Peter Stamm
Peter Stamm, Blitzeis, Editions Arche
Peter Stamm, Verglas, Editions Christian-bourgeois

Peter Stamm / Blitzeis

Ein Pub in New York, ein Eisweiheir im Thurgau, eine Klinik in Deutschland, Hitze, Regen und Blitzeis, Geheimnisse und Geständnisse, Realistische Stories und coole Liebesgeschichten vom Autor des Debüterfolgs " Agnes ".

" Eine wunderbar ökonomische, unaffektierte, ins Herz schiessende Prosa "

Facts

Peter Stamm, geboren 1963. Studierte nach einer kaufmännischen Lehre einige Semester Anglistik, Psychologie, Wirtschaftsinformatik und Psychopathologie. Längere Aufenthalte in Paris, New York und Skandinavien. Lebt in Zürich und Winterthur. Seit 1990 freier Autor und Journalist, schreibt u.a. für Nebelspalter, Neue Zürcher Zeitung, Tages-Anzeiger, Weltwoche. Mehrere Hörspiele für Radio DRS, Radio Bremen und den WDR, ein Theaterstück, Beiträge für verschiedene Bücher. Seit 1997 Redakteur der Literaturzeitschrift Entwürfe für Literatur. Sein 1998 bei Arche erschienener Debütroman Agnes wurde mit dem Rauriser Literaturpreis sowie vom Kanton Zürich und der Stadt Zürich ausgezeichnet und von der Stiftung Pro Helvetia gefördet.

Blitzeis - Peter Stamm - Editions Arche

 

Peter Stamm / Verglas

Le second livre de Peter Stamm rassemble neuf nouvelles dans lesquelles se retrouve l’atmosphère confinée de son premier roman, Agnès, les mêmes personnages sans attaches, qui voyagent beaucoup et parlent peu. Désespérément ils cherchent à communiquer ou tout simplement à survivre, mais la vie sournoisement leur échappe et les plus fragiles ou les plus lucides abandonnent en chemin.

Avec un regard d’entomologiste, le narrateur exprime dans une prose blanche, distancée, excluant toute allusion psychologique , le désarroi, le mal de vivre, la difficulté d’aimer de ceux qui ont aujourd’hui trente ans. Verglas, ou les souffrances d’un jeune Werther de l’an 2000.

Traduit de l’Allemand par Nicole Roethel

http://www.christianbourgois-editeur.fr/

 

Bio-bibliographie

Peter Stamm est né en 1963 à Weinfelden. Après un apprentissage de commerce, il suit des études de philologie anglaise, psychologie, informatique économique et psycho-pathologie. Il fait des stages dans des cliniques psychiatriques et prend des emplois temporaires. Il a passé plusieurs années à l’étranger, notamment à Paris, New York et en Scandinavie.

Depuis 1990, il est écrivain et journaliste et travaille, entre autres, pour la Neue Zürcher Zeitung, le Tages-Anzeiger-Magazin et la Weltwoche. Il a écrit presque trois cents textes pour le Nebelspalter, des satires et des parodies ainsi que des critiques de cinéma et de théâtre. Il est également l’auteur de plusieurs pièces radiophoniques pour radio DRS, Radio Brême et la WDR. Une première pièce de théâtre, Fremd gehen, a été mise en scène à Berne, en 1995. De plus, Peter Stamm a écrit des contributions pour divers livres. Depuis 1997, il fait partie de la rédaction de la revue littéraire Entwürfe für Literatur.

Son premier roman, Agnes, a paru en 1998 aux Editions Arche à Zurich et Hambourg. Il a reçu le prix de Rauris en Autriche et des prix du canton et de la ville de Zurich.

En 1999, il a publié Blitzeis, un recueil de neuf récits. Le canton de Zurich lui a décerné une bourse pour un séjour de trois mois à Berlin.

