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Scènes Magazine - Feuilleton littéraire
Zoé Jenny - Georges Caspari

  Zoé Jenny, La Chambre des pollens, traduit par Nicole Roche, Gallimard, 1998

Zoé Jenny (photo Angelo A. Lüdin)

La nouvelle coqueluche de la littérature suisse s'appelle Zoé Jenny. Elle a 24 ans, un visage d'ange néo-punk, et déjà plusieurs vies derrière elle. Cette Bâloise, qui a grandi en Grèce et vécu au Tessin, publie un premier livre chez Gallimard, "La Chambre des pollens", superbement traduit par Nicole Roche*.

C'est le récit d'une errance, une quête (ou une enquête) qui d'abord n'a pas de nom, ni de destination. Tout commence ici par une rupture («lorsque ma mère partit s'installer dans un autre appartement, je restai chez mon père... »), premier maillon d'une aventure qui va pousser Jo, la narratrice, à rechercher moins les raisons de cette rupture, que le visage de cette mère qui l'a abandonnée.

Mais lorsqu'elle retrouve sa mère, en Italie, le nouveau compagnon de celle-ci meurt dans un accident de voiture. Nouvelle crise, rupture et dépression. La mère absente l'est de plus en plus - absente aux autres comme à elle-même. Pas plus que pendant son enfance, cette mère n'existe vraiment. Livrée à elle-même, Jo fait alors la connaissance de Réa, une jeune Italienne qui l'initie aux rave-parties, à l'ecstasy et aux joints qu'on partage. Elle reviendra à Bâle, chez son petit éditeur de père, mais provisoirement seulement, car entre-temps, elle a trouvé sa liberté.

Ce petit roman de formation, intense et bien écrit, ne livre pas tout de suite ses secrets. Car il y a, dans l'histoire de Jo, bien des fantômes, des animaux fantastiques, des lieux hantés, des jardins interdits. « Le tronc du figuier sort de la terre dure en se dépliant comme un cartilage. Il porte des fruits petits et fripés. Les fleurs, brûlées par la chaleur, ont toutes pris une teinte brune. L'air sent la neige. Dans la chambre des pollens gît encore le drap sur lequel Lucy restait couchée... »

 

 Georges Caspari, Les raisins ne sont jamais trop verts Éditions L'Âge d'Homme, 1998

Un Faust heureux

Notre siècle n'aime pas le bonheur. Ni le bonheur de vivre (qui autrefois était un art), ni le bonheur d'écrire. Quant à ceux qui pratiquent les deux, avec légèreté, grâce ou inconscience, ils n'ont tout simplement pas droit au chapitre.

Pourtant, il y a de la sagesse dans ce bonheur-là, qui consiste à aimer la vie comme elle vient, les mots pour la musique qu'ils font, les femmes comme elles nous , éblouissent. Georges Caspari, châtelain de Dully et conseiller en publicité à Genève, est de ces sages épicuriens qui placent dans la recherche des plaisirs simples leur plus haute ambition.

« Ma vie intérieure est au-dessus de tout soupçon. J'écris par enfantillage, par jeu d'auteur contrarié, je n'écris pas noir, je n'écris pas roseJécris bleu; pourparlerde ma mer, de mes états d'âme, de choses sans importance, de ma mort. »

L'histoire qu'il nous conte dans Les raisins ne sont jamais trop verts** a le charme des romans de Nabokov, avec juste ce qu'il faut d'inconvenance pour accrocher lecteur, et le laisser, un peu désorienté au terme d'un périple qui l'aura mené de Genève à l'Île Maurice, auprès d'une jeune femme « colorée et fantasque". Elle a trente-deux ans, lui un peu plus du double. Face à cette femme qui brille de tous les feux, dont il supporte « la cérémonie de ses crèmes, l'heure de ses limes, l'éternité de ses retards » le narrateur se voit en Faust, savant fou de jeunesse, guetté pourtant par cette mort qu'il ne voit pas venir, et qui lui a volé déjà tous ses amis. « J'écris pour rien, pour personne, pour des gens qui ne me sont rien, je n'ai vraiment faim que d'une chose : d'un homard. »

Ponctué de poèmes qu'il envoie à un ami éditeur de Genève, son journal de vacance n'est pourtant pas de toutrepos : gravitant autour d'Aurélie (Nerval n'est pas loin), le narrateur entre bientôt dans la fascination d'une autre femme. Et, comme à chaque fois qu'il aime, il lâche la proie pour l'ombre. Mais « pourquoi l'ombre puisqu'il s'agissait d'un soleil. J'aurai passé ma vie à la poursuite du soleil. »

Telle est la fable de ce récit doux-amer, à la fois très banal et singulier, d'une écriture savoureuse, d'une précision de maître d'horlogerie, d'une langue libre et jubilatoire. Ce bref roman est suivi d'autres textes - Poèmes zérotiques, Un z'oreilles aux Antilles, L'épître à Sylvia - qui valent eux aussi le détour, par leur fraîcheur et leur lumière - lumière plutôt rare sous nos cieux romands

Jean-Michel Olivier

* Zoé Jenny, La Chambre des pollens, traduit par Nicole Roche, Gallimard, 1998.
** Georges Caspari, Les raisins ne sont jamais trop verts Éditions L'Âge d'Homme, 1998.

Retrouvez les pages du feuilleton littéraire sur le site culturactif.ch avec toute l'actualité culturelle de Suisse, ainsi que sur le site www.jmolivier.ch.

Cet article de Jean-Michel Olivier
a été reproduit avec l'autorisation de la revue SCENES-MAGAZINE
http://www.scenesmagazine.com

 

Page créée le 04.06.98
Dernière mise à jour le 04.06.98

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