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Atelier d'écriture du Département de français moderne
Université de Genève

Texte de fin d’année

« Vous n’auriez pas un franc ? »

Le vent du nord traverse le lac, franchit les quais et s’engouffre dans la rue. C’est une bise glaciale qui transperce jusqu’aux os. Noël approche et la rue est en fête. De loin, ses lampadaires forment deux lignes de lumière ; ils portent tous une étrange coiffe décorative : une sorte de cône en branchage de sapin entortillé de petites lampes électriques. Les arbres revêtent un feuillage lumineux et des ampoules pendent comme des pommes. « Vous n’auriez pas un franc ? » Les vitrines des boutiques regorgent de guirlandes, d’étoiles, de flocons, de sapins, d’anges… Tout est vert, rouge, blanc, argenté, doré… Des filets d’ampoules pendent des avant-toits, des cascades derrière les vitrines. La lumière sautille, danse… Noël arrive ! Un tram s’arrête, déversant ses passagers dans le flot de passants qui inonde les trottoirs des deux côtés de la rue. On change sporadiquement de côté, des vélos roulent entre les rails du tram, on se croise, on se suit. Les amoureux se tiennent la main, le bras, la taille en souriant. Des groupes d’amis avancent gaiement. Une petite famille essaie de se frayer un passage. Une autre rafale de vent. On se serre l’un contre l’autre, mais la rue est si joyeuse, si illuminée qu’on ne le sent plus. « Vous auriez pas un franc ? » Une fanfare de l’Armée du Salut joue une chanson de Noël, les passants continuent en souriant, sifflotant, chantonnant. La douce et alléchante odeur de marrons grillés envahit l’air. Noël arrive ! La nuit tombe sous le ciel gris, mais on ne le remarque pas dans la rue flamboyante. « Vous n’auriez pas un franc ? » On est en quête de cadeaux, imaginés emballés sous le sapin. Les enfants attendent, impatients de déchirer le papier coloré, et les adultes se souviennent de quand ils étaient enfants. La famille est en petit cercle autour du sapin, dont l’odeur enivrante et magique embaume l’intimité ; les bougies brûlent doucement. Quelqu’un raconte une histoire ou un conte. Seule lumière de la pièce, les bougies du sapin illuminent les visages émerveillés. Les décorations, sorties année après année, ramènent avec elles le passé. Un doux mélange d’effervescence et de nostalgie. Tout est magie et rêve… et souvenir. « Vous auriez pas un franc ? » Encore une rafale. Une vague d’air chaud s’échappe d’un magasin et s’aventure dans la rue avant d’être balayée par la bise. On y entre, la peau stupéfaite de la chaleur rougit. Il est rempli de jouets, d’enfants, de parents, de chocolats, de guirlandes, de pères Noël, de petits trains électriques courant sur des rails… Un vendeur s’avance vers le clochard, irrité et honteux : « Sortez ! Vous n’avez pas le droit d’entrer ici ! » Dehors la bise souffle toujours.

© Sébastien Heiniger

 

Page créée le 20.11.01
Dernière mise à jour le 20.06.02

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