En 2000, Agnès paraît en traduction française et anglaise et son auteur termine trois projets pour le théâtre: Die Planung des Plans, un monologue pour le Schauspielhaus à Zurich, How to create your own perfect Billy et Puf? oder der Stellenwert von Sehnsucht und Leidenschaft für das Wachsen des Reiches Gottes, deux pièces de théâtre.

Aujourd’hui, Peter Stamm vit et travaille à Zurich, Winterthur et Berlin.

Bibliographie

Agnes, Zurich, Arche, 1998; Frankfurt/M, Wien, Büchergilde Gutenberg, 1999.
Agnès, traduit par Nicole Roethel, Paris, Christian Bourgois, 2000.
Agnes, traduit par Michael Hofmann, London, Bloomsbury, 2000.
Blitzeis, Erzählungen, Arche, 1999.

Pièce radiophonique

"Bildnis eines Knaben mit Peitsche – aus einer Privatsammlung". Dans: Ach & Och: das Schweizer Hörspielbuch. En collaboration avec Schweizer Radio DRS, publié par Reinhardt Stumm, préface de Heinrich von Grünigen. Zurich, Haffmanns, 1998.

Textes satiriques

Alles über den Mann. Avec des cartoons de Brigitte Fries. Rorschach, Nebelspalter-Verlag, 1995.

Texte journalistique

Gotthard: die steinerne Seele der Schweiz. Photos de Markus Bühler, Zürich, AS-Verlag, 1997.

Extrait de la Revue Feuxcroises 3

 

Un entretien réalisé par Daniel Rothenbühler pour la revue Feuxcroisés

Peter Stamm "Etre disponible à l’inattendu"

Il y a trois ans, Peter Stamm était un journaliste et écrivain peu connu. Il travaillait pour la NZZ, le Tages-Anzeiger et la Weltwoche, publiait des textes dans la revue satirique Der Nebelspalter et écrivait des pièces radiophoniques. En un temps record, le roman Agnès et les récits Blitzeis ont fait de lui une référence de la littérature suisse-allemande au-delà des frontières. A sa parution, Agnès reçut le prestigieux prix autrichien de Rauris. Un an plus tard, Blitzeis passa sans problèmes l’épreuve difficile du deuxième livre. Le roman et les récits séduisent la critique aussi bien que le public. Et, fait rare, cet écrivain suisse se vend mieux en Allemagne que dans son pays.

Est-ce parce que les histoires qu’il raconte se passent pour la plupart loin de Suisse, dans le nord de l’Amérique ou de l’Europe? Ou est-ce parce que ses personnages représentent le "type universel de la vie actuelle" comme l’affirme la radio Freies Berlin?

Peter Stamm parle d’amour et de mort, de rencontres et de séparations, de culpabilité et de deuil – des expériences dont traite la littérature depuis les mythes de l’Antiquité. Son art consiste à les placer dans le quotidien de la vie moderne tout en maintenant leur force primaire. Ses personnages sont des êtres ordinaires, presque médiocres, qui ont de la peine à faire face aux événements et aux émotions qui les envahissent. Ebranlés par l’amour ou la mort, ils cherchent à se préserver de tout ce qui pourrait les déstabiliser et recourent aux moyens dont dispose en premier lieu l’individu moderne: le repli sur soi et la fuite. Ils ne vivent ainsi que les amorces de grandes émotions, mais ce fait ne diminue pas l’impact des événements sur les lecteurs, il l’amplifie. En faisant passer l’observation avant l’action, les personnages, chez Peter Stamm, donnent de l’importance aux moindres gestes et paroles. Ceux-ci sont rapportés avec précision par des narrateurs soumis à la même inhibition. En résulte un saisissant understatement à l’américaine souligné par un style sobre qui renonce à tout effet.

