Le Retour
Le voir arriver de loin au
volant de sa voiture est à chaque fois un instant
singulier. Il arrive vite. Son regard s’accroche
à l’horizon, très loin. Il semble
à Maximilienne qu’il ne l’aperçoit
pas, qu’il l’a oubliée, qu’il
se trouve sur cette route par hasard. A chaque rendez-vous,
elle attend ce moment où, convaincue que Jérôme
ne l’a pas vue, elle se sent seule, isolée
et perdue, s'imaginant rester là, accroché
à ce rendez-vous manqué pour toujours.
Jérôme freine,
tourne son volant et s’arrête. Le sourire
satisfait qu’il arbore alors est comme un bijou
qui se faufile dans le cœur de la femme éprise
et l’emplit de bonheur.
C’est un soir de printemps.
La foule qui attend le bus est inhabituellement resserrée.
Le froid la rend compacte. L’endroit, agité
et sale, ne comble aucune attente existentielle, aucun
manque d’amour, de rêve ou d’imagination.
On y séjourne avec l’espoir de le quitter
au plus vite. On ne reste jamais un instant de plus
que l’indispensable dans cette prison à
ciel ouvert; sans murs, sans barreaux et sans gardiens.
Maximilienne se trouve dans la foule de ce soir de
printemps tristounet et froid.
Soudain, au loin, elle aperçoit
la voiture blanche qui s’avance, rapide et incongrue,
vers l’arrêt des bus. C’est l’instant
où tous les mouvements vitaux de son corps
s’arrêtent. Il est suspendu, hors du temps
et de l’espace, toutes cellules figées.
Plus rien ne circule, les échanges sont brusquement
mis en veilleuse. Chaque globule de son sang se glace.
Tous négligent leur rôle scientifique,
pourtant décrit dans des milliers d’ouvrages.
Pendant un infime instant elle rencontre la Mort,
si belle dans sa longue tunique noire, bordée
de fleurs d'un rouge sombre, comme des gouttes de
sang, éclatante de vigueur, fière et
sûre de son pouvoir éternel. Maximilienne
avance doucement vers le regard brillant et envoûtant
de la dame noire. Elle aime se retrouver dans les
bras de cette compagne d’un instant, approcher
son visage du sien et sentir son souffle froid sur
ses lèvres.
Avec l’arrivée
de Jérôme, un frémissement parcourt
l’assemblée. On recherche avec impatience
une explication à cette machine arrêtée
là à la place du bus. Une soucoupe volante,
peuplée de petits bonshommes verts ou violets
n’aurait jamais réussi à créer
un tel événement. D’ailleurs, les
engins interstellaires sont des hors-la-loi, tout
comme cette voiture blanche, arrêtée
là, à la place du bus.
© Viviane Mermoud
