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Le Passe Muraille
Revue des livres des idées et des expressions
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N°41 - Juin 1999

  Robert Walser, Le printemps des tradutions par Jean-Bernard Vuillème

ROBERT WALSER
Le printemps des traductions

Les francophones qui aiment Robert Walser et ne peuvent le lire dans sa langue sont comblés en ce début d’année. Plusieurs publications donnent accès à la partie en fait la plus abondante de son œuvre, celle qui parut dès 1899 dans divers quotidiens suisses alémaniques et allemands, ainsi que dans des revues, et dont il tirait ses maigres moyens d’existence avant son internement.

Il n’y a pas de petites formes pour Walser, ni de petits sujets, il fait son miel du moindre événement quotidien, de la plus banale des constatations et lui donne vie et profondeur comme aucun écrivain avant lui. Le charme inimitable de Walser tient dans une apparence d’innocence et de pureté du regard si bien maîtrisée littérairement que le lecteur bascule dans un univers heureux. Cette innocence a bien sûr son revers, si présente dans le non-dit walsérien, celle de l’envers de sa manière de voir, ce monde réel dans lequel malgré tout nous vivons et qui finira par engloutir notre auteur émerveillé.

Parues en 1904 à Leipzig, Les Rédactions de Fritz Kocher ouvrent le livre publié en début d’année chez Gallimard, suivi de Histoires et Petits essais. Les rédactions de Fritz Kocher sont de véritables compositions dans lesquelles l’élève Kocher, un premier de classe issu d’une famille aisée, traite les thèmes imposés par le maître. On y trouve déjà la subtilité de l’écriture walsérienne, ce décalage presque infime, quasi inexprimable, entre une bonne composition de bon élève sensible et cette même rédaction revisitée par un écrivain, encore en devenir, mais un écrivain qui se risque dans un genre périlleux. Car ne pourrait-on pas dire: oui, ce Walser écrit de bonnes compositions ! Et c’est ce qu’il fait par la suite, pendant des années, des compositions signées Walser, en toute modestie (une fausse modestie, bien sûr), qu’elles s’appellent Histoires ou Petits essais.

Ce que le lecteur découvre aussi dans les petites proses de Walser, et qui n’est pas toujours évident dans ces romans, c’est une certaine causticité, qui ne vire pour ainsi dire jamais à l’ironie qu’il aurait sûrement jugée trop cruelle. Robert Walser est un homme qui se baigne dans la lumière, mais derrière l’émerveillement qui est le sien, cette satisfaction affichée (tout va toujours pour le mieux, il ne se plaint jamais de rien), un univers plus sombre se profile, celui du refoulement et des difficultés à vivre bien tranquille de sa plume dans un monde menaçant toujours sa liberté et sa candeur (par exemple l’univers du commis dans un bureau) parce qu’il ne suffit pas, pour s’en protéger, de croire à la gentillesse universelle. Si bien que ce côté enfant de Walser, cette candeur, sécrète aussi une lucidité désabusée, laquelle affleure dans le texte comme la transpiration accompagne l’effort. "Je ne sais pas de quoi parler, car tout est si beau, se trouve là seulement pour la beauté", voilà du Walser a tout craché ! Cette phrase figure dans le premier texte ("Le Greifensee") paru dans un journal, le quotidien bernois Der Bund du 2 juillet 1899. On le trouve en français dans Le Retour dans la neige, paru chez Zoé en janvier et dans Histoires (Gallimard), avec des traductions différentes, comme ce texte émotionnellement si parfait et sociologiquement si vrai intitulé "La petite Berlinoise" (1909), où il fait parler une gamine de douze ans qui vient de recevoir une gifle de son père adoré. "Le Greifensee" donne le ton à une trentaine d’années de brèves proses destinées à des journaux, souvent à gros tirage, qui séduiront des écrivains comme Kafka, Brod ou Musil, mais ne feront jamais de Walser, paradoxalement, un auteur populaire.

Parmi ces récentes publications en traduction française....

Parmi ces récentes publications en traduction française, il faut mentionner Marie (Editions du Rocher), où Robert Walser donne avec bonheur dans le conte merveilleux, celui d’une rencontre idéale dans les bois entre une sauvageonne et un honnête homme marginal d’un genre très proche de celui de l’auteur. Ce petit ouvrage en édition bilingue, d’un grand confort de lecture, offre en regard le texte original et la page traduite. La collection Minizoé propose pour sa part un texte théâtral de jeunesse intitulé "L’Etang", le seul jamais retrouvé rédigé en suisse allemand (dialecte bernois) par Robert Walser. L’auteur ne destinait pas ce texte à publication. Il l’avait donné à sa plus jeune sœur, Fanny, qui offrit le manuscrit au public un peu avant sa mort. Bernard Echte explique dans une postface que Walser ne l’aurait pas écrit à seize ou dix-sept ans, comme on l’avait cru d’abord, mais vraisemblablement huit ou neuf ans plus tard. Il recèle sans doute une histoire familiale douloureuse. Le jeune Fritz (une doublure évidente de Walser) y simule son suicide afin de mesurer la réaction de sa mère dont il se croit mal, voire pas aimé du tout. L’activité même d’écrire y apparaît comme l’annonce d’un suicide dans le but de gagner l’amour d’une mère inabordable. Et si ce suicide simulé porte ses fruits, les retrouvailles demeurent secrètes, marquées d’un non-dit propre à nourrir une vie d’écriture toute de pudeur, d’allusions au propre destin de l’auteur génialement détournées en histoires, mises en scène et fictions à l’usage des hommes.

On ne peut lire Walser en ses multiples petites proses sans ressentir que l’écrivain le plus enclin à l’émerveillement, qu’il savait si bien communiquer, s’exprimait vraiment sur l’arête d’un gouffre d’ombres aussi vertigineux que la belle lumière du monde qui éclaire ses textes.

Jean-Bernard Vuillème

Publications de Robert Walser

Les Rédactions de Fritz Kocher, Histoires, Petits Essais, traduit de l’allemand par Jean Launay, Gallimard, 1999;
Retour dans la neige, traduit par Golnaz Houchidar, Editions Zoé, 1999;
La Dame blanche, traduit par Antonin Moeri, Editions Ulysse (Dijon), 1999;
Marie, édition bilingue, traduit par Jean Launay, Editions du Rocher (Monaco), 1999;
L’Etang, traduit du suisse allemand par Gilbert Musy, Minizoé, 1999.

© 1998 Le Passe-Muraille, journal littéraire, Lausanne

 

Page créée le 20.06.99
Dernière mise à jour le 20.06.02

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