avec d'insolites métaphores, citations et réflexions effervescentes. Il est donc préférable de laisser son esprit cartésien au vestiaire avant de suivre cette anticonformiste du verbe et de la pensée, à l'érudition sans préjugés. Ses textes renferment du vertige et font partager « ce tremblement devant ce qui est ».

Même dans les récits familiaux ( Aubeterre, Poisson-Tambour ), Corinne Desarzens garde sa malice et fuit l'introspection : elle se tourne vers les autres, les espionne, jusqu'à ce que l'appel du lointain soit trop pressant et qu'elle regarde par-dessus leurs épaules. « L'immobilité sent la loge de concierge » ; elle préfère l'odeur des cuisines de Lettonie ou le parfum d'un vin « pointu comme une flèche de clocher ». Dotée d'une grande capacité d'absorption, elle fait exister la vie qui grouille en elle, en l'écrivant, en lui donnant une forme.

Corinne Desarzens nourrit son imaginaire lorsqu'elle écosse des haricots, récolte des anecdotes autour d'elle, épie les rêves sur les visages. Chaque histoire ouvrant sur une autre, toutes celles qui ont enchanté les heures passées avec elle n'ont pas pu figurer dans l'entretien ci-proposé, ou alors seulement en une frise invisible.

 

  Entretien

- Je suis tout ce que je rencontre, ce titre d'un de vos recueil ne résume-t-il pas votre démarche littéraire ?

- Je suis, c'est le verbe être, mais aussi suivre. Depuis le début, il y a très peu de choses inventées dans mon écriture. Je trouve que la réalité est tellement passionnante et fascinante, qu'elle a toujours le dessus : elle ressemble à un jeu de pistes, d'où le verbe suivre. On est attrapé par une sensation, un événement, une chose ou une personne et après on remonte le fil : l'araignée, l'herbe (Je voudrais être l'herbe de cette prairie), une galeriste ( Bleu diamant) . Depuis quelque temps, je fais une quête autour du mot vin qui apparaît un peu dans Poisson-Tambour. Derrière ce mot, il y a un univers. En somme, le monde c'est une porte, et derrière cette porte une autre porte, et derrière cette autre porte… Jusqu'à l'infini. On aurait besoin de beaucoup de vies pour les ouvrir toutes.

- Si l'on reste maintenant dans le verbe être, dire « je suis tout ce que je rencontre » vous permet d'être présente dans le texte en toute discrétion. En somme vous procédez par double fusion : en vous identifiant au sujet et en vous fondant dans le texte…

- Le but est d'éliminer les coutures. Il faut que le « je  se sente le moins possible, que le verbe être soit vraiment bien présent tandis que le « je » disparaît dans les décors. J'ai souvent l'impression d'être une sorte de petite usine de retraitement : toute la marchandise me passe à travers le corps. Je ne suis qu'un filtre.

- Cela rejoint une de vos affirmations : «  Tant que je ne l'ai pas racontée, tant que je ne l'ai pas écrite, la vie n'existe pas  » ?

- Tant qu'on ne la met pas en forme, la vie n'existe pas. Seul importe ce qu'on garde de la vie, ce qui a infusé. Tout retenir serait impossible. Quand j'écris, j'essaie de garder un fil rouge, une direction. Le travail d'un romancier, c'est d'orienter, comme Martin Suter qui compose toute l'histoire qu'il a dans la tête autour d'un élément de départ. C'est magnifique d'arriver à cela, je l'envie, je n'y parviens pas. Je procède vraiment tout autrement, cela se passe du côté des sensations et je me laisse sans doute trop envahir, mais c'est un processus nécessaire.

- Cette vie, mise en forme, mise en pages contient des images qui saisissent : « il touille nos vie avec une longue cuillère », « maladroite comme un oiseau mazouté ». Naissent-elles dans la douleur ?

- Non, elles tombent toute seules. Quant au texte, ce qui est gênant, c'est que l'histoire existe déjà entière dans ma tête. Tout s'organise avec une grande rapidité, même avec des variantes, alors que les mots mettent un temps fou à courir derrière.

