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Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Michel Viala - Alain Tanner - Marius Daniel Popescu - Claude-Inga Barbey - Philippe Sollers

 


À peine passé le tsunami littéraire de l'automne (près de 700 romans français !), on nous annonce déjà une nouvelle déferlante : la rentrée littéraire de janvier s'annonce presque aussi monstrueuse (500 livres seulement !) que la précédente. C'est le moment de revenir sur quelques livres qui ont marqué l'année 2007…

 

  "Théâtre incomplet I et II" de Michel Viala, Bernard Campiche éditeur, collection camPoche, 2007.


Le théâtre de Viala

Pour les théâtreux de ma génération, le nom de Michel Viala évoque un univers à la fois singulier et foisonnant. Sans doute le plus grand auteur suisse (romand) des années 70-80. On se souvient de ses pièces cultes, comme Séance (1974), Le Parc (1977) ou encore ce texte au titre magnifique : Par Dieu qu'on me laisse rentrer chez moi (1979). Chacune des créations de Viala constituait, ces années-là, des événements à ne pas manquer. On se souvient aussi de L'Invitation , le chef-d'œuvre de Goretta, qui mettait en scène François Simon, Jean-Luc Bideau, Corinne Coderey et tant d'autres : le scénario et les dialogues étaient signés Viala. On mentionnera enfin les récits de Viala, dont le poignant Jumeau , récit de la vie dramatique du frère de l'auteur, paru en 1996 et qui sera repris, cette année, dans la collection Poche Suisse.
C'est l'éditeur Bernard Campiche qui a eu l'idée excellente de rassembler tout le théâtre de Viala en deux gros volumes*, le premier reprenant les monologues et les pièces à deux personnages ; et le second, les pièces à grande distribution. D'un coup, l'univers âpre et violent de Viala nous revient comme l'essence même du théâtre de ces années de grande liberté créatrice — à des lieues du théâtre politiquement correct d'aujourd'hui. Il faut relire Vacances , par exemple, ou Est-ce que les fous jouent-ils ? Ils témoignent d'un regard aiguisé sur le monde moderne et d'un souci constant de la vérité du théâtre. Ils témoignent aussi d'un écorchement et d'une blessure que seule la parole, parfois, parvient à soulager. Ils mettent en scène, enfin, des personnages simples et modestes dont l'amour est sans cesse entravé par les vicissitudes de la comédie sociale.

 

  "Ciné-mélanges" par Alain Tanner, Le Seuil, 2007.

Le cinéma de Tanner

Nous n'allons pas nous lancer, à notre tour, dans la polémique éternelle qui consiste à savoir s'il existe, aujourd'hui, en 2008, un cinéma suisse, et si ce dernier est, ou non, l'égal du cinéma suisse des années 70-80. Mais, pour ceux qui auraient la mémoire courte, il faut recommander la lecture des Ciné-mélanges ** d'Alain Tanner. Ce n'est pas faire injure au cinéaste genevois (né en 1929) que de rappeler ses plus grands films : de Charles mort ou vif (1969), avec l'inoubliable François Simon, à Paul s'en va (2003), en passant par La Salamandre (1971), Le Milieu du monde (1974) ou encore le plus connu des films de Tanner : Jonas qui aura 20 ans en l'an 2000 (1976). En relisant le livre de Tanner qui, sous la forme d'un abécédaire, nous livre la somme de ses réflexions sur le 7e art, on ne peut qu'être admiratif devant l'obstination, le talent, la liberté farouche de cet homme qui a toujours pu tourner (qui s'est toujours donné les moyens de tourner) les films dont il avait envie. On sait que l'univers du cinéma est particulièrement impitoyable. Les plus grands talents s'y cassent les dents et s'y détruisent. Regardez Orson Welles ! À force d'intelligence et de ténacité, Tanner, lui, a tenu le coup. Et plutôt bien. Il suffit de regarder sa filmographie pour voir qu'il a enchaîné, presque sans interruption, les tournages tout au long de sa carrière, qui est longue et riche.
Mais qu'est-ce que le cinéma selon Tanner ?
«  Je ne peux filmer que l' « aujourd'hui », le « maintenant ». Je ne peux filmer que ce que je peux voir et qui appartient au réel, au quotidien, au contemporain, au moment. Je ne peux trouver l'inspiration, l'idée d'un personnage ou d'un récit que dans ce qui m'entoure, dans ce qui participe de l'histoire que je vis.  » Proche en cela d'un Viala, Tanner a besoin du réel pour faire travailler son imagination. Il ne faut pas faire « comme si, mais comme ça ». Dans la vie, on fait souvent comme si : « o n triche, on ment, c'est normal. Mais en art, on ne peut pas tricher.  » Chaque film de Tanner illustre, à sa façon, cette insatiable quête de vérité. Un parcours exemplaire.