En même temps, Agnès fait entrevoir que ce soin du détail n’est pas équivalent à un réalisme plat. Car ce roman, en plus d’une histoire d’amour et de mort, présente également une expérience de l’être humain en tant que homo narrans. Le roman montre deux amants qui aimeraient préserver leur histoire d’amour en la transformant en récit. L’ironie tragique veut que ce soit justement par cette tentative qu’ils se perdent. L’homme, se faisant narrateur, est entraîné par la logique de son récit. La femme, Agnès, d’abord désireuse qu’il écrive, se voit finalement obligée de le quitter. Elle le fuit ou elle se tue, le roman ne donne pas de version définitive. Le pouvoir destructeur qu’a sur elle le récit de son amant s’explique par le fait que, depuis petite, elle se laisse captiver par les histoires qu’elle lit. Elle est la lectrice idéale d’une littérature qui demande qu’on prenne pour réalité ce qui n’est que fiction. L’auteur nous montre donc les méfaits d’une lecture réaliste tout en la suggérant par une mise en scène précise des lieux, des atmosphères et des actions. C’est seulement quand on se rend compte de la partialité du narrateur qu’une double lecture s’impose: le lecteur reconnaît le caractère factice du récit dans la mesure où il s’est fait captiver par lui.

Après le succès d’Agnès et de Blitzeis, Peter Stamm s’est concentré sur plusieurs projets pour le théâtre. Il a écrit Die Planung des Plans, un monologue pour le Schauspielhaus à Zurich, et deux pièces, How to create your own perfect Billy et Puffi oder der Stellenwert von Sehnsucht und Leidenschaft für das Wachsen des Reiches Gottes. Ces textes sont marqués par le goût de l’auteur pour l’expérimentation. Il y déjoue les conventions littéraires comme il l’a déjà fait dans ses pièces radiophoniques et dans Fremd gehen, pièce mise en scène en 1995 à Berne.

Entretien

– Vous avez fait de longues années d’apprentissage et de voyage dans les années 80. Elles ont laissé des traces dans le roman Agnès et dans les récits du recueil Blitzeis. Aviez-vous déjà des projets littéraires à l’époque?

– Oui, j’ai commencé à écrire il y a très longtemps, et également lors de mes séjours à l’étranger. Mais à l’époque, je m’inspirais de ce que j’avais vécu auparavant en Suisse. Les sujets américains et scandinaves d’Agnès et de Blitzeis ont ressurgi après mon retour en Suisse. J’ai dû retourner sur place pour véri?er si mes souvenirs concernant les lieux étaient justes.

– Est-ce là le souci du reporter que vous êtes aussi, depuis 1990?

– Quand je parle de lieux concrets, j’essaie d’être exact. Mais à part ça, je ne pense pas être marqué dans mon écriture littéraire par mon travail de journaliste. Au contraire, j’ai écrit bien avant de faire des reportages. Il s’est avéré que mon style se prêtait bien au journalisme. Mon travail de journaliste m’importe encore sous un autre angle. Je ne me vois pas comme écrivain au-dessus de la mêlée, je veux écrire des histoires de la vie normale. Mes personnages mènent une vie de tous les jours, j’ai donc besoin de garder des liens avec leur façon de gagner leur vie. De plus, je n’aimerais pas vivre de bourses étatiques ou privées. Je suis même prêt à écrire des textes publicitaires, s’il le faut, et je l’ai déjà fait.

– Mais c’est un travail bien distinct de l’écriture littéraire?

– Je fais cette distinction aussi par rapport à mon travail de journaliste. Contrairement à Meienberg, par exemple, je ne considère pas mes reportages comme un genre littéraire. En tant que journaliste, j’essaie de présenter les faits, en tant qu’auteur, je me sens libre de suivre mes envies. "Blitzeis", par exemple, un récit du recueil éponyme, décrit un reporter enquêtant sur une femme qui souffre d’une maladie mortelle. Ce texte est issu d’un vrai reportage. L’ayant terminé, j’avais envie de montrer ce dont je ne pouvais parler en tant que reporter, notamment la brutalité sous-jacente des rapports entre enquêteur et malade.

– La brutalité des rapports humains, en particulier lors de séparations entre êtres qui semblent proches, n’est-elle pas chez vous un sujet qui dépasse la réflexion sur le journalisme?

