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Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Frédéric Pajak - Jean-Philippe Delhomme - Philippe Djian

  Humour, une biographie de James Joyce, Frédéric Pajak, PUF, 2001.

J'aime Joyce

Après " L'Immense solitude ", vie de Nietzsche et Pavese, orphelins sous le ciel de Turin, après " Chagrin d'amour " qui racontait la passion d'Apollinaire pour Lou, voici " Humour "* : la vie de James Joyce revisitée par la plume et le pinceau de Frédéric Pajak. Un beau livre à ne pas manquer !

On ne présente plus Frédéric Pajak, dessinateur et écrivain né en 1955 dans les Hauts-de-Seine, mais vivant en Suisse depuis longtemps. Après s'être occupé de la revue artistique Voir, dans les années 80, il a publié son premier livre chez Bernard Campiche, en 1987. C'était un roman : Le Bon Larron. Mais l'ouvrage qui l'a fait connaître, c'est incontestablement L'Immense solitude, paru en 1999, et couronné par le Prix Dentan. Dans ce livre, Pajak invente une forme parfaitement originale, qui désormais est sa marque de fabrique : le texte et le dessin y sont si intimement imbriqués qu'ils doivent se lire ensemble, à chaque page, d'un même regard. Ce n'est pas un livre illustré, ni une nouvelle forme de BD, mais un alliage à la fois fascinant et puissant entre les mots et les images, qui sont comme mis en miroir. Tantôt l'image reflète le texte, tantôt elle le prolonge, tantôt même elle prend son contre-pied : à chaque fois, pourtant, entre les mots et les dessins, il y a un décalage, qui s'avère être fécond.

Après Lou, Nora

Après Nietzsche et Pavese, après Apollinaire et ses Lettres à Lou, voici la vie d'une autre icône de la littérature mondiale : James Joyce et ses errances à travers l'Europe (Dublin, Paris, Trieste, Pola, Zurich,). Joyce toujours accompagné de la belle Nora et de ses deux enfants, au destin douloureux, Giorgio et Lucia. Joyce toujours flanqué de son ange gardien Stanislaus, qui est aussi son frère et son homme à tout faire. Grâce aux dessins de Pajak (qui passe ici à la couleur, ce qui ne va pas toujours de soi, tant son dessin aux tensions dramatiques s'accommode mieux, à notre avis, du noir et blanc) nous suivons pas à pas, à la première personne, le chemin solitaire de l'auteur d'Ulysse. Une misère qui lui colle à la peau, des ennuis de santé, une absence presque totale de reconnaissance : voilà le lot du grand James Joyce - sans parler de son goût pour la dive bouteille (le vin blanc suisse plutôt que le whisky irlandais), de ses dépressions et des soucis qui lui cause la maladie de sa fille Lucia, schizophrène.

Mêlant sa vie à celle de Joyce, Pajak nous raconte l'histoire de son amitié pour Yves Tenret, complice de longue date et spécialiste du grand James. Comme dans ses précédents ouvrages, il s'agit donc d'une autobiographie croisée, d'un jeu de miroirs qui permet à Pajak de se mettre en scène (et en question) dans son travail. Même si, dans Humour, la paraphrase semble trop abondante (il existe déjà des dizaines de biographies de Joyce), le résultat est remarquable par son pouvoir d'évocation.

Humour, une biographie de James Joyce, par Frédéric Pajak, PUF, 2001.

 

  Art contemporain, Jean-Philippe Delhomme, Denoël, 2001.

Art contemporain

Avec Jean-Philippe Delhomme (né en 1959), d'abord illustrateur pour différents magazines français et étrangers, puis romancier, on touche à l'univers surfait et compassé de l'art contemporain : galeristes, critiques, mécènes, artistes : toute la faune branchée avant-garde se retrouve dans ses dessins aux couleurs claires, aux traits rapidement brossés. Dans Art contemporain**, tous les acteurs de la scène artistique ont droit à leur chapitre, à leurs clins d'oil, à leurs coups de griffe. Qu'il s'agisse de l'autocritique d'un regardeur qui se sent " coupable s'il n'a pas réussi à produire du sens à partir d'une pièce ", de l'assistant qui se révolte parce que ses propres " ready-made ne sont pas reconnus en tant que tels " ou du collectionneur qui avoue candidement : " Nous avons longtemps été sur une liste d'attente pour acheter un chiot de William Wegman, qui adulte s'est avéré d'un narcissisme pesant chez un animal " - chacun a droit à sa volée de bois verts. Et c'est jubilatoire !

Avec un graphisme qui fait penser à Sempé, Delhomme nous livre un regard acide sur l'art contemporain, ses égarements, ses impasses, ses tromperies. Il s'agit du portrait ironique d'une tribu qui a ses rites, ses affidés, son langage, ses modes et ses lieux de culte. Chacun - qu'il soit regardeur ou pas - se retrouvera dans ces dessins qui laissent percer une immense solitude (comme dirait Pajak) et une prétention finalement tragique (parce que fondée sur rien).

Art contemporain, par Jean-Philippe Delhomme, Denoël, 2001.

 

  Ardoise, par Philippe Djian, Julliard, 2001.

L'ardoise de Djian

Comment devient-on écrivain ? Tout simplement par la lecture de grands livres. C'est-à-dire en lisant, en découvrant de grands auteurs. Cette vérité élémentaire, Philippe Djian nous la rappelle dans un beau livre où il règle son Ardoise***. À l'origine de l'écriture, il y a cette émotion unique et forte ressentie à la lecture de Bukowski ou de Salinger, de Céline ou de Cendrars, de Carver ou de Brautigan. Djian, qui a beaucoup lu, rend hommage aux auteurs qui ont changé sa vie (car la lecture d'un livre peut changer la vie de celui qui le lit). On ne sera pas étonné de trouver ici maints auteurs américains (Kerouac, Melville, Faulkner, Miller). On sait que Djian se situe dans cette mouvance à la fois libre et excessive, débordante et tragique. On s'étonnera plus, en revanche, de la présence au panthéon djianesque de Cendrars et de Céline. Mais le premier introduit Djian aux mystères du voyage, tandis que le second, dans Mort à crédit, montre que l'écriture est la passion du rythme, l'invention débridée et le chaos des émotions. En même temps qu'il paye ses dettes, Philippe Djian définit les lignes de sa propre poétique. On comprend mieux ses livres, bien sûr, après avoir lu ses exercices d'admiration. C'est fort et instructif.

Ardoise, par Philippe Djian, Julliard, 2001.

Jean-Michel Olivier

Retrouvez les pages du feuilleton littéraire sur le site culturactif.ch avec toute l'actualité culturelle de Suisse, ainsi que sur le site www.jmolivier.ch.

Cet article de Jean-Michel Olivier
a été reproduit avec l'autorisation de la revue SCENES-MAGAZINE
http://www.scenesmagazine.com

 

Page créée le 27.02.02
Dernière mise à jour le 27.02.02

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