| Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
 Urs Widmer - David Lodge - Entretien avec 
        Jean-Michel Olivier
 
 
         
          | L'Homme que ma mère 
            a aimé, Urs Widmer, Gallimard, 2001 |   
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                | La vie secrète  Né en 1938, à Bâle, 
                    Urs Widmer est l'auteur d'une dizaine de romans et de récits, 
                    la plupart publiés en Allemagne (on en trouve des traductions 
                    chez Fayard et à L'Age d'Homme). Chez nous, il est 
                    connu grâce au succès de sa pièce de théâtre, 
                    Top Dogs, montée 
                    il y a quelques années par la compagnie Gardaz-Michel. 
                    Pièce qui, on s'en souvient, mettait en scène 
                    une poignée de cadres supérieurs au chômage, 
                    et leur faisait passer un entretien d'embauche à la 
                    fois drolatique et émouvant. On retrouve cet esprit cocasse et poignant 
                    dans le dernier roman de l'écrivain alémanique, 
                    L'Homme que ma mère a aimé*. Widmer entreprend 
                    d'écrire ici la vie de sa mère, sous une forme 
                    romancée, mais, semble-t-il, très proche de 
                    la réalité. Ce portrait étonnant de Clara, 
                    en même temps qu'une confession bouleversante de l'auteur, 
                    est aussi une tentative de réhabilitation de sa mère. 
                    Hommage posthume de celui qui a su dompter les mots à 
                    la femme qui fut éternellement dans l'ombre et le silence. L'ombre de Paul Sacher Tout commence par un curieux tour du 
                    destin : Clara, issue d'une riche famille de négociants 
                    du Piémont, rencontre un jour Edwin, fou de musique 
                    contemporaine et sans le sou (derrière Edwin on peut 
                    reconnaître Paul Sacher, le grand mécène 
                    et chef d'orchestre bâlois). Elle l'aide à monter 
                    son orchestre, joue à la fois les secrétaires, 
                    les managers et les nounous, porte littéralement à 
                    bout de bras l'orchestre de jeunes musiciens qui donne ses 
                    premiers concerts à Bâle dans les années 
                    30. Suivant Edwin comme son ombre, Clara devient sa maîtresse, 
                    croyant par là avoir dans la vie du grand homme une 
                    place sinon officielle, du moins privilégiée. 
                    Elle va même tomber enceinte du chef d'orchestre, qui 
                    l'aidera (dans la version qu'elle donnera à son fils) 
                    à avorter. C'est par le plus grand des hasards que 
                    Clara apprendra, un jour, qu'Edwin vient d'épouser 
                    la fille d'un riche industriel bâlois. Elle n'en continuera 
                    pas moins à se dévouer pour la cause de l'Orchestre 
                    et de son chef, comme si sa vie, toujours, dépendait 
                    de cet homme froid et distant, qu'elle ne cesse d'aimer jusqu'à 
                    sa mort, et qui ne l'aimait pas. Clara se mariera à 
                    son tour, aura un enfant (le narrateur), sombrera dans la 
                    dépression, au point de passer de longs mois en clinique, 
                    puis elle vivra dans un asile. Jusqu'au moment où elle 
                    choisira d'en finir, seul geste de liberté véritable 
                    de sa vie, en sautant par la fenêtre de sa chambre. Dans ce livre magnifiquement traduit 
                    par Bernard Lortholary (quel sens du rythme et du mot juste 
                    !), Urs Widmer écrit plus qu'un roman. Il joue sa vie 
                    à faire revivre cette femme silencieuse, incurable 
                    en amour, qui traverse la vie comme une somnambule. Lourd 
                    de secrets et de mélancolie, ce roman a le poids des 
                    livres essentiels, ceux qui changent à la fois la vie 
                    de l'écrivain et celle du lecteur.   |  |   
          | Pensées 
            secrètes, David Lodge, Rivages, 2002 |   
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                | Pensées secrètes Avec David Lodge, né à 
                    Londres en 1935, on change de registre, mais pas nécessairement 
                    de sujet, même si son dernier roman, Pensées 
                    secrètes**, avec son humour ravageur, semble 
                    à des lieues du livre intimiste de Widmer. Nous sommes une fois de plus sur le 
                    campus de Gloucester, cette Université imaginaire que 
                    Lodge a construite de livre en livre, et qui semble plus vraie 
