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Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Bernadette Richard - Friedrich Dürrenmatt

  Bernadette Richard, Et si l'ailleurs était nulle part, L'Âge d'Homme, 2000

Un roman de l'errance

Avec son dernier livre, "Et si l'ailleurs était nulle part"*, c'est le roman d'une vie que nous donne Bernadette Richard : riche en péripéties et dense en émotions, c'est à la fois une roman d'aventures et un récit initiatique. À lire d'urgence.

Il y a des livres de circonstance et des romans qu'on porte en soi depuis toujours, comme une hantise ou un rêve irréalisable. Et si l'ailleurs était nulle part est de ceux-là, et cela se remarque dès la première ligne. Un ton particulier. Un récit qui s'engage très vite (et très bien) sur des rails implacables. Un univers, enfin, qui prend forme sous nos yeux avec ses personnages farouches et tourmentés, tous en quête d'un ailleurs introuvable.

Journaliste et chroniqueuse pour les arts plastiques (on lui doit, entre autres, un splendide hommage au peintre Luc Marelli**), auteur aussi de nombreux textes de fiction (romans, nouvelles, pièces de théâtre), Bernadette Richard a beaucoup bourlingué. Elle a vécu longtemps à Paris, avant de revenir en Suisse. Aujourd'hui, elle partage sa vie entre la Suisse (où elle est journaliste) et l'étranger (où elle écrit ses textes de fiction).

Zichka le rebelle

Le temps, voilà peut-être la matière principale de Et si l'ailleurs était nulle part. Non seulement parce que l'auteur a pris son temps pour l'écrire (plus de 16 années de travail), le reprenant sans cesse et le laissant mûrir, en ciselant chaque phrase méticuleusement, comme on sculpte une statue, jour après jour, pour lui donner sa forme définitive. Mais aussi parce que le temps est la matière mystérieuse de la vie de Zichka, le personnage central du livre, sans cesse hanté, appelé, convoqué par un ailleurs qui l'oblige à quitter ceux qu'il aime pour se laisser entraîner sur les routes du monde.

C'est ainsi que débute le livre : abandonnant son village dans les montagnes, ainsi que son enfant et sa mère de celui-ci, Zichka, appelé aussi le Rebelle (à cause des questions qu'il pose sans arrêt), se lance un jour à l'aventure. Pour suivre son chemin, que lui seul peut tracer, il devra affronter mille épreuves et mille tourments.

L'initiation

Première étape de ce voyage initiatique : le désert où Zichka, “ où les femmes vivent libres et sans voile ”, où la joie règne en maîtresse. À travers les rencontres et l'expérience, aussi, de la solitude, il réalisera avec tristesse que “ partout où il passe, il n'est qu'un étranger. ” C'est là, pourtant, que Zichka apprendra les rudiments du métier d'artiste qui lui permettront de tailler la pierre, et de tirer de la matière inerte des formes magnifiques.

Quittant tout à nouveau, Zichka s'embarque pour la cité de fer et de verre (qui ressemble fort à l'Amérique). C'est là, dans cette jungle “ organisée, chaotique, majestueuse ”, qu'il engage de nouveaux combats, politiques et sociaux. Il participe aux mouvements de contestation et se lie d'amitié avec un philosophe qui prépare la révolution. Mais dans le désert de cette ville, comme dirait Baudelaire, le temps s'étiole et le Rebelle a l'impression de tourner en rond. Riche de ses nouvelles expériences, il ressent à nouveau le besoin de partir.

Le retour qu'il amorce et qui va le mener “ chez lui ” n'est pas facile. Il comporte des doutes et des questions, des détours, aussi, qui le conduisent au bord de la folie. Et quand il reverra enfin les gens de son village, personne, ou presque, ne le reconnaîtra. Le voyage qu'il a accompli pour se construire — cette quête lente et difficile de soi-même — l'aura rendu comme étranger aux yeux des autres. C'est le prix à payer pour conquérir cet ailleurs que chacun porte en soi, mais obscur et souvent renié.

Avec Et si l'ailleurs était nulle part, Bernadette Richard signe un grand livre, à la fois ample et ambitieux, d'une écriture souple et tendue, comme une blessure à vif.

 

  Friedrich Dürrenmatt, Répliques, Zoé, 2000

Les répliques de Dürrenmatt

A l'heure où est inaugurée, à Neuchâtel, la Maison Dürrenmatt, les éditions Zoé ont eu la bonne idée de rassembler, sous le titre de Répliques, les entretiens les plus intéressants que l'écrivain bernois ait donnés à la presse. Classés en cinq sections (biographie ; la Suisse et l'Europe ; la Russie, Israël ; littérature , philosophie, métaphysique, art), ces entretiens excellemment traduits par Étienne Barilier sont un complément essentiel aux grandes fictions de Dürrenmatt.

Dans le jeu des questions et des réponses, l'écrivain se confie et livre ses profondes obsessions (l'argent, l'écriture, les femmes, la politique — dans le désordre). C'est un Dürrenmatt facétieux, à la fois distant et complice, qui se révèle ici. Il parle de son enfance, de son expérience de la guerre, de ses voyages, de ses maladies. C'est à la fois banal et singulier. Et toujours passionnant

Jean-Michel Olivier

* Bernadette Richard, Et si l'ailleurs était nulle part, L'Âge d'Homme, 2000
** Bernadette Richard, Luc Marelli ou le regard qui dénude, Kunstmuseum, Olten.
*** Friedrich Dürrenmatt, Répliques, Zoé, 2000.

Retrouvez les pages du feuilleton littéraire sur le site culturactif.ch avec toute l'actualité culturelle de Suisse, ainsi que sur le site www.jmolivier.ch.

Cet article de Jean-Michel Olivier
a été reproduit avec l'autorisation de la revue SCENES-MAGAZINE
http://www.scenesmagazine.com

 

Page créée le 04.11.00
Dernière mise à jour le 04.11.00

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