– Je pense effectivement que nous vivons dans un monde où l’on n’apprend plus à faire de vrais adieux. La télécommunication nous fait croire que nous restons connectés quoi qu’il arrive, et c’est ainsi peut-être que nos adieux, comme nos rencontres, se font dans une indifférence qui peut paraître brutale.

– Il vous arrive aussi de vous moquer de ce genre de phénomènes sociaux. Qu’entre 1993 et 1995, vous ayez écrit quelques trois cents satires peut surprendre quelqu’un qui ne connaît que la teneur plutôt sérieuse de votre roman et de vos récits.

– J’ai toujours ressenti deux besoins contradictoires, celui de me défouler dans l’expérimentation sans limites et celui de me soumettre à des formes rigoureuses. Aujourd’hui, je n’écris plus de satires, mais je donne libre cours à mes fantaisies dans mes pièces radiophoniques. Je l’ai également fait en écrivant un livre pour enfants. Il n’a pas encore été publié. Son contenu semble trop farfelu pour être illustré. Mais je suis sûr que cela se fera.

– Dans un essai sur l’humour vous ne montrez pas une très haute estime pour le rire. Pourquoi?

– Le rire est une sorte d’agression. Je suis un homme agressif, mais au lieu de cogner, je fais rire. Au-delà de cet exutoire, le rire ne m’intéresse pas. Le rire nous distancie des choses. En écrivant je cherche au contraire à les cerner le plus près possible. Ce n’est pas drôle, mais c’est indispensable.

– En 1995, vous renoncez à collaborer à la revue satirique Nebelspalter, en 1997, vous adhérez au comité de rédaction de la revue littéraire Entwürfe et en 1998, vous publiez Agnès. Aviez-vous décidé de vous consacrer davantage à la littérature proprement dite?

– C’est le résultat de plusieurs coïncidences. En ce qui concerne Entwürfe, j’ai suggéré un jour aux responsables de la revue de consacrer un numéro aux pièces radiophoniques. On m’a proposé de le réaliser moi-même, et c’est ainsi que j’ai rejoint le comité de rédaction. Maintenant, c’est avec plaisir que je contribue à offrir une tribune aux écrivains de valeur qui ont de la peine à se faire entendre autrement. Quant à Agnès, ce roman n’aurait peut-être pas été publié en 1998 si la Suisse n’avait pas été l’invité d’honneur à la Foire du livre de Francfort. Auparavant, j’avais envoyé ce texte à cinq éditeurs qui m’avaient tous répondu qu’il ne se prêtait pas à la publication. C’est une agence littéraire, à la recherche de nouveaux talents suisses, qui a établi le contact avec Arche – une des cinq maisons d’édition qui avaient déjà reçu mon manuscrit.

– Aviez-vous déjà contacté des maisons d’édition pour d’autres textes?

– Oui, j’avais fait la même démarche pour trois romans. Ils avaient tous été refusés. Aujourd’hui je pense qu’ils ne méritaient pas mieux. Avec Agnès c’était différent. Je sentais déjà à la teneur des lettres de refus que ce texte aurait plus de chance malgré les premiers insuccès.

– Ces premières réactions étonnent aujourd’hui, vu le succès du roman auprès de la critique et du public. Comment les éditeurs ont-ils justifié leur refus?

– Leurs objections étaient pour la plupart moins catégoriques que celles de certains critiques littéraires. L’accueil d’Agnès n’a pas été aussi unanime qu’il paraît aujourd’hui. Lors d’un débat télévisé, par exemple, une critique littéraire très écoutée a dit n’avoir rien trouvé de positif à la lecture de ce roman. A ses yeux, il décrit un univers glacial vu par un narrateur privé de sentiments.

– N’est-ce pas cela qui fait l’intérêt du roman aux yeux d’autres critiques?