                    qu'Oxford ou Cambridge. Ralph Messenger, un professeur de 
                    sciences cognitives, spécialiste en intelligence artificielle 
                    et grand coureur de jupons, rencontre Helen Reed, une romancière 
                    qui vient de perdre son mari. Pris l'un et l'autre au jeu 
                    de la séduction, ils vont tenter de s'approcher, ils 
                    vont chercher à pénétrer dans les secrets 
                    de l'autre. Pour figurer cette parade amoureuse, Lodge utilise 
                    un stratagème ingénieux qui permet au lecteur 
                    d'entrer dans le  cerveau du monstre  : tandis 
                    que Messenger dicte à un logiciel de reconnaissance 
                    vocale tout ce qui lui passe par la tête (pour cerner 
                    au plus près les phénomènes de conscience), 
                    l'écrivaine tiendra scrupuleusement son journal, écrivant 
                    elle aussi au plus près de sa conscience (on ne ment 
                    pas à son journal). Le roman avance donc sur ce tempo 
                    binaire qui permet de multiples clins d'il, des rapprochements 
                    inattendus et toutes sortes d'anticipations (car le lecteur 
                    connaît les désirs de chacun des personnages 
                    pour l'autre). Éros et thanatos Bien sûr, le ton de ces  
                    journaux croisés  est totalement différent 
                    : alors que le courant de conscience de Messenger est irrésistiblement 
                    attiré par le sexe, sous toutes ses formes et avec 
                    le plus de partenaires possibles, le journal d'Helen Reed 
                    se veut plus réfléchi, plus maîtrisé, 
                    plus proche aussi de cette âme à laquelle elle 
                    croit. Reprenant le vieux débat platonicien de l'âme 
                    et du corps, Lodge en livre une version postmoderne (et hilarante) 
                    en mettant face à face deux personnages aux conceptions 
                    opposées : Messenger tenant pour les sciences exactes, 
                    parfaitement matérialiste et athée, mais sans 
                    être cynique, et Helen Reed prisonnière encore 
                    des schémas religieux. Traduit de fort belle manière 
                    par Suzanne V. Mayoux, Pensées secrètes est 
                    une grande réussite (malgré son côté 
                    didactique et ses longueurs). Peut-être même le 
                    roman le plus original de David Lodge, qui n'en est plus à 
                    son coup d'essai. En un mot : un régal ! Jean-Michel Olivier * L'Homme que ma mère a aimé, 
                    roman, par Urs Widmer, Gallimard, 2001.** Pensées secrètes, roman, par David Lodge, 
                    Rivages, 200
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                      | Cet article de Jean-Michel Oliviera été reproduit avec l'autorisation de 
                          la revue SCENES-MAGAZINE
 case postale 129 - CH 1211 Genève 4 tél. 
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          | Entretien avec 
            Jean-Michel Olivier par Elena Vico |   
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                            | Son dernier roman, Nuit blanche, paru en lan 
                                2001, parsemé dironie et de réflexions 
                                existentielles, trace un tableau du XXIe siècle 
                                genevois à travers dix noctambules dune 
                                nuit blanche pas comme les autres, puisquau 
                                seuil du millénaire. La présence 
                                du désir court dans toutes les lignes de 
                                ce roman. La place accordée à limage 
                                (photographie et Internet) et à la musique 
                                (le pianiste et Anne, la fan de techno) berce 
                                le lecteur dune rive à lautre - Comment vous est venue 
                                lidée décrire un roman 
                                sur des personnages qui se croisent et ne se rencontrent 
                                pas, malgré leurs liens humains ?  - J'ai multiplié 
                                entre eux les signes de connivence, les liens 
                                secrets, les points communs (il y a un père 
                                et sa fille, le petit ami de cette fille et son 
                                ex à lui, une mère et son fils musicien, 
                                etc.). J'ai travaillé sur l'idée 
                                de couple au sens large. Et, d'un autre côté, 
                                ces personnages qui auraient tant à partager 
