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Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Pascal Lainé - Corinne Desarzens - Nicolas Bouvier - Mousse Boulanger

  Pascal Lainé, La Dentelière, Fayard, 2000

Sacré Goncourt de Pascal Lainé

En littérature, le succès relève souvent du malentendu. Comme l’échec, d’ailleurs, dont il n’est séparé que par un fil. Pascal LAINÉ -Prix Goncourt 1974 pour son roman La Dentellière - part de ce constat pour nous livrer une réflexion passionnante sur la situation de la littérature aujourd’hui. Sous la forme d’un dialogue extrêmement enlevé (où abondent les clins d’œil au Neveu de Rameau de Diderot), Pascal LAINÉ nous montre comment le livre, devenu produit domestique et relégué, dans les grandes surfaces, entre le rayon lingerie et le rayon appareils ménagers, a perdu peu à peu de son âme, et peut-être de sa nécessité, étouffé qu’il se trouve, aujourd’hui, par le bavardage médiatique, le besoin de paraître, les modes qu’il faut suivre à tout prix. Avec une verve rare (mais point surprenante de la part de Lainé, grand écrivain), l’auteur démonte nos marottes contemporaines, pour rendre à la littérature ses lettres de noblesse - c’est-à-dire son inconvenance fondamentale. Massacrant au passage la pauvre Dentellière (“histoire à l’eau de rose dans laquelle je voulais atteindre à un tel niveau de niaiserie qu’on ne pourrait pas manquer d’apercevoir mon intention”) LAINÉ expose aussi son esthétique du roman, dans des pages magnifiques et risquées, souvent désopilantes d’ironie. À méditer, enfin, ce qui pourrait être la devise de tout écrivain : “Comment trouver sa place dans le spectacle, sous les projecteurs, quand on ne rêve que de se rendre invisible ” Un livre indispensable.

 

  Corinne Desarzens, Mon bon ami, L’Aire, 2000.

Mon bon ami de Corinne Desarzens

Cette femme écrit depuis toujours. Des livres inclassables, à mi-chemin du roman et de la poésie, de l'essai et du journal intime, toujours singuliers. Sa voix est douce, précise et bien posée, et reconnaissable entre mille. Son grand talent est l’expression — au sens pictural du terme — du monde matériel qui nous entoure, dont elle parvient à rendre la sensualité complexe, les saveurs sourdes et mélangées, les teintes incomparables. Son dernier livre, Mon bon ami**, est une suite de tableaux en paroles où la perception de l’instant est aiguisée au maximum, où le regard devient tactile à force d’attention, de sympathie, de questionnement, où le langage retrouve sa transparence. À chaque fois, un petit tour de force. Et un régal pour le lecteur. A savourer sans retenue.

 

  Nicolas Bouvier, Le Corps, miroir du Monde, Editions Zoé, 2000

Le Corps, miroir du Monde de Nicolas Bouvier

On sait que Nicolas Bouvier, grand voyageur devant l'Eternel et chroniqueur hors pair, se considérait moins comme un écrivain-voyageur que comme un chercheur d'images. Son vrai travail, sa longue passion fut de courir le monde en quête d'images singulières, obsessionnelles ou insolites. Pour la première fois, ces images sont réunies, et même doublement : dans une exposition (qui se tient à la fondation Verdan à Lausanne, jusqu'au 21 février 2201) et dans un livre, magnifique, qui vient de paraître aux Editions Zoé***. Impossible, bien sûr, de reproduire les milliers d'images débusquées par Nicolas. Un choix nous est donné, ici, des images les plus saisissantes, centrées sur le thème du corps. C'est tantôt la vision orientale d'un corps laminé d'inscriptions magiques, tantôt le corps occidental réduit à sa dernière expression : le squelette. Tantôt le corps souffrant, torturé, martyrisé qu'on fait sortir de lui-même, tantôt le corps glorieux qui rejoint l'éternel, dans le christianisme, par son humanité. Tantôt le corps réseau, dont les organes sont le modèle de toute communication, tantôt le corps malade ou fragmenté. Grâce à ce double événement (l'exposition et le livre) on remarque que toute l'œuvre de Bouvier est une interrogation obstinée sur le corps et ses pouvoirs.

 

  Mousse Boulanger, L'écuelle des souvenirs, L'Âge d'Homme, 2000

L'écuelle des souvenirs de Mousse Boulanger

On ne présente plus Mousse Boulanger, auteur d'origine jurassienne, mais vivant depuis longtemps à Mézières, dans le canton de Vaud. Son œuvre, à la fois abondante et secrète, compte plus de trente ouvrages : essais, contes pour enfants, récits, poésie. Elle est aussi d'une grande diversité. Avec L'écuelle des souvenirs, Mousse Boulanger revient à son enfance. Une enfance dont le cœur vivant (la maison) lui serait interdit. Seuls les mots, désormais, ont la clé de ces moments magiques, de ces lieux à jamais enchantés. Des images simples (“un sac d'école pend à la patère”) servent ici de repères à celle qui, comme Mousse Boulanger, fait l'archéologie de son enfance. Cette maison hantée, c'est également le lieu d'une rencontre qui ne se fait jamais, d'une longue attente toujours déçue. Avec beaucoup de sensibilité et de talent, Mousse Boulanger arpente ces lieux chargés de souvenirs, comme on autopsie un corps plein de cris et de larmes, mais qui ne vous appartient plus.

Jean-Michel Olivier

* Pascal Lainé, La Dentelière, Fayard, 2000.
** Corinne Desarzens, Mon bon ami, L’Aire, 2000.
*** Nicolas Bouvier, Le Corps, miroir du Monde, Editions Zoé, 2000
**** Mousse Boulanger, L'écuelle des souvenirs, L'Âge d'Homme, 2000

Retrouvez les pages du feuilleton littéraire sur le site culturactif.ch avec toute l'actualité culturelle de Suisse, ainsi que sur le site www.jmolivier.ch.

Cet article de Jean-Michel Olivier
a été reproduit avec l'autorisation de la revue SCENES-MAGAZINE
http://www.scenesmagazine.com

 

Page créée le 20.12.00
Dernière mise à jour le 20.12.00

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