– Je ne pense pas que le monde que je décris soit seulement froid et que mes narrateurs ne soient que des cérébraux. Mais il est vrai que certains critiques ont trouvé dans mes personnages l’image type du Suisse neutre, même devant ses sentiments, d’autres au contraire le représentant universel de nos sociétés modernes. A mes yeux, ces deux visions se rejoignent dans la mesure où la plupart des sociétés industrialisées sont en train de se "suissifier" (verschweizern). A part ça, Agnès ne doit pas être spécifiquement suisse, puisque ses ventes ont été plus importantes en Allemagne qu’en Suisse. Je suis curieux de voir la réaction des publics de langue française et anglaise. Les premiers échos aux deux traductions sont plutôt positifs.

– Les métaphores du froid dans vos textes rappellent les jeunes Zurichois qui, au début des années 80, se considéraient comme des brise-glace et voulaient raser les Alpes. A dix-huit ans, en 1981, avez-vous été touché par ce mouvement?

– Pas du tout. C’est seulement plus tard que j’ai compris ce qui s’y était passé. Après coup, je partage avec cette génération sa désillusion non pas frustrante, mais salutaire. Tôt, j’ai été fasciné par le personnage du révolutionnaire qui a perdu ses illusions, tel que Übelohe dans Le Mariage de Monsieur Mississippi de Dürrenmatt. Je crois, comme Dürrenmatt, qu’il ne faut pas chercher son salut dans un projet révolutionnaire ou dans un au-delà. Certes, ce monde est terrible, mais il n’est pas mauvais. L’immense vide du cosmos est beau. Aujourd’hui, nous pouvons le voir concrètement tandis que d’autres époques n’en avaient qu’une connaissance abstraite. J’éprouve une sorte de religiosité de la nature, non pas dans le sens d’une divinité maternelle qui nous abrite, mais plutôt d’une grande loi à laquelle nous devons nous soumettre. C’est pourquoi les images de la nature me tiennent à cœur. Les images du froid dont vous parliez ont certes une valeur métaphorique à la lecture de mes textes, mais elles ont aussi leur importance en elles-mêmes. Renoncer à des visions qui transcendent le monde, c’est pouvoir le regarder tel qu’il est, sans chercher des explications. Une telle vision peut être consolatrice. Là-dessus je ne suis pas d’accord avec Dürrenmatt, qui avait horreur de ce qui pourrait être vu comme consolation. A part ça, c’est l’auteur qui m’a le plus marqué, le seul dont j’aie quasi tout lu.

– N’êtes-vous pas aussi influencé par la littérature américaine?

– Certainement. Hemingway a été important pour moi ou Raymond Carver, même si j’ai peu lu le second. Mais il y a aussi l’Italien Pavese ou, plus loin, le Russe Tchékhov. Carver a d’ailleurs fait référence à Tchékhov, et sans en avoir encore la preuve, je suis sûr que Hemingway a également été influencé par ce dernier.

– Et Frisch?

– C’est drôle. On m’a déjà rendu attentif sur certains liens entre mes textes et Stiller ou Homo faber. Mais c’est seulement par la suite que j’ai lu ces deux romans et que j’ai été frappé des parallèles qu’on pouvait y voir. En retraçant son histoire d’amour avec Agnès par une sorte de récit-portrait, le narrateur de mon roman transgresse le commandement "Tu ne te feras aucune image" qui, selon Frisch, doit régir l’amour. Mais à la différence de Julika dans Stiller, Agnès ne s’oppose pas à cette transgression, elle pousse même son amant à écrire. Au départ, mon idée était de montrer un homme et une femme qui, comme tant d’autres, ont besoin de se voir eux-mêmes en se racontant leur histoire et qui courent ainsi le risque de rater leur vie. Je voulais d’abord les faire écrire tous les deux, chacun sa version de l’histoire. Mais finalement, j’ai jugé plus intéressant que le narrateur s’approprie seul le rôle de chroniqueur du couple. Il étouffe chez son amie toute envie d’écrire en dénigrant la première amorce d’un texte qu’elle lui soumet. C’est pourquoi ensuite, quand elle souhaite que son histoire soit racontée, elle doit lui demander de l’écrire. Il adopte ainsi le rôle d’un Pygmalion à l’envers: il n’éveille pas son œuvre à la vie en l’aimant, il statufie l’être aimé en achevant son œuvre.