- Dans Le verbe être et les secrets du caramel, vous distinguez les écrivains qui rétrécissent et ceux qui dilatent. D'un côté, Erri de Luca et son « art pauvre et bouleversant », chez qui l'impression tient en deux lignes. De l'autre, Dostoïevski, qui laisse « infuser », qui remplit « tout l'espace » à partir « d'une petite graine ». Votre écriture n'a-t-elle pas à voir avec ces deux styles, l'ascète et le profus ?

- Oui, il ne faut pas se priver du plaisir ni de l'un ni ne l'autre. Mais on ne peut pas aller complètement contre sa nature. Je suis vraiment mauvais juge, mais je trouve Poisson-Tambour plus maigre que mes récits précédents. Une phrase comme « on ne connaît pas ses proches », je ne l'aurais jamais écrite il y a vingt ans. Mais de toute façon, un tempo unique serait insupportable ; une manière appelle son contraire. Après Poisson-Tambour et sa tragédie, il fallait le sourire du Verbe être et les secrets du caramel, que j'ai conçu comme de longues lettres adressées à plusieurs destinataires. Quand je reçois une vraie lettre, je la prends contre moi comme si elle dégageait des ondes, et j'aimerais bien que cela soit la même chose avec ces lettres, qu'elles agissent comme un cataplasme. En sous-titre j'aurai pu mettre « expériences ». Pour l'écriture, j'apprécie aussi les tâtonnements, les failles. Un style trop parfait, celui de Marguerite Yourcenar ou de Pierre Michon, me glace autant qu'il m'impressionne.

- « C'est beau. À empêcher d'écrire à son tour », avez-vous dit de Pierre Michon...

- Oui, on est complètement ankylosé, ça paralyse. Ankylosé convient sûrement mieux que glacé.

- On vous compare souvent aux écrivains anglo-saxons et slaves, et un de vos éditeurs a dit qu'il serait vain de chercher à vous inscrire dans le contexte culturel de Suisse romande. Qu'en pensez-vous ?

- Oui, c'est vrai, mais je ne trouve pas ce rapprochement adéquat, surtout s'il implique un style intellectuel. Pour moi, l'écriture est vraiment un processus physique. Quant à la question suisse, il ne faut pas chipoter : je suis née en France, mais de parents suisses, j'ai étudié en Suisse, où j'habite, j'écris et où j'ai fondé une famille. Toute une culture suisse, donc. Mais je trouve tellement réducteur de dire « publication suisse ». Il y a les bons livres et les mauvais livres. Et il y a les affinités. Avec mes enfants, on lit Elias Canetti, Die gerettete Zunge, c'est un livre magnifique. Cet auteur est de culture très diverse, bulgare, anglaise, viennoise par sa mère. Une sorte d'homme puzzle, tels qu'on en trouve dans les zones frontières qui sont très intéressantes. Je fuis d'habitude les généralités, mais tous les Bâlois que j'ai rencontrés sont des gens que j'aime beaucoup, et je me sens bien dans cette ville en toute saison. Il y aussi les Grisons qui sont limitrophes avec l'Autriche, l'Italie, et si on regarde leur forme, on dirait – grosso modo – une petite Suisse dans la Suisse. J'ai découvert les Grisons tardivement, je n'y allais pas enfant. Au début, je me suis méfiée, parce que cette région paraissait trop belle, trop parfaite. On a l'impression d'être au Cachemire, au Bhoutan. Une splendeur. Mais c'est aussi un milieu réservé, pas facile à approcher, où l'on ne vous accueille pas bras ouverts. L'unique moyen pour entrer, peut-être pas dans le cœur, mais dans la moelle, d'un pays est la langue. Et la langue, c'est l'effort.

J'ai appris un des cinq dialectes du romanche, celui de Basse-Engadine, le vallader. Et l'on retombe sur l'idée des affinités, car je me suis tout de suite entendu avec l'écrivain romanche Leo Tuor, qui est lui aussi un homme puzzle. Il parle toutes les langues, est à la fois ascète et cosmopolite.

- Est-ce lui qui a participé avec vous au tour d'Europe en train évoqué dans Je voudrais être l'herbe de cette prairie, ?

