| Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
 Pascale Kramer - Rafik Ben Salah
 
         
          | Les Vivants, Pascale 
            Kramer, Calmann-Lévy, 2000. |   
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                | D'un Lipp à l'autre Trois femmes restaient en lice, cette 
                    année, pour le plus important Prix littéraire 
                    de Suisse romande, décerné depuis 1988 par la 
                    brasserie Lipp de Genève : Gisèle Fournier pour 
                    ses Non-dits (éditions de Minuit), la très jeune 
                    Jessica Meller pour son Voyage sur un banc (éditions 
                    Zoé) et Pascale Kramer pour Les Vivants (Calmann-Lévy). 
                    C'est à la romancière la plus expérimentée 
                    (et sans doute la plus douée) que le Prix Lipp 2001 
                    a été attribué : Pascale Kramer. Née à Genève en 
                    1960, Pascale Kramer a publié ses premiers livres en 
                    Suisse, aux Editions de l'Aire, grâce aux bons soins 
                    de Jean-Luc Badoux : Variations sur une même scène 
                    en 1982 et Terres fécondes en 1984. Puis un silence 
                    de plus de dix ans avant Manu, roman publié à 
                    Paris et lauréat du Prix Dentan en 1996. Entre-temps, 
                    Pascale Kramer s'est installée à Paris où 
                    elle travaille comme conceptrice en publicité. Le Bateau 
                    sec (1997), puis Onze ans plus tard (1999) confirmeront encore 
                    un talent à la fois modeste et original, qui par les 
                    thèmes traités, comme par le style, refuse le 
                    spectaculaire et les faux-semblants.   Les vivants et les morts  Ainsi la construction de son dernier 
                    roman, Les Vivants*, est-elle à la fois singulière 
                    et saisissante : tout y est raconté dans les vingt 
                    premières pages, la suite n'étant, d'une certaine 
                    manière, que le développement muet de ce noyau 
                    fictif et dramatique. La tragédie est là immédiatement 
                    : deux enfants jouent dans une carrière, puis montent 
                    dans un wagonnet abandonné, le filin craque, ils vont 
                    tous les deux s'écraser, en contrebas, sous les yeux 
                    de leur mère qui se repose au soleil, et de leur oncle 
                    qui les a mis lui-même dans le wagonnet. Pas de drame plus affreux, pas de douleur 
                    plus inconsolable : nulle explication, nulle raison à 
                    ce drame (hormis l'imprudence), nulle justification extérieure. 
                    Dans ces premières pages magnifiques, où le 
                    drame affleure à chaque instant sans jamais s'imposer, 
                    Pascale Kramer démontre un grand art romanesque, par 
                    la beauté simple de sa langue, comme par la précision 
                    de son regard jamais cynique, ni pathétique. La suite des Vivants relève 
                    du tour de force, puisque plus rien n'arrive (quel événement 
                    pourrait égaler le drame primitif ?). Les personnages 
                    s'enferment dans le silence ou la colère. Ils cherchent 
                    malgré tout à comprendre (même si personne 
                     par volonté ou par faiblesse  ne mène 
                    son enquête jusqu'au bout) ce qui échappera toujours 
                    à toute explication. Ils vivent chaque jour entourés 
                    de fantôme. Ils sont vivants avec les morts.  Se pouvait-il qu'il y ait une 
                    douleur pire encore que celle d'avoir vu mourir ses enfants 
                    ?  Peignant avec beaucoup de sensibilité et de 
                    finesse les ondes de choc de la déflagration mortelle, 
                    Pascale Kramer parvient à montrer cette force obstinée 
                    à vivre, à continuer malgré tout. Ce 
                    n'est pas une vie glorieuse, loin de là, mais une suite 
                    de gestes quotidiens tout à la fois banals et essentiels. 
                    Ainsi chacun se sauve-t-il à sa manière, épousant 
                    le mensonge ou fuyant la vérité de la mort ou 
                    du désamour. Grâce à une écriture 
                    sobre et intense, Pascale Kramer réussit un roman saisissant. * Les Vivants, par Pascale Kramer, Calmann-Lévy, 
                    2000.   |  |   
          | L'Oeil 
            du frère, Rafik Ben Salah, L'Age d'Homme, 2001. |   
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                | Les mots de Ben Salah A la différence d'autres jurys 
                    (celui du Prix Dentan, par exemple), les choix du Lipp semblent 
                    toujours bien avisés. Qu'on en juge plutôt : 
                    Benoziglio en 1998, Claude Frochaux en 1997, Gilbert Salem 
                    en 1996, Armen Godel en 1995, etc. À chaque fois, ce 
                    n'est pas seulement un livre qui est primé, mais un 
                    véritable écrivain. La preuve en est le deuxième 
                    recueil de nouvelles de Rafik Ben Salah, L'il du frère**. 
                    Son premier recueil, Le Harem en péril, avait obtenu 
                    le Prix Lipp il y a deux ans. À travers une suite de 
                    textes âpres et cruels, Ben Salah, écrivain d'origine 
                    tunisienne établi à Moudon, nous ramenait sur 
                    les lieux de son enfance  c'est-à-dire en terres 
                    de légende. Avec un talent de conteur consommé, 
                    une maîtrise exigeante de la langue, un sens aussi du 
                    quiproquo et des scènes comiques, il reconstituait 
                    tantôt la vie d'un village en proie à la rumeur, 
                    tantôt un drame de la jalousie, tantôt l'accès 
                    de folie d'une bonne qui sacrifie l'enfant de ses patrons. 
                    Un subtil réseau de thèmes et de correspondances 
                    soudait entre elles les nouvelles du recueil, en faisant du 
                    Harem un véritable tableau de murs de la société 
                    tunisienne d'aujourd'hui. On retrouve ces thèmes, abordés 
                    différemment et amplifiés, dans L'il du 
                    frère. Qu'il s'agisse du conflit entre modernité 
                    et tradition (qui est la vraie problématique de l'islam 
                    aujourd'hui), des rapports entre les hommes et les femmes 
                    (ou les frères et les surs), Ben Salah dissèque 
                    avec jubilation les petites joies et les travers de ses (ex)compatriotes. 
                    Chacun(e) essaie de s'affranchir comme il peut des contraintes 
                    de sa vie, tantôt par la révolte, la transgression, 
                    la fuite dans le mercantilisme. Mais peut-on échapper 
                    au regard du Puissant (qu'il se nomme Allah ou le Gouvernant) 
                    ? Et quel il nous surveille en permanence ? Par leur extraordinaire modernité, 
                    leur inventivité jubilatoire (qui intègre si 
                    bien la langue orale à l'écriture), leur ironie 
                    mordante, les nouvelles de Ben Salah nous permettent de mieux 
                    comprendre ce qui se trame autour de nous. Et les guerres 
                    inutiles dans lesquelles nos Gouvernants aveugles essaient 
                    à tout prix de nous entraîner. ** L'il du frère, par Rafik 
                    Ben Salah, L'Age d'Homme, 2001 Jean-Michel Olivier     Retrouvez les pages du feuilleton littéraire 
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                    de Suisse, ainsi que sur le site www.jmolivier.ch.    Page créée le 17.10.01Dernière mise à jour le 17.10.01
 
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