                                ne se voient pas, ne se reconnaissent pas. C'est 
                                une allégorie du siècle : plus il 
                                y a de moyens de communication, moins l'on se 
                                parle, moins l'on s'entend. C'est pourquoi, sans 
                                doute, le lien social n'a jamais été 
                                aussi fragile qu'aujourd'hui   |  |  - Nuit blanche évoque un désir 
                    humain quasi omniprésent à travers les thèmes 
                    tabous de la sexualité et de la transexualité, 
                    tout en traitant lagonie humaine. Pourquoi avoir choisi 
                    cette ambiance décadente?  - Toutes les fins de siècle 
                    se ressemblent ! On imagine toujours que quelque chose se 
                    termine, et qu'autre chose commence. Mais personne, bien sûr, 
                    ne sait quoi d'où l'importance de l'agonie, comme vous 
                    l'avez remarqué, qui est une mort douce, une fin qui 
                    ne vient pas. On dirait que les fins de siècle concentrent 
                    toute la fatigue humaine, toutes les déceptions, toutes 
                    les désillusions d'une époque. J'ai voulu parler 
                    de ça et en même temps imaginer une autre voie, 
                    qui ne serait pas celle de la guérison ou du salut 
                    spirituel, mais d'une sorte d'apaisement. - Les sombres aspects du sida, de la 
                    toxicomanie, de la violence citadine sont incarnés 
                    par quelques personnages contrastés par dautres 
                    figures aimant la musique, la danse et limage. Est-ce 
                    dû au lien sous-jacent de la marginalité entre 
                    ces personnages fictifs? - J'aime les personnages singuliers. 
                    Qui ne sont prisonniers d'aucune structure, ou qui essaient 
                    de s'en libérer, parce qu'ils s'y sentent mal. J'aime 
                    aussi les contrastes entre des personnages plutôt conventionnels 
                    (comme Géraldine, la mère du pianiste, qui fait 
                    très beaux quartiers genevois) et, par exemple, Joker, 
                    le skinhead, ou Ellie, la transexuelle. Affectivement, quel 
                    que soit leur milieu social, ils se retrouvent tous dans une 
                    même marginalité. Parce qu'aujourd'hui, comme 
                    le dirait mon ami Frochaux, l'homme se définit d'abord 
                    par sa solitude. - La Nuit de la ville de Genève 
                    est un décor de théâtre pour vos dix protagonistes 
                    ou plutôt un protagoniste en soi ?  - Cette nuit-là (celle du 31 
                    décembre 1999 au 1er janvier 2000) était proprement 
                    théâtrale, puisqu'il y avait des spectacles aux 
                    quatre coins de la ville, symbolisés par un élément 
                    (eau, terre, feu, air). Et le spectacle était partout, 
                    sur les scènes et dans la rue. C'était un foisonnement 
                    de musiques et de rythmes, de masques, de lumières, 
                    d'embrassades. Toute la ville était rassemblée 
                    pour un soir au même endroit, comme une immense Landsgemeinde 
                    ! J'ajouterai que Genève joue un rôle essentiel 
                    dans mes livres, non seulement comme cadre (j'aime que les 
                    livres se passent quelque part), mais comme un personnage 
                    à part entière avec son histoire et ses figures 
                    mythiques (Calvin, Rousseau, Haldas, Michel Simon, Albert 
                    Cohen, etc.), son ambiance, ses lieux secrets et magiques 
                    : la pointe de la Jonction, par exemple, où le Rhône 
                    et l'Arve se marient
 - Comment sagencent les séquences 
                    des dix personnages entre elles ? - La règle fondamentale, c'est 
                    la stricte alternance des voix masculine/féminine. 
                    Le roman s'ouvre sur un duo (comme à l'opéra) 
                    qui se fissure bien vite, puis c'est Cora qui parle, puis 
                    l'ethnologue (un homme), puis Ellie (une femme), puis le Fou 
                    de l'Internet (un homme), etc. C'est par cette alternance, 
                    cette double voix, que le roman progresse. Elena Vico Jean-Michel Olivier, Nuit blanche, roman, 
                    L'Age d'Homme, 2001.   Retrouvez les pages du feuilleton littéraire sur le site culturactif.ch avec toute l'actualité culturelle de Suisse, ainsi que sur le site www.jmolivier.ch. Page créée le 08.05.02Dernière mise à jour le 08.05.02
 
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