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Marion Graf
L'écrivain et son traducteur en Suisse et en Europe, publié sous la direction de Marion Graf, illustré par Yvonne Böhler, Editions Zoé

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Retrouvez également Marion Graf dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse.

  Marion Graf / L'écrivain et son traducteur en Suisse et en Europe
 

ISBN 2-88182-339-4

"Le traducteur littéraire, lui, éprouve l'altérité jusque dans ses derniers retranchements. Il pratique une forme extrême de lecture, une écoute qui le mène aux sources mêmes de la création."

Marion Graf

Singes, caniches, perroquets, papillons, traîtres, contrebandiers ou funambules, traîne-misère ou poules de luxe, amoureux fervents ou lucides linguistes : qui sont les traducteurs littéraires ? Voici un livre pour les rencontrer, un hommage au mystère de cette profession méconnue.


Au fil des textes et des images, la traduction apparaît comme une forme intense de relation. En témoignent ici quelques couples célèbres, Yves Bonnefoy et Shakespeare, Peter Handke et Georges-Arthur Goldschmidt, Philippe Jaccottet et Giuseppe Ungaretti, Friedrich Dürrenmatt et Walter Weideli.

Nicolas Bouvier et Hugo Loetscher l'attestent: passion de l'autre et attention aux mots font des traducteurs les frères sédentaires et minutieux des écrivains voyageurs.

Qu'ils s'attachent aux œuvres de Jean Starobinski, de Friedrich Glauser ou de Yasushi Inoue, qu'ils travaillent pour la scène, le cinéma ou la jeunesse, ces passeurs nous engagent à méditer sur le périlleux voyage des textes, à considérer leurs métamorphoses parfois vertigineuses à travers les siècles et les cultures (la Bible, Sade, Proust, ou Robert Walser ... ) ou encore, leur circulation fertile à travers ce pays quadrilingue qu'est la Suisse.

Ce livre est publié sous la direction de MARION GRAF, traductrice littéraire du russe et de l'allemand et collaboratrice à la rubrique culturelle du Temps. Il est illustré par un reportage complice et ludique de la photographe YVONNE BÖHLER sur "l'écrivain et son traducteur"

 

  Article de Wilfred Schiltknecht / Le Temps


Traduits mais pas trahis!

Essai

Personne ne lit plus attentivement un écrivain que son traducteur : entre eux, c’est vraiment une histoire d’amour. La preuve avec un premier panorama stimulant de la traduction littéraire en Suisse et en Europe.

Marlus Wenger tournant le dos à sa traductrice Marion Graf - Photo de Yvonne Böhler

Plus que toute autre, la profession du traducteur est méconnue. Depuis toujours, c'est un laissé-pour-compte ; il n'y a pas si longtemps, on ne mentionnait même pas son nom. Le proverbe lui a fait une mauvaise presse, bien souvent on ne le cite que pour ses erreurs. Car beaucoup dans le public croient naïvement que pour bien traduire, il suffit de faire la part du juste et du faux, que c'est là chose facile, et qui va de soi. Il était donc grand temps de rappeler et de dépeindre la complexité de la tâche, comme le fait maintenant, pour les lecteurs francophones, mais sans ignorer les autres régions linguistiques, un remarquable ouvrage publié sous la direction de Marion Graf: une véritable somme, à lire comme un hommage, et passionnante à découvrir.
D'abord et essentiellement, elle donne la parole aux intéressés eux-mêmes, à ceux qui œuvrent en Suisse pour la plupart, mais aussi en France, en Italie et en Allemagne. Souvent, et c'est bien sûr le cas le plus favorable, ils sont écrivains eux-mêmes et le dialogue avec ceux qu'ils traduisent a lieu entre confrères. Mais le livre situe aussi le cadre dans lequel s'exerce leur activité, dit le rôle des éditeurs et des revues littéraires. Des historiens de la littérature et des spécialistes interrogent l'écho que les textes peuvent ainsi trouver au-delà des frontières. Ainsi s'esquisse un panorama vaste, riche en informations multiples. A la fois nuancé et clair, il permet d'entrer dans les détails tout en offrant la synthèse et le survol.