- Oui, il y est surnommé « le Chinois » à cause de ses cheveux noirs raides et de son allure. C'était en 2000 à bord du train le Littérature-express avec cent trois écrivains. Pour la Suisse, il y avait aussi Christina Viragh. Entre écrivains suisses, on s'évitait au début, on était un peu comme des chiens de faïence, parce qu'on savait qu'on aurait l'occasion de se revoir facilement. Alors on préférait connaître un Turc, un Estonien, un Islandais… Ce qui départageait ces cent trois écrivains n'était pas les bons ou mauvais livres, mais l'ego. Certains sont vraiment sûrs de leur valeur, très fiers, accrochés à leur téléphone portable. Et il y avait les autres, beaucoup plus proches et sensuels, nez au vent. Parmi eux, un poète portugais qui était partant pour n'importe quelle aventure. Par exemple, lors du discours inaugural de Monsieur le Maire, on filait dans les cuisines avec lui, pour interroger les cuisiniers. Connaître les cuisines de Vilnius ou de Riga, c'est vraiment exceptionnel. Et c'est pour cela qu'on allait là-bas. Un réseau existe maintenant entre les cent trois écrivains. Cette année, j'ai repris contact avec le représentant islandais, qui est devenu exportateur de 2300 tonnes de saumon. Le Catalan écrit pour le Courrier International , qui publie des articles venant du monde entier. Voilà de nouveau l'image du puzzle.

- On est parti de la question de votre rapport à la Suisse, et nous voilà en Lettonie ! Je crois vraiment que cette question d'identité est caduque avec vous. Vous êtes tellement dans la rencontre…

- Complètement. C'est bien plutôt une affaire d'affinités avec les personnes, les contacts. Je crois qu'avec un inconnu, tout se joue dans la première demi-heure. C'est l'idée qu'il n'y a pas de hasard, seulement un ordre. Même contre notre gré, les choses se mettent en place. Mais je ne renie pas du tout mon identité suisse.

- Vos voyages ont nourri certains de vos titres, Madagascar (Carnet madécasse), l es Antilles (Pain trouvé), les Grisons ( Mon bon ami et Sirènes d'Engadine). Mais aucun « culte » du lointain ne vous habite, tant vos textes suggèrent que l'ailleurs, l'inconnu se trouve à deux pas de chez soi...

- Le lointain est là dès que vous quittez votre seuil, il peut être très proche. On dit qu'il y a les explorateurs et les exploraseurs, qui vous racontent leurs voyages aux soirées diapositives. Cela n'a aucun intérêt. Prendre un café, éprouver le froid, essayer une recette de cuisine, c'est cela qui est important. Lorsque je vais en Irlande, je me dis que je pourrais y vivre, mais je peux ressentir la même chose dans d'autres lieux. On retombe sur les affinités, qui évoluent d'ailleurs. J'ai appris de façon posthume que mon père s'intéressait au Japon – en ouvrant un placard chez lui, des objets japonais me sont littéralement tombés sur le nez. Cela correspondait à l'époque où je m'étais mise à étudier le japonais, sans avoir vraiment envie d'aller au Japon, j'avais des réticences. Mais là-bas, je me suis dit que ce serait un lieu de vie possible. Ça n'a rien à voir avec l'attrait de l'exotisme ou de la grandeur, cela peut être des endroits beaucoup plus proches, Bâle ou le village d'Aran, dans les vignes vaudoises.

- Votre père n'avait-il pas lui aussi l'esprit nomade, lui qui était représentant de vins ?

- Il se considérait comme un célibataire du mariage. Il était marié, avec une famille, mais sa vie idéale était de passer d'une région à l'autre en toute liberté. Il allait visiter à intervalles réguliers tous les producteurs d'une région. On entendait souvent le mot « élastique » en se demandant ce que ça voulait dire. C'était le baron de Lastic. On a jamais compris ce mot, qui était là comme un talisman. Mon père n'en disait pas plus, et c'est dommage. C'était un peu comme Tintin qui allait au château de Moulinsart, mais il ne nous racontait pas ce qu'il se passait derrière la porte du château.

- L'écriture vous permet aujourd'hui de pousser toutes ces portes. Vous avez écrit de nombreux textes courts, est-ce que ce choix de la brièveté vous est imposé par votre rôle de mère comme Corinna Bille qui a parlé de ce non-choix ?

