Laurence Verrey
Laurence Verrey, Pour un visage, Editions de l'Aire, 2003

Laurence Verrey / Pour un visage

Au-delà des angoisses éprouvées, des tensions reconnues, de l'âpreté des refus, Laurence Verrey oeuvre sur cet autre versant de la parole toujours miraculée qui nous fait exister, nous relève, nous ressuscite à sa façon pour nous changer en "crieurs de vie". Avec ses armes blanches, elle nous enseigne la science du guetteur.

Que nous vivions, que nous écrivions, que nous lisions, c'est toujours en ce pays-là pour qu'un visage advienne. ici, sur cette "seule terre toujours vierge qu'est le visage humain", a lieu le rendez-vous d'un instant dédié par l'écriture qui fait écho à la conscience universelle des hommes et des femmes de maintenant.

Laurence Verrey, Pour un visage, Editions de l'Aire, 2003.

 

Poèmes extraits de Pour un visage

Tous ces pays perdus chaque jour.
On nous annonçait la beauté.
Vint la fatigue. Vint à mourir l'étincelle
dans les branches humides

La parole cependant s'y frayait un passage
sans bruit nous relevait.

Une averse est si peu de chose. Un grillon ?
Devin occulte. Son âme sonore
au bout des ailes. Du vivant ! crie-t-il.
Entre les herbes qui se referment coupantes.

à la mémoire de Jean-Charles Potterat

Dans le clair verger des voix un grand feu
de bois clair attise un vertige de lèvres
plus doux que braises.

Porter plus haut que souffle porter
à ses noces lucides un verbe forgé par la ferveur
dans la profuse lave humaine.

Nommer sans ciller la foudre dans le
royaume
le mal frappant l'arbre de vie
- ô femme - buvant sa sève.

Cédez ô vous angoisses du veilleur, posez là
vos frondes dans la poussière. Et que la beauté,
toute ombre muée en liesse, exalte longuement
ses terres fécondées.

© Editions de l'Aire 2003

 

Extrait de la postface de Dominique Sorrente

[...]
Comment dire cette progression sans trahir les mouvements instables de l'âme ? Un art se découvre ici par lequel les images suggèrent et disparaissent aussitôt, où la mobilité des scènes nous apprend à ne pas vouloir garder pour nous ce qui nous fut donné. Les poèmes sont courts, le plus souvent, ils semblent capter des éclats d'énergie du monde. En même temps, à la façon d'une basse continue, revient le thème, ce vis-à-vis existentiel avec le seigneur, compagnon d'inquiétude. Cela donne une parole furtive, étrangement volontaire avec sa part de feu, et pourtant comme abandonnée. Sans doute parce qu'au point subtil où s'écrit le poème. les scories sont tombées, ne laissant apparaître qu'une forme gagnée : "L'ange dans ma chair ce violon parle en seigneur et se moque de la roue." En d'autres lieux, il conviendra d'étudier les contours et l'architecture de ce livre qui prolonge les trois recueils antérieurs (Chrysalide, Le Cantique du Feu, D'outrenuit) et s'en distingue, comme une oeuvre s'accroît de pierre en pierre pour dessiner un jardin insoupçonné.

Expérience de vie, art du langage, ce recueil porte en fin de compte un éthique.

Elle ressemble à une lampe allumée en hiver, un drap blanc tendu à la fenêtre de toute guerre, "la même pluie qui tombe sur Venise et Calcutta". Au-delà des angoisses éprouvées, des tensions reconnues, de l'âpreté des refus, Laurence Verrey oeuvre sur cet autre versant de la parole toujours miraculée qui nous fait exister, nous relève, nous ressuscite à sa façon pour nous changer en "crieurs de vie". Avec ses armes blanches, elle nous enseigne la science du guetteur. Que nous vivions, que nous écrivions, que nous lisions, c'est toujours en ce pays-là pour qu'un visage advienne. Ici, sur cette "seule terre toujours vierge qu'est le visage humain", a lieu le rendez-vous d'un instant dédié par l'écriture, qui fait écho à la conscience universelle des hommes et des femmes de maintenant. "Terre ! Terre !" Minuscule vertige de ce rien, infiniment précieux, dès lors qu'à notre tour nous nous mettons en chemin.

Voilà pourquoi il faut relire ces pages une à une, consentir à la lenteur tenue où se déchiffre leur musique. Il faut se laisser entreprendre par leurs façons souvent changeantes, leurs obliques ferveurs, leurs appels amoureux. Ces mots, ces phrases, ces vers qui, bien sûr, "ne servent à rien" s'ajouteront à notre vie pour que le reste ne s'écroule pas.

C'est là, en "buveurs d'herbe haute", que nous nous rejoindrons, semble nous dire une soeur en poésie.

Dominique Sorrente
Saint-Julien en Champsaur, décembre 2002