  "La Symphonie du loup" par Marius Daniel Popescu, roman, Gallimard, 2007.


L'archipel Popescu

Un livre hors norme aura marqué l'année littéraire 2007 : La Symphonie du loup *** de Marius Daniel Popescu. Pourquoi hors norme ? D'abord si l'on sait que son auteur — son nom l'indique — est roumain d'origine, qu'il habite à Lausanne (où il est conducteur de bus) et qu'il écrit en français, sa langue d'adoption. Hors norme, ensuite, parce que cette longue et singulière symphonie échappe à toute classification de genre : c'est à la fois un roman, une confession autobiographique, un témoignage poignant sur les années Ceaucescu et un poème aux accents personnels et bouleversants.
Impossible, donc, de résumer, cette Symphonie du loup qui déferle comme une vague de mots qui tantôt vous emporte, vous arrache corps et âme, tantôt vous fascine et vous égare, et tantôt (cela arrive quelquefois) vous agace, vous fait demander grâce ! Car le torrent de Popescu est puissant, volcanique, généreux. On sent que dans ce premier livre, l'auteur a tout mis de lui-même, en profusion et en excès. On sent aussi à chaque page qu'il ne triche jamais. Il écrit ce qui doit être écrit, parfois de manière brouillonne ou maladroite. Mais ce long récit recèle des véritables moments de poésie : son évocation de l'enfance, par exemple, ou la description implacable des années communistes. Jean-Louis Kuffer a raison de souligner l'aspect épique de ce texte inclassable, écrit en langue seconde, qui mélange tous les genres, pour entraîner le lecteur dans un vertige sans fin.

 

  Les petits arrangements par Claude-Inga Barbey, roman, éditions d’Autre Part, 2007.


Desperate swiss housewife

La littérature romande a depuis quelque temps sa desperate housewife  : Claude-Inga Barbey. On ne présente plus la Monique de Bergamote , ni celle qui livre, chaque semaine, ses états d'âme aux auditeurs de la Première. Depuis l'année 2000, Claude-Inga Barbey a écrit des chroniques ( Petite dépression centrée sur le jardin ), un roman ( Le Palais de sucre ) et des nouvelles ( Le Portrait de Madame Mélo ), tous publiés aux éditions d'Autre Part.
Aujourd'hui, elle nous donne un roman, Les petits arrangements ****, qui ressemble à une confession déguisée. Claude-Inga Barbey y endosse le rôle de Pénélope, l'épouse délaissée, qui voit son Ulysse partir à l'étranger pour un séminaire dont il ne reviendra pas indemne, ni seul… La trame est simple, son évolution inéluctable. Tout le monde la connaît. Pourtant, en fin de course, contrairement à ce qui se passe chez Homère, Ulysse quittera Pénélope pour une collègue plus jeune qu'elle…
Construit en résonance (modeste) avec L'Odyssée , ces Petits arrangements se lisent vite et bien. Ils ne sont pas portés par un grand souffle littéraire, mais témoignent d'une urgence qui touche le lecteur : dire la douleur de l'abandon, la vie qui continue sans l'autre, les mille et un soucis de la vie quotidienne. C'est là, sans doute, que Claude-Inga Barbey excelle : dans l'évocation des tracas ordinaires, des longues lessives déprimantes de la ménagère au foyer, de l'ennui qui la ronge comme un cancer, à l'image de la Susan des Desperate Housewives ou de la Monique de Bergamote .


