Des poèmes, Paul Celan suggérait - dans son Discours de Brême. de 1958 - qu'"ils font route vers quelque chose. Vers quoi? Vers quelque lieu ouvert, à investir, vers un toi invocable, vers une réalité à invoquer".

La question du destinataire de l'écriture (mais qui croise nécessairement celle de son origine, de son "pourquoi?") - ce destinataire eût-il ou non un visage réel ou fantasmé, fût-il, à l'autre bout du cercle, l'Autre de soi, ou un "innommable" -, nous avons souhaité la poser à plusieurs de ceux qui, aujourd'hui, en Suisse romande ou issus d'elle, poètes, diaristes, romanciers ou dramaturges, écrivent et publient des livres. Parce que s'adresser à autrui par le biais de l'oeuvre littéraire (ce "partage différé", note Anne Brécart) est une pratique de communication ambiguë, détournée, et sans doute plus complexe qu'aucune autre; parce que nul ne saurait consacrer l'essentiel de ses forces à l'écriture sans s'être au moins une fois posé, de manière plus ou moins explicite (quitte à l'éluder), la question de cette "intention" à l'oeuvre dans ses mots; et parce que, pour chacun de ceux qui accepteraient de jouer le jeu, il nous a semblé que la mise en forme de cette problématique du lecteur, ou du destinataire, serait aussi une manière de révélateur...