– Avez-vous pensé au martyre de sainte Agnès en écrivant celui de votre héroïne?

– Non. Là aussi, je n’ai pris connaissance des parallèles possibles qu’une fois le roman écrit. Mon héroïne devait d’abord s’appeler Solveig. Puis un poème de Keats m’a inspiré le nom d’Agnès. A la parution du roman, les critiques ont trouvé des liens surprenants avec les Legenda aurea. C’est fascinant. Mais ces découvertes ne devraient pas amener les lecteurs à ne plus voir dans l’histoire d’Agnès que le martyre d’une jeune fille. Rien n’indique par exemple qu’elle se tue vraiment. J’ai d’abord écrit une version où le narrateur tombe sur des indices qui prouvent la mort d’Agnès, mais j’y ai renoncé. Je préfère que, sur ce point, la fin reste ouverte. Maintenant il n’y a que l’affirmation du narrateur au début du roman qui fait croire qu’Agnès est morte. Mais on peut se rendre compte par la suite qu’il n’est pas fiable puisqu’il maintient dans son récit des affirmations qui ont été démenties par Agnès.

– Le réalisme apparent du roman cacherait donc une déstabilisation subtile de la narration?

– Exactement. Agnès n’est pas marqué par ce réalisme que certains ont voulu y trouver. C’est d’ailleurs ce qui rend difficile l’adaptation cinématographique du roman.

– Vous êtes en train de préparer un film?

– Oui. Le cinéaste zurichois Samir est d’accord de le réaliser et la production semble être assurée. Je suis en train d’écrire le scénario et j’avoue que ce n’est pas facile. Comment par exemple montrer dans le film le pouvoir de tout récit sur Agnès? Ou quel visage donner au narrateur? Il n’en a pas dans le roman, puisque nous voyons tout avec ses yeux. C’est fascinant de résoudre ces problèmes, mais en ce qui concerne l’écriture proprement dite, je ne trouve pas très passionnant d’élaborer un scénario. Je ne peux pas me laisser aller, c’est très technique et il y a beaucoup de contraintes extérieures. Quelquefois, j’ai l’impression de rédiger un mode d’emploi.

– N’êtes-vous pas habitué à certaines contraintes par vos productions radiophoniques?

– C’est autre chose. J’ai, certes, d’abord dû apprendre les règles du métier, mais maintenant je me sens très libre quand j’écris une pièce radiophonique. La langue parlée y est importante, et cet aspect quasi musical me pousse à plus d’audace dans l’expérimentation. Pour moi, écrire, c’est toujours en premier lieu travailler la langue. C’est valable aussi pour ma prose. Il y a des critiques qui croient que je me soucie plus de l’histoire, mais c’est faux. L’histoire n’est que le squelette qui doit porter la langue.

– Souvent, pourtant, la critique fait l’éloge de votre art d’élaborer des histoires bien construites.

– Je ne fais pas que construire. J’ai justement l’impression que le scénario m’oblige trop à construire alors que dans mes pièces radiophoniques et ma prose narrative j’aime me laisser emporter par ce qui s’impose au cours de l’écriture. Je n’avais pas prévu, par exemple, la grossesse d’Agnès, elle m’a surpris autant que les personnages du roman. Actuellement je suis en train d’écrire un roman qui se passe en Norvège et a pour protagoniste une femme. La seule chose que j’aie décidée c’est que, pour la première fois, je renonce au "je" du narrateur en faveur d’une instance narrative qui a accès à la vie intérieure de la protagoniste et que celle-ci va faire un voyage. Mais je ne sais pas encore tout ce que cela donnera. Je m’attends à des surprises en avançant dans l’écriture. Etre disponible à l’inattendu, prêt à faire face à ce qui m’échappe, c’est ce qui fait à mon avis l’intérêt même de la vie.

– Cette ouverture vers l’inconnu n’est-elle pas aussi, dans vos textes, un sujet important?