  "Un vrai roman" par Philippe Sollers, mémoires, Plon, 2007.

Chroniques du Roi Sollers

Depuis le temps qu'il nous balance des romans qui n'en sont pas, des essais sur Mozart, Casanova, Vivant Denon, des livres d'entretien sur Dante ou Nietzsche, tout le monde se demandait si, un jour, Philippe Sollers, allait se livrer au jeu des confidences ou de l'autobiographie. Eh bien ce jour est venu ! Avec Un vrai roman *****(titre magnifique), Sollers se livre tout entier sous le masque de l'auteur à succès et à scandales.
Disons-le d'emblée : les lecteurs que Sollers agace, dérange, horripile, risquent bien de trouver dans ce livre des raisons supplémentaires de vouer Sollers aux gémonies ! Pourquoi ? Parce que le grand écrivain, s'il se livre à quelques confidences sur sa vie privée (confidences qui, d'ailleurs, n'en sont pas, car tout le monde les connaissait), passe allègrement, comme à son habitude, d'un personnage à l'autre. Impossible à cadrer, donc. Sollers (qui signifie « tout en art et en ruse ») navigue à vue, circule entre les époques (avec une prédilection pour le XVIIIe siècle), complote dans des revues littéraires, plonge en apnée dans l'écriture, voyage beaucoup entre Venise, New York, l'Île de Ré. Mais on pourrait dire aussi Dante, Baudelaire, Céline, Casanova, Sade, Bataille. On ne connaît pas de voyageur plus cosmopolite et complet que Sollers, qui traverse les époques, les genres, les langues, et même les religions (longues explications, dans ses Mémoires , sur sa visite au pape Jean-Paul II). De ce désir encyclopédique, dionysiaque ou casanovesque (tout connaître, tout éprouver), Un roman vrai rend admirablement compte. Cet homme qui se flatte de n'avoir jamais travaillé dans sa vie a tout lu, tout écouté, tout admiré. Son livre est une suite de portraits de mois : «  ce moi de vingt ans n'est plus (photos), mais c'est plus que jamais moi (pensée). Ce qu'il y a de plus difficile : naître vraiment, durer, disparaître revenir. On écrit pour revenir, le pari est de revenir.  »

On croise aussi, dans ce Vrai roman , et ce n'est pas son moindre charme, toutes les grandes figures de la littérature française ou étrangère de la seconde partie du XXe siècle. On sait que Sollers a été « adoubé » par Mauriac, soutenu par Aragon. Il parle longuement de ces deux parrainages (de l'Eglise et du Parti !). Mais il évoque aussi ses rencontres avec Bataille, Leiris, Lacan, les grands philosophes des années 60-70 (Foucauld, Deleuze, Derrida), les nouveaux romanciers, Ponge, Umberto Eco, Houellebecq, il s'explique avec Kundera, Le Clézio, Philip Roth. Sa vie est une suite impressionnante de rencontres, parfois de disputes, toujours de découvertes. C'est le livre d'un aventurier de la pensée singulier, méconnu, téméraire, qui se compare souvent au plus secret des mousquetaires : Aramis. Et qui, comme lui, s'est servi de sa plume comme d'une arme.

Jean-Michel Olivier

* Théâtre incomplet I et II de Michel Viala, Bernard Campiche éditeur, collection camPoche, 2007.
** Ciné-mélanges par Alain Tanner, Le Seuil, 2007.
*** La Symphonie du loup par Marius Daniel Popescu, roman, Gallimard, 2007.
**** Les petits arrangements par Claude-Inga Barbey, roman, éditions d’Autre Part, 2007.
***** Un vrai roman par Philippe Sollers, mémoires, Plon, 2007.

 

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Cet article de Jean-Michel Olivier
a été reproduit avec l'autorisation de la revue SCENES-MAGAZINE
http://www.scenesmagazine.com

 

Page créée le 23.01.09
Dernière mise à jour le 23.01.09

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