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Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Marie Gaulis - Pierre-Olivier Walzer - Alexandre Voisard

 Marie Gaulis, Ligne imaginaire, récits, Métropolis, 1999.

(photo Thomas Bouvier)

Quand un nouveau talent surgit en Suisse romande, on a tendance à l'étouffer sous les références prestigieuses ou les rameaux d'un héritage lourd à porter (un père aventurier, écrivain et homme de théâtre ; une mère artiste-peintre)

Pourtant Marie Gaulis, dont le talent éclate dans "Ligne imaginaire"*, un premier recueil de récits poétiques, ne doit rien à personne

Après une enfance itinérante, Marie Gaulis (née en 1965 à Paris) entreprend des études de Lettres à Genève, se passionne pour le grec ancien, puis se lance, avec succès, dans une thèse qu'elle achèvera quelques années plus tard. Parallèlement à ses études " classiques ", elle ne cesse d'écrire : des poèmes (publiés à l'Aire en 1993 sous le titre Le Fil d'Ariane), des textes courts et même une pièce de théâtre (qui devrait intéresser les metteurs en scène, car elle est excellente).

Pour entrer dans Ligne imaginaire, il faut s'abandonner à la musique de la langue, laisser agir un charme à la fois singulier et très puissant qui vous mène au cœur du secret, là où l'on touche peut-être " au plus silencieux de soi, au plus innommable ". C'est ainsi que commence le beau livre de Marie Gaulis : par une invitation à la sieste, ce moment rare de la journée où affleurent, dans un demi-sommeil, les visages oubliés, les paysages lointains, les rencontres furtives (peut-être simplement rêvées), les cris, les peurs, les jardins de l'enfance. Autant d'images, saisies au seuil de la conscience, qui se révèlent riches en expériences, en sensations, en moments de grâce pure.

Ainsi l'étrange cérémonial du thé qui marque une pause au cœur du temps et réunit, en un instant fugace, mais précieux, les membres d'une famille dispersée. Sous l'écorce des mots, Marie Gaulis nous restitue avec bonheur ces moments de partage et d'angoisse, d'amour et d'espérance, qui portent en eux, déjà, le germe de la séparation, " insoutenable, mais nécessaire ".

Au fil du livre, les visages défilent, tantôt comme des fantômes, tantôt comme des masques, toujours comme des énigmes. C'est à la fin seulement qu'apparaît, comme un mystère central, le visage du père adoré, indissociable des autres membres de la famille, mais " saisi dans le fier et tendre bastion de sa solitude ". C'est la force de cette Ligne imaginaire que de sonder ainsi les visages les proches (les plus apparemment familiers) pour déchiffrer sans cesse sa propre énigme.

 

 Pierre-Olivier Walzer, Humanités provinciales, L'Âge d'Homme, 1999.

L'année Walzer

Il se pourrait bien que l'année 99 (la 85ème de son âge) soit l'année Pierre-Olivier Walzer. On ne fera pas l'outrage à cet incontournable animateur de la vie littéraire et culturelle de Suisse romande de présenter son œuvre, qui est à la fois riche et diverse, originale et classique : un numéro entier de Scènes Magazine n'y suffirait pas ! Plusieurs ouvrages récents nous aident à mieux connaître cet homme polyvalent qui traite avec un même bonheur de la musique et de la poésie (essais sur Valéry, Apollinaire, Cendrars, Mallarmé, Breton), qui édite Lautréamont en Pléiade, Charles-Albert Cingria (auquel il a consacré une biographie en trois volumes, dont le dernier, L'Âme antique, en 1997) et Jules Laforgue à l'Âge d'Homme, qui publie la célèbre Vie des Saints du Jura et plusieurs dictionnaires et ouvrages de référence thé qui sur la littérature suisse.

Outre l'exposition que la Bibliothèque Nationale lui consacre à Berne (dont le catalogue, Quarto 11**, fourmille d'informations passionnantes, de photos inédites et de documents rares), il faut à tout prix se plonger dans la lecture d'Humanités provinciales***, autobiographie " récréative " où POW nous entretient de sa famille, de la ville et de la campagne, des vacances, de la musique, de l'amour et de l'habit ecclésiastique qui l'a longtemps tenté. C'est à la fois très singulier et savoureux.

Ce portrait d'un esprit constamment en éveil, on peut l'approfondir en lisant le long entretien que POW a donné à Jean-Louis Kuffer, et qui vient de paraître sous le titre Le paladin des lettres****. Grâce aux questions pointues de Kuffer (il en faut quelquefois pour bousculer un peu Walzer, qui pêche par modestie ou discrétion), on saisit mieux l'itinéraire hors du commun de ce natif de Porrentruy que rien, au demeurant, ne prédisposait à la carrière de paladin des lettres.

 

  Alexandre Voisard, Au rendez-vous des alluvions, Bernard Campiche, 1999

Les carnets de Voisard

Autre Jurassien talentueux, le poète Alexandre Voisard publie avec Au rendez-vous des alluvions***** les carnets dans lesquels il consigne à la fois ses humeurs, ses rôderies, ses réflexions sur le temps et le passage des saisons, ses découvertes et ses rencontres, son émerveillement constant devant les animaux ou les prodiges de la nature,

Cette écriture du quotidien prend ici la forme de courtes proses (moins d'une dizaine de lignes, le plus souvent) très condensées, très affûtées. Même si, quelquefois le résultat est inégal (mais on sent que Voisard fait son miel de tout - surtout des petits riens de l'existence), ces textes ont la fraîcheur d'épiphanies ou de haïkus japonais. À chaque page, un regard étonné, une sensation qui vient à la parole, une présence brusquement révélée et traduite. Autant de petits miracles d'écriture qui font de ces alluvions (d'où partent-elles ? Où vont-elles ?) un vrai bonheur de lecture, à savourer sans impatience, ni précipitation.

Jean-Michel Olivier

Marie Gaulis, Ligne imaginaire, récits, Métropolis, 1999.
** Quarto 11, revue des Archives littéraires suisses, Berne, 1999.
***Humanités provinciales, L'Âge d'Homme, 1999.
****Le paladin des lettres, entretiens avec Jean-Louis Kuffer, Bibliothèque des Arts, Lausanne, 1999.
***** Alexandre Voisard, Au rendez-vous des alluvions, Bernard Campiche, 1999

Retrouvez les pages du feuilleton littéraire sur le site culturactif.ch avec toute l'actualité culturelle de Suisse, ainsi que sur le site www.jmolivier.ch.

Cet article de Jean-Michel Olivier
a été reproduit avec l'autorisation de la revue SCENES-MAGAZINE
http://www.scenesmagazine.com

 

Page créée le 25.09.99
Dernière mise à jour le 25.09.99

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