– Le récit de Blitzeis que je préfère s’appelle "Das schönste Mädchen". Son narrateur se trouve sur une île hollandaise et voit écrit dans le sable le nom d’Alien. Il croit y voir le reflet de sa propre solitude, de son étrangeté dans ce monde. Par la suite, il apprend que cette inscription n’est qu’un hommage à la plus belle fille de l’île qui porte ce nom de femme hollandais. Je trouve précieux de tels moments où toute vision préétablie s’écroule. On est mis dans une position précaire et parfois on n’arrive même plus à se reconnaître soi-même. Cette expérience de trouver quelqu’un d’étranger dans ma propre image fut d’ailleurs le déclic décisif pour l’écriture d’Agnès. C’est terrifiant, un moment pareil, mais c’est là peut-être que, sans s’en rendre compte, on est le plus proche de la vérité et le plus prêt à aimer.

Daniel Rothenbühler

un entretien proposé par la revue Feuxcroisés

 

Extrait de Blitzeis

FEU !

Sous la Roche-à-la-Vache, la falaise de molasse où une vache était tombée jadis et sous laquelle, l’hiver, se formaient les plus beaux glaçons, se trouvait la grotte où Sven et moi avions nos rendez-vous. De là, disait-on, un souterrain secret conduisait autrefois au château. Mais à présent, la grotte était obstruée au bout de quelques mètres déjà, et nous y avions pris nos quartiers. Nous allumions des bougies, sculptions des pipes et faisions sécher des feuilles de hêtre que nous n’osions jamais fumer. C’est non loin de là que vivait Herbert.

La mère de Herbert nous offrait des glaces à l’eau faites maison parce que nous jouions avec son fils bien qu’il soit catholique. Nous n’avions pas d’argent. Ce n’est que plus tard, à la Fête cantonale de tir, que nous avons gagné quelques sous en nous engageant comme marqueurs. La commune avait dressé une grande tente de fête à côté du stand de tir.

C’est à côté du stand qu’une nuit, j’ai fumé ma première cigarette, tout près de là, nous enfouissions les os et les cadavres d’animaux que nous trouvions parfois dans les bois. Un beau jour, Sven avait apporté une tête de brochet qui puait déjà, et nous l’avions brûlée. Là-bas, non loin du stand, il y avait un bois de hêtres, plus lumineux que la forêt de la Roche-à-la-Vache qui entourait notre grotte. Clarté des hêtres, disait mon père.

Dans la forêt, à l’époque, nous étions libres, et nous nous moquions des éclaireurs qui chantaient en uniforme. Nous ne chantions pas. Nous mâchions de l’oseille et de la résine, récoltions faînes et glands. Sven affirmait qu’un jour, il avait fait rôtir une corneille, et je le croyais, parce qu’il s’était lui-même percé l’oreille, avec une aiguille chauffée à blanc, pour y accrocher une boucle. Son père était allemand, ce qui semblait tout expliquer. Mon père était serrurier, celui de Herbert, architecte.

Herbert allait tous les samedis aux scouts catholiques, et le mercredi après-midi, il avait le catéchisme. Le soir, il fabriquait avec son papa des modèles réduits d’avion avec de minuscules moteurs à essence. Parfois, tandis que je jouais avec Sven, il rôdait dans les parages des heures durant sans se faire voir, puis se montrait brusquement en disant: "Venez chez moi, et vous aurez une glace!"

Ensuite, nous mangions notre sorbet devant chez lui, sa mère s’enquérait de l’école et Herbert faisait des grimaces derrière son dos, jusqu’à ce que nous ne puissions nous empêcher de rire. Herbert avait trois sœurs.