Rien n'impose de suivre l'ordre des chapitres, l'attrait réside aussi dans la diversité des approches. Toutes ne requièrent pas les mêmes exigences. Des aperçus historiques permettent une entrée en matière facile et rappellent nombre de faits importants, mais que souvent on oublie ou ignore: l'évolution des échanges littéraires en Suisse dans la première moitié du siècle, la politique éditoriale de la Guilde du Livre et de la collection CH, l'importance des Editions Rencontre et des auteurs romands dans la redécouverte de la littérature de la Grèce antique, le mérite de ces mêmes auteurs en tant que « passeurs» de poésie italienne. Ou encore, sobrement rappelées par Jean Starobinski, l'influence de l'école de Genève et la part que, dans l'interprétation des textes, elle réserve à la traduction, le travail des « passeurs d'ombre» que sont les sous-titreurs de cinéma, les problèmes posés en Suisse par les traductions de théâtre.

Ces articles ouvrent l'accès à un champ que bien des rubriques permettent d'étendre: ici, une fine analyse des itinéraires de Walser en France et des « jeux et enjeux de sa légende», là, de pertinentes questions et réponses sur l'image du roman allemand en France, le choix des titres, les retraductions, les lacunes. Mais on peut opter aussi pour des entrées en matière plus personnelles et plus directes. Par le biais de l'anecdote par exemple, dans le récit que Walter Weideli, l'un des premiers traducteurs de Dürrenmatt, fait de sa découverte de l'auteur et de leurs rencontres. Ou mieux encore, par la lecture, dans ses versions françaises successives, d'un fragment de poème de Rilke: quoi de plus éloquent en ce qui concerne la problématique de la traduction, que la confrontation, proposée à l'improviste au cœur du livre, des douze traductions différentes de quatre vers de la première Elégie de Duino?

C'est peut-être dans cette confrontation vivante à la langue,
qui est aussi un jeu, qu'il faut chercher la substantifique moelle du livre

Interpellé lui-même, le lecteur comprend la nécessité de se tourner vers les spécialistes. Certains s'expriment dans des entretiens: Yves Bonnefoy insiste à propos de la traduction de Shakespeare sur la nécessité de restituer la spécificité théâtrale par la maïeutique et le travail du vers, Hanno Helbling analyse le style de Ramuz pour intégrer dans sa version allemande ce qui dans l'original dérange, Georges-Arthur Goldschmidt ne peut traduire Handke sans être porté par la musique du livre et par les images qu'il suggère. D'autres recourent à la correspondance: de lettre en lettre, Jaccottet affine sa traduction d'un poème d'Ungaretti, à la suite de ses remarques, le poète en arrive même à modifier l'original; dans un substantiel échange épistolaire, llma Rakusa et Christina Viragh s'interrogent sur leur poétique de la traduction et son influence sur le travail de l'écriture.

Yla von Dach et François Debluë - photo de Yvonne Böhler

Impressionnant, comme tous s'engagent. En retraduisant et en insufflant une nouvelle vie à un passage biblique, Etienne Barilier donne par un bel et éloquent exemple sa profession de foi de traducteur. Mot à mot, Marcel Schwander transpose dans le vocabulaire et la syntaxe la vivacité d'Amélie Plume, un remarquable travail d'interprète permet à Eléonore Frey de restituer l'oscillation et le subtil équilibre d'un poème de José-Flore Tappy. C'est chaque fois, un dialogue intime avec la parole de l'autre et une réflexion sur le langage.

Et c'est peut-être dans cette confrontation vivante à la langue, qui, comme le suggère plaisamment au fil des pages une iconographie ludique, d'Yvonne Böhler, est aussi jeu, qu'il faut chercher la substantifique moelle du livre. Lisez, sur ce point, les pages denses d'Adrien Pasquali sur son devenir dans la langue et le conflit entre l'imaginaire linguistique et le réel sensible. Et celles non moins éclairantes, de Felix Philipp Ingold sur le plurilinguisme et la nécessité de conquérir sa propre langue par une perpétuelle traduction.

Il y a, dans ce fondamental et bel ouvrage, de quoi réfuter bien des préjugés. L'espoir est permis d'une compétence accrue et d'un autre rapport au texte, qu'il soit original ou traduction, et qui engage le lecteur à une créativité et une clairvoyance nouvelles.

COLLECTIF SOUS LA DIRECTION DE MARION GRAF, L’Ecrivain et son traducteur en Suisse et en Europe ,
Photographies d'Yvonne Böhler, Ed. Zoé, 293 p.