- Je n'ai jamais pensé à cela sur le moment, et j'ai commencé à me poser la question il y a une année. Parmi mes textes « longs », il y a mon premier roman, que j'ai écrit lorsque je n'avais pas encore d'enfants. Aubeterre I et II pourrait très bien ne constituer qu'un seul récit, mais j'ai effectivement étalé leur rédaction parce que les enfants étaient là. Je crois que chaque femme écrivain aimerait avoir une femme à la maison, comme les hommes qui écrivent. À ce propos, il y aurait un magnifique sujet à étudier sur les chambres à part des écrivains. Si je n'avais pas eu une « chambre à soi » comme disait Virginia Woolf, je n'aurai jamais accepté d'avoir un mari, ni de vivre en famille. C'est très important, l'espace. C'est un luxe aussi.

- Et maintenant que vos enfants sont adolescents, avez-vous des projets de plus longue haleine ?

- Je n'aimerais pas que les enfants soient considérés comme des obstacles. Il y a simplement des cycles dans la vie. Pour l'écriture, j'ai toujours travaillé en miroir, soit en travaillant deux textes à la fois, soit en alternant les points de vue dans un même texte. Mon prochain livre sera un livre à double entrée, comme Les palmiers sauvages de William Faulkner ou L'Acacia de Claude Simon. Avec deux récits en alternance (a,b,a,b...) : l'un se déroule au Japon, l'autre ici. Ce sera un gros roman, j'en ai déjà 400 pages. Mais en choisissant une telle structure, je me mets déjà un handicap, car les français détestent ce genre de procédés. Et je ne cache pas que cela me ferait immensément plaisir d'être édité à Paris. J'avais proposé le manuscrit de Poisson-Tambour à une grande maison d'édition parisienne, qui s'est montrée intéressée. J'ai un très bon contact avec une des éditrices, qui a travaillé sur le manuscrit, avant que le comité renonce finalement à m'éditer. Malgré ce refus, cela a été une expérience enrichissante. J'ai besoin que l'éditeur intervienne sur le texte, qu'il y ait un va-et-vient, mais je ne trouve pas cette collaboration en Suisse romande, où l'on dirait que les éditeurs ont peur de vexer.

- Le fait que vos livres vous ressemblent et ignorent les frontières (géographiques pour vous, littéraires pour eux) est-il un deuxième handicap en France   ?

- Oui, ils veulent des romans, des histoires lisses. Et ils se moquent pas mal des langues étrangères.

- Votre premier roman important , Aubeterre , est la chronique d'une discorde dans votre belle-famille. Vous y écrivez : « il faut raconter pour comprendre comment on peut casser quelqu'un. Sans épée passée au travers du corps, sans forcément de coup de feu ni même de galopade. Tuer un peu chaque jour ». Ne retrouve-t-on pas ce propos dans Poisson-Tambour avec votre père qui maintient son fils sous « une cloche à fromage » ?

- Dans Aubeterre il y aurait pu avoir dix morts, avec toute la violence larvée du milieu agricole décrit. Mais la seule tragédie a lieu dans Poisson-Tambour avec la mort de mon frère. Son corps s'était habitué au pire, en était devenu dépendant, tout comme les corps des trois personnes autour de lui (mère, père, frère jumeau). Je n'ai pas de propension à la tragédie, au contraire, je suis plutôt du côté de la jubilation, des choses positives. Sans que cela tombe dans la pensée positive ! Mais il fallait que j'écrive l'histoire de mon frère.

- Vous êtes aussi une lectrice vorace. Lisez-vous tous genres confondus ?

- Je lis de tout, mais j'ai un peu de peine avec la science-fiction pure et dure qui se passe en 2080, à moins que cela soit très bien fait.

Avec l'ami qui figure dans Le verbe être et les secrets du caramel, on adore les gros livres, comme dernièrement le roman de Wesley Stace, L'infortunée, qui se passe pendant l'époque victorienne. Pour enchaîner après une telle épopée pleine de souffle, pourquoi pas un récit au style maigre éblouissant, comme l'opuscule de Philippe Claudel J'abandonne  ?

- Vous dites souvent « j'aurais adoré » (savoir écrire un livre policier, traduire Carson Mac Cullers )…

- Si on en faisait la liste, elle serait longue. Il y a des « j'aurais adoré » qui ne sont plus possibles (être un pianiste prodige à treize ans) et des « j'adorerais » qui le sont encore (traduire le Bâlois Daniel Zahno).

 

- Dans l' édition papier de Viceversa, ce dossier est assorti d'un texte de création inédit ou en traduction inédite
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