Herbert s’était engagé avec nous comme marqueur à la Fête de tir. C’était son père, nous révéla Herbert, qui avait voulu qu’il soit cibare, et aussi, qu’il soit scout. Dans la commune, on n’aimait pas son père. Il venait de la ville et nous avait construit une église fort laide au milieu du village. Le père de Herbert, quand il tirait, portait des lunettes spéciales et une coûteuse veste de cuir, rembourrée aux coudes. Herbert disait que son père était tireur d’élite à l’armée, mais nous n’en croyions pas un mot. Je m’étais cassé le bras deux fois, déjà, Sven s’était même cassé la jambe à ski. Herbert n’avait qu’une seule cicatrice, au bras, et Sven disait qu’elle provenait d’un vaccin.

A la grande Fête de tir, Herbert était cibare à côté de moi. Sur sa cible, il n’enregistrait que des 1 et des 2, tandis que mon tireur marquait un 5 après l’autre. Herbert avait sur lui une gourde de thé chaud, et je lui ai dit: "Tu aurais le cran d’aller voir qui est l’incapable qui tire si mal sur ta cible?"

Je plaisantais, bien sûr, il aurait dû le savoir, nous étions beaucoup trop loin. Mais nous étions tout au bout de la ciblerie, alors il a escaladé le mur latéral et m’a crié en riant: "Je vois la fumée des fusils."

Puis il est tombé, un trou dans la tête. Il y a eu une grande agitation, mais on voyait bien qu’il n’y avait plus rien à faire. J’étais à côté de Herbert, et le chef cibare m’a donné une gifle et m’a repoussé. Il pleurait. Par la suite, il m’a présenté ses excuses, j’en ai été gêné.

Le chef cibare a passé en jugement parce qu’il était responsable, mais il n’a pas eu à aller en prison, et personne au village n’a rejeté la faute sur lui. Ni sur moi non plus. Je n’avais rien dit. On m’a même marqué des égards spéciaux parce que j’avais été sur les lieux, et que j’avais vu Herbert mort.

Le lendemain soir, il y eut la remise des prix, puis la fête. C’est là que j’ai fumé ma première cigarette, et le président de la Société de tir m’a donné du feu en disant: "Si l’architecte avait été un meilleur tireur, il aurait touché le centre de la cible et n’aurait pas tiré son fils en pleine tête."

Extrait de Blitzeis - Peter Stamm - Editions Arche

Traduction: Marion Graf

Cet extrait est tiré de la Revue Feuxcroisés 3

 

Extrait de presse

Stamm Peter : Verglas

Né en 1963, Peter Stamm fait partie de cette jeune génération d'écrivains qui ont tous les mêmes approches, les mêmes préoccupations, les mêmes inquiétudes, qu'ils soient anglais, français, allemands, espagnols ou américains, ou encore suisses comme lui. Ils ne pratiquent ou ne connaissent qu'un style dépouillé, sobre, économique, facile à lire, où chaque mot compte, simplement comme pour tous les adeptes du minimalisme. Certains - et Peter Stamm est de ceux-là - réussissent mieux que d'autres. Ils ont beaucoup voyagé, parlent souvent plusieurs langues et se sentent bien ou mal, toujours pareils un peu partout, participant ainsi à une sorte de mondialisation de la littérature générationnelle.

Au cours des neuf nouvelles qui composent ce recueil, le narrateur, peut-être toujours le même, se trouve donc en Suisse, à New York, en Suède, sur une île hollandaise ou en Italie. Probablement toujours âgé d'une trentaine d'années, il observe ses amis, la vie autour de lui : les difficultés d'aimer, d'être aimé, de communiquer et tout ce qui s'ensuit, la résignation, la tristesse, le désespoir, le manque d'ambition, une vague fatigue de vivre et, bien sûr, la mort. Il garde souvent ses distances non sans compassion, mais sans plus d'humour que d'ironie. Ce qui retient l'attention, c'est qu'à partir d'une situation banale, quotidienne, Peter Stamm introduit toujours une atmosphère un peu étrange, parfois déplaisante, parfois plus douce si bien que l'on aborde chaque nouveau texte avec curiosité

(traduit de l'allemand par Nicole Roethel, éd. Christian Bourgois, 164 p., 95 F [14,48 €]).

M. Si.

16.03.01