Par Wilfred Schiltknecht

3 octobre 1998

 

  Article de Monique Laederach / La Liberté

La traduction, cette mission impossible et indispensable

"L'écrivain et son traducteur" ne prétend pas être un ouvrage exhaustif sur le sujet.Il soulève cependant les bonnes questions sur le rôle difficile du traducteur.

De par sa situation géographique et son plurilinguisme, la Suisse devrait idéalement s'être constituée plaque tournante des littératures au moins européennes. Ce n'est pas le cas, même si les traductions, dans notre pays, sont relativement nombreuses. C'est que, comme le note Marion Graf qui a dirigé la publication de L'écrivain et son traducteur, "la curiosité entre les régions est médiocre et l'ignorance mutuelle incommensurable."

Tout se passe en effet comme si les pôles d'attraction que sont pour trois de nos régions linguistiques Paris, Milan ou Francfort se trouvaient à des distances sidérales les uns des autres par le choix des écritures, des idéologies littéraires ou des intérêts culturels - et cela au moment même où des Umberto Eco, Patrick Süskind ou Thomas Bernhard parviennent à atteindre toute l'Europe avec leurs livres. Est-ce la trop grande proximité intérieure qui nous étouffe? Le besoin ravageur de maintenir les distinctions d'un "fédéralisme" jusqu'en littérature?

UNE TRAHISON?

Cependant, tous les traducteurs qui s'expriment dans ce livre important paraissent totalement fascinés par leur activité traductière. Reconnaissant de façon lancinante que traduire n'est pas possible (sauf Gilbert Musy qui annonce triomphalement ses résultats!), que l'on trahit toujours d'une manière

Yvonne Böhler est partie à la rencontre des couples célèbres.
Ici, Maurice Chappaz et Pierre Imhasly

ou d'une autre le texte original, que les choix entre le sens, la musique, le rythme sont parfaitement désespérants, ils se remettent pourtant à la tâche comme ligotés par le défi, peut-être en effet dans un principe de sadomasochisme tel que le relèvent deux traducteurs, mais surtout avec un espoir jamais vraiment défaillant de ramener intact dans la langue cible le joyau de la langue source et de transmettre ainsi une expérience de la langue qui, souvent, est aussi profonde si ce n'est davantage ou du moins plus consciente - que celle du premier scripteur.

Les textes rassemblés ici ne cessent de revenir sur ces alternances, mais ils finissent, l'un par rapport à l'autre, par établir un vaste faisceau de questions, de méthodes, de réponses prudentes, d'audaces - mais aussi de jouissances d'infinies variétés. Celle de la lecture (et l'on est stupéfait par la subtilité qui y préside), et celle d'avancer "à tâtons" comme le disait Pinget "dans l'aire des possibles", avec des précautions plutôt amoureuses, à mon sens, que sadomasochistes, à la recherche non tant d'un miracle improbable qui abolirait les frontières entre les langues, mais peut-être avec le vague espoir de toucher à une langue ancienne (celle de l'Atlantide, celle d'avant Babel) au centre de laquelle toutes nos langues pourraient trouver une résonance commune.

Au-delà du texte à traduire lui-même, cependant, il y a sa destination, ou ses destinataires. Le traducteur ne peut pas (toujours) les oublier. Question de culture parfois, de langue (Ramuz en allemand; la traduction de la Bible en tsonga d'Afrique australe); l'enjeu du théâtre où le texte s'appuie sur une voix et doit passer la rampe; ou encore: c'est une idée surtout qu'il s'agit de transmettre, et si possible clairement. Puis, il y a la littérature enfantine et les choix qu'elle impose. Il y a les "passeurs de l'ombre", comme les appelle Isabelle Rüf quand elle présente les sous-titreurs de nos films et leurs techniques particulières.

LE DEFI DE FAIRE MIEUX

Parfois, si l'auteur est vivant, il peut y avoir dialogue avec lui; d'autres fois, on reprend des textes déjà traduits plusieurs fois (Rilke. Kafka - les inépuisables!) - et pourquoi le fait-on? Bien sûr, pour le défi de faire mieux, mais aussi parce qu'il y a une constante réactualisation possible. Justifiée? On ne réactualise, ni Kafka ni Rilke en allemand: pourquoi, dès lors dans l'autre langue ?

Il ne manque même pas à ce volume la dimension historique : les (pour nous) scandaleuses " adaptations" de romans étrangers, mais aussi les hautes aventures de Rencontre, de l'Ecole de Genève, de la collection CH.

