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Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Anne-Lise Thurler - Collection Le Cippe - Antonin Moeri

 


Pour la rentrée littéraire, les éditeurs romands nous ont réservé quelques très bonnes surprises. L’Aire nous propose Pokkhara, le dernier roman, très zen, de Serge Bimpage (sur lequel nous reviendrons). Bernard Campiche, dans sa moisson d’automne, nous propose un très beau livre d’Asa Lanova, La Nuit du Destinn, ainsi que Zaïda d’Anne Cunéo, une saga féministe promise à un grand succès. Sans oublier le dernier Antonin Moeri, Juste un jour, psychodrame familial dans une station de ski. Quant aux éditions Zoé, elles lancent une nouvelle collection passionnante d’essais sur les classiques romands, regroupés sous le sigle du Cippe. À découvrir…

 

  "La fille au balcon" d’Anne-Lise Thurler, récit, Zoé, 2007.

Mais revenons un peu en arrière. Lors du dernier Salon de Genève, un livre paru chez Zoé frappa tous les esprits. C'est le très beau et très impitoyable récit qu'Anne-Lise Thurler consacre à son enfance fribourgeoise — et d'abord à sa mère. La Fille au balcon *, c'est son titre, se présente comme une sorte de confession, de lettre ouverte à la mère disparue. Portée par une urgence qu'on devine poignante, Anne-Lise Thurler veut en découdre une dernière fois (mais n'est-ce pas, déjà, le thème plus ou moins caché de tous ses livres précédents ?) avec cette mère aimée et haïe qui n'a cessé de rejeter sa fille, de ne pas la comprendre, de refuser l'amour que celle-ci lui portait.

Dans un récit où se mêlent deux voix (l'une s'adresse au lecteur, et l'autre à la mère), Anne-Lise Thurler reconstitue avec une précision terrible le roman familial des Thurler-Valloton, puis certains moments particulièrement douloureux de son enfance, marquée par un père à la fois illustre et absent, et une mère toute-puissante qui ne tardera pas à devenir abusive. Mariages déçus, solitude, folie rampante : tel est le lot, semble-t-il, de presque toutes les femmes de cette famille, malheureuses en mariages, fragiles, guettées par la neurasthénie. Cette reconstitution minutieuse est à la fois une recherche de preuves à charge (Anne-Lise instruit le procès de sa mère) et une terrible descente aux enfers. Car, à aucun moment, l'auteur ne triche. La vérité qu'elle traque sans merci risque à tout instant de l'engloutir. Mais avec beaucoup de force, Anne-Lise Thurler mène sa barque jusqu'au bout. Il ne suffit jamais d'exhumer de mauvais souvenirs, de ressasser une enfance malheureuse et l'incompréhension d'une mère dont la faute essentielle est d'être restée à jamais une enfant. Il faut aller plus loin. Vers le pardon, la réconciliation. C'est sur ce sentiment que s'achève son livre qui a la force d'un exorcisme. Un très grand livre. On ne peut que lui souhaiter de gagner tous ses autres combats.


  "Le Poisson-scorpion : Nicolas Bouvier" par Jean-Xavier Ridon, essai, collection Le Cippe, éditions Zoé, 2007.
  "Paysages avec figures absentes : Philippe Jaccottet" de Laure Himy-Piéri, essai, collection Le Cippe, éditions Zoé, 2007.


Classiques romands revisités

C'est à l'initiative du critique et poète biennois Patrick Amstutz que les éditions Zoé lancent une toute nouvelle collection : « Le Cippe »**. Petits ouvrages maniables, rigoureux dans leur information et agréables à lire, ces livres permettront de mieux comprendre et de lire avec plus de plaisir encore des textes majeurs de la littérature francophone. Au menu de cette première livraison, un essai de Jean-Xavier Ridon, sur Le Poisson-scorpion de Nicolas Bouvier et de Laure Himy-Piéri sur les Paysages avec figures absentes de Philippe Jaccottet. Ces petits livres — qui devraient être à la littérature suisse ce que « Balises » ou « Profils d'une œuvre » sont aux classiques français — sont particulièrement bien faits, bien écrits et accessibles. On ne peut que saluer une telle initiative et souhaiter longue vie à cette collection !

 

  "Juste un jour" par Antonin Moeri, roman, Campiche, 2007.

Psychodrame montagnard

Quatre ans après Le Sourire de Mickey , un recueil de nouvelles satiriques, voici le dernier roman d'Antonin Moeri, Juste un jour ***. Construit comme un récit polyphonique où les voix d'enfants et d'adultes se succèdent, Juste un jour commence comme un polar. La tension monte peu à peu vers un drame qu'on soupçonne décisif. Les acteurs de ce drame ? Une famille sans histoire, composée des enfants, Arnaud et Émilie, et des parents, Jane et Lucien. La cadre dramatique ? Une station de ski où cette famille est montée pour un week-end. Peu à peu, les apparences se délitent, les masques tombent. Les tensions trop longtemps contenues ressurgissent. La rivalité entre les enfants. La mésentente des parents, entretenue par de trop longs silences. La drame éclate à cause d'un malentendu. Un rendez-vous manqué. On sent que Lucien et Jane passent très près du gouffre. Mais ils ne font que le frôler. Et finalement tout semblée rentrer dans l'ordre à la fin du roman. Comme toujours, on aime l'écriture fine et précise de Moeri, sa manière insidieuse de creuser l'âme humaine. Mais ici les personnages manquent un peu de chair. Et l'on aimerait que l'auteur aille plus loin dans cette sorte de chronique d'un divorce annoncé, qui s'arrête juste au bord de l'abîme…

Jean-Michel Olivier

* La fille au balcon d’Anne-Lise Thurler, récit, Zoé, 2007.
** Le Poisson-scorpion : Nicolas Bouvier par Jean-Xavier Ridon, essai, et Paysages avec figures absentes : Philippe Jaccottet de Laure Himy-Piéri, essai, collection Le Cippe, éditions Zoé, 2007.
***Juste un jour par Antonin Moeri, roman, Campiche, 2007.

 

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Cet article de Jean-Michel Olivier
a été reproduit avec l'autorisation de la revue SCENES-MAGAZINE
http://www.scenesmagazine.com

 

Page créée le 03.02.09
Dernière mise à jour le 03.02.09

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