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A Tangui,

Toi, le grand Voyou, pointe-toi au rendez-vous, pesta Hugo contre le soleil.
Hargneux, le temps et sa mauvaise humeur se plaisait à persister depuis la nuit dernière.

Les yeux rivés au ciel, le nez collé à l'hublot, les oreilles tendues vers son poste de radio, Hugo resta enfermé dans la cale avant de son bateau comme un mulot dans un cachot.

A son poignet, une piètre breloque en caoutchouc gardée précieusement en souvenir de Tangui, indiquait midi.
Midi, au zénith devait-il être le Rigolo, grommela Hugo avant de sombrer à nouveau dans ses pensées enténébrées.

Dangereuse criminelle qui d'une vague mortelle emporta son ami Tangui, la mer coulait dans les méandres de ses méninges puis débordait de son cerveau pour se répandre dans ses veines glacées de désarroi.

Transi de froid par cette subite vague de désespoir, Hugo gonfla un gilet de sauvetage puis l'enfila sans plus attendre.

Il prit une des trois fusées de détresse, remonta sur le pont, puis l'alluma.
Le sourire de Tangui lui vint à l'esprit.
Il entendit alors des rires puis étouffa ses souvenirs.

Une larme, instantanément suivie d'une autre, se fraya un chemin à travers sa barbe de marin puis coula le long de son cou avant de disparaître, engloutie par les mailles de son pull en laine.
Hugo jeta un dernier coup d'œil sur la ligne de l'horizon puis redescendit aussitôt les trois marches le menant à l'abri.

La tempête s'abattait sur le pont et de l'eau parvenait à s'infiltrer dans la cale à travers les lamelles de bois.
Hugo enfila une cagoule imperméable, enfonça la visière sur ses sourcils et cessa de regarder à travers le hublot.

Marta, je ne tiendrai pas ma promesse, le moment est maintenant venu, dit Hugo d’une voix tremblante. Il se rappelait avoir croisé les doigts derrière son dos lorsqu’il promit à sa femme de rester en vie pour elle.
Sans plus attendre, il avala une pastille bleue, puis une deuxième puis toutes les autres.
Un tube entier de somnifères, gobé sans même prendre la peine d’ingurgiter un peu d’eau, bien trop pressé d’en terminer.
Sa peur fut immédiatement édulcorée.

Après tout, se dit-il, je suis avant tout un homme et ensuite un marin, peut-être bien courageux mais las, las d'être malheureux.
Il prit une photo punaisée au mur à côté d'un calendrier naval puis s’assit sur la banquette garnie d’un coussin brodé.
Un cadeau de Marta.
Ses pensées se promenèrent au-delà de l’image pour s’attarder au port d’un village.
Il vit Tangui assis en tailleur auprès d’un groupe de pêcheur.
Il recousait un filet déchiré par endroit et lui fit un signe de la main.
Soudain, Hugo ne vit plus rien.

Ses paupières lourdes clignèrent encore trois fois puis ne se relevèrent plus.
Sa mâchoire se relâcha, la photo glissa de ses mains puis atterrit dans dix centimètres d’eau.

Les prévisions météorologiques annonçaient une période d'accalmie à son poste de radio resté allumé depuis la nuit dernière.

Lorsque la mer arriva à la hauteur de ses genoux, l’Astre Royal pointait le bout de son nez enflammé à travers un gros nuage noir.

Toi, le grand Voyou, tu es en retard, même pour lui dire au revoir, criai-je rouge de colère.

© Sandra Arpa

 

Page créée le 10.08.00
Dernière mise à jour le 10.08.00

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