Bien sûr, le livre n’est pas exhaustif: il ne prétend pas l'être. Mais il représente une somme très remarquable et cela dans une forme tout à fait passionnante à la fois par les informations qu'elle nous offre et par les questions qu'elle soulève.

On rêverait d’une Suisse faite seulement de traducteurs: ils vont chercher vraiment où est la substance profonde - et c'est à ce niveau-là sans doute que nous pourrions nous découvrir d’une commune famille.

Monique Laederach

L'écrivain et son traducteur en Suisse et en Europe, sous la direction de Marion Graf, photos d'Yvonne Böhler, Ed. Zoé

 

  Article d'Isabelle Martin / Le Temps


Photographier les écrivains: un plaisir

Traductrice de formation, la portraitiste Yvonne Böhler (qui partage sa vie entre Zurich et Sonzier, VD) est venue à la photographie parce qu'elle aime lire et qu'elle trouve que «les écrivains ont des têtes spéciales, une manière de poursuivre leur rêve intérieur en regardant l'objectif». L'intérêt qu'elle porte à leur oeuvre l'a aidée à convaincre les plus réticents de poser pour elle. Après Das gespielte Ich (Benziger, 1990) où elle croquait les auteurs alémaniques, elle a tiré le portrait d'une bonne quarantaine de leurs collègues romands, de Bernard Comment à Philippe Jaccottet ou Jean Starobinski, pour illustrer l'anthologie de textes Voix et visages (Zoé, 1996). Personne n'était donc mieux placé qu'elle pour explorer visuellement la relation forte qui s'instaure entre un écrivain et son traducteur et mettre en lumière le travail admirable effectué dans l'ombre du premier par le second.

Parce qu'elle aime raconter une histoire dans ses images, Yvonne Böhler ne s'est pas contentée de photographier ces duos au travail, penchés sur leurs papiers ou plongés dans une conversation animée, tels Antonio Tabucchi et Bernard Comment ou Hugo Loetscher et Dominique Kugler: elle a sollicité leur collaboration active et beaucoup se sont prêtés au jeu, surtout lorsqu'ils se connaissent et s'apprécient de longue date comme c'est le cas pour Alberto Nessi et Christian Viredaz, Gerhard Meier et Anne Lavanchy, Maurice Chappaz et Pierre Imhasly, Erica Pedretti et Gilbert Musy.

Il s'agissait pour eux de trouver un lieu ou un objet symbolique représentatif du lien qui les unit: Nicolas Bouvier tend une béquille à Barbara Erni, Gaston Cherpillod et Marcel Schwander se tiennent ensemble sous l'arche d'une porte, Jürg Schubiger et Gilbert Musy se poursuivent comme des enfants, Sylviane Dupuis s'abrite sous le parapluie d'Ahmed al-Dosari, Peter Bichsel et Ursula Gaillard enfourchent un tandem, Markus Werner tourne le dos (allusion au titre de son livre) à Marion Graf, Ivan Farron et Marcel Schwander contemplent un bateau qui s'éloigne. Deux belles images montrent les traducteurs d'écrivains disparus: Michel Mamboury calque sa pose sur celle d'un portrait d'Otto F. Walter, et Armen Godel regarde une photographie où il figure aux côtés de Yasushi Inoue.

Christian Viredaz et Alberto Nessi

Yvonne Böhler est incapable de dire combien de temps il lui a fallu pour réaliser ce travail: «Ce qui compte, ce sont les rencontres tellement intéressantes» qu'il lui a permis de faire. Si photographier les écrivains et leurs traducteurs a été pour elle un plaisir, ce livre (dont les tirages seront exposés prochainement à la Literaturhaus de Francfort) prouve que son plaisir a été partagé.

Comme si ses modèles, qui apparaissent souvent gais et détendus, avaient pris goût au côté ludique de l'exercice; c'est notamment le cas d'un réfractaire connu à la photographie, le poète François Debluë, qui s'offre à l'objectif souriant et de face, en compagnie d'Yla von Dach, dans une jolie invitation à la lecture de cet ouvrage stimulant: une jolie trouvaille de mise en pages qui contraste avec le reste du livre, où les meilleures images sont curieusement exilées en page de gauche. Mais qui songerait à chipoter, si c'est pour mieux mettre en valeur l'excellence des textes?

Isabelle Martin

LE SAMEDI CULTUREL - Samedi 3 octobre 1998

 

Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01

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