Julien Burri
Jusqu'à la transparence, Vevey, L'Aire, 2004, 67pp.

Julien Burri / Jusqu'à la transparence

Julien Burri vit à Lausanne où il est né en 1980. Il est étudiant en Lettres à l'Université de Lausanne et collabore en tant que critique littéraire au quotidien " 24heures " et à la revue " Le Passe-Muraille ". Il a publié des livres de poésie (La Punition, Paris, Caractère, 1997; Journal à rebours, Vevey, L'Aire, 2000), ainsi qu'un bref récit (Je mange un bœuf, Vevey, L'Aire, 2001).

Des extraits de Jusqu'à la transparence ont été publiés par Le Culturactif, dans la rubrique inédits de janvier 2003.

Jusqu'à la transparence, Vevey, L'Aire, 2004, pp. 67. Postface de Françoise Delorme, photographie de couverture de Mario del Curto, graphisme d'Anne-Hélène Darbelley.

 

Françoise Delorme, La poésie comme un geste (extrait de la postface)

[...]
" Ne croyez pas aux questions du poète. Tous ses " pourquoi ? " ont un " parce que ! " et tous ses " à quoi bon ? " ont un but ! " s'exclame Marina Tsetaïeva dans Le poète et la critique. Mais ce n'est pas si simple et elle le savait bien ! Julien Burri transforme la question qui conclut presque son livre " Sommes-nous / si morcelés ? " en une réponse. Elle brille pour le moins paradoxale. Elle acquiert un caractère d'évidence en voyageant à travers les saisons de ses mots, saisons qui nous ballottent au long d'une flèche du temps sans indulgence. Sous les traits d'une mort en expansion, le temps dévore et disperse tout ce qu'il touche mais qui se réunifie, se recrée, se disperse et se perd à nouveau. " Sommes nous si morcelés ? Entre " morsure" et " morcellement ", chante le mot " mort ": il diffuse sa menace dans tout le texte, même s'il reste possible que le froid nous morde plus lentement. Comme en échos imprévisibles, mais reconnus dans l'effort de " coudre l'hiver avec le printemps " et dans l'accomplissement d'un amour humain, un geste -celui d'écrire comme celui de caresser- renoue ce qui se dénoue sans cesse et réchauffe.

Un geste rend vivant un instant ce qui disparaîtra, ce qui disparaît déjà. Le poète habite une tension entre vie et mort, entre deux forces opposées du temps, l'expansion et la contraction, étirement et enroulement à l'œuvre dans la construction même du livre. Gel et chaleur, ombre et lumière, rupture et unité, intériorité et extériorité, le poète fait travailler ces mouvements contradictoires. Quoiqu'il veuille, bien humainement, se soustraire à ce travail douloureux, il ne cherche pas à détruire cette féconde tension au profit d'une paix qui, absolue, le priverait du monde comme de la parole :

Dans la tête des amas de neige,
Dans la gorge des amas de pierres.

[...] D'un vers à l'autre, une des nombreuses disharmonies internes de ce livre se joue entre cet ascétisme formel d'une rare précision et l'acceptation de l'imperfection de la langue, ses inévitables approximations. Pas fausses, mais hélas, toujours partielles ! Une telle soumission lui offre l'occasion rêvée de tenter l'impossible puisque cette imperfection est la vérité de tout ce qui existe. L'inachèvement inéluctable d'un poème et l'infirmité native de tout langage possèdent une parenté avec le réel inépuisable et introuvable quoique sensible. Reflet, reflets, le jeu permanent entre singulier et pluriel qui se dérobent l'un dans l'autre apprivoisent cette parenté.

Yves Bonnefoy, dans un poème de Début et fin de la neige, écrit :

A ce flocon
Qui sur ma main se pose, j'ai désir
D'assurer l'éternel

Il se désole qu'il n'en reste qu'un peu d'eau. Julien Burri passe à travers la même douleur, augmentée encore d'une incertitude sur ce qui reste du flocon lorsqu'il a fondu. Qu'est-ce que cette eau, sinon rien ? Et le désir d'assurer l'éternel cède la place à une tâche moins héroïque : protéger la durée, atténuer la douleur et ralentir la dissolution en faisant confiance à une poésie du divers, du diffracté qui ne repousse pas sa compagne nécessaire, une poésie de la relation. Une grande lucidité conduit le poète à aimer la condition contraignante qui l'anime et irradie tout le texte et jusqu'au titre même dont la transparence s'ombre de la présence des corps mortels et de l'obscur de l'encre pour l'écrire et la rêver...

[...] Pris entre l'impossibilité de conserver les mots au creux d'une intériorité peu crédible et celle de les garder intacts en " les donnant à la lumière " , le poète fait le pari d'en sauver l'essentiel en relatant l'expérience poétique de l'existence, en la rapprochant de l'expérience de l'amour. Toutes deux sont des gestes qui sauvent et ralentissent la chute au point de donner une forme à la vie. Un geste suppose par essence quelqu'un d'autre, quelque chose d'autre et c'est par ce geste -et sa réciprocité- que le monde et sa mémoire (donc son avenir) se révèlent :

Seul, comment se souvenir d'une maison ?

Encore une question de poète. Mais d'un poète épris de sa propre finitude. Ainsi seulement renaît l'horizon, l'espoir de le toucher et l'effort, reconnu vain, de le désirer :

Essaie encore, même découragé
Même si ne restent que fragments,
Si les visages sont confondus avec le ciel,
Les paysages dévorés
Si les maisons étouffent sous le poids du brouillard.

Un chant d'une grande tristesse vibre, comme revenu de tout. Il reconstruit cependant, "avant la nuit" la maison du poème, pierres friables, fenêtres gagnées par l'opacité.

Sommes-nous si morcelés ?

Oui, puisque tout se fragmente à l'infini et se dissémine dans la moire du temps.

Non, car ces pierres et les mots qui les nomment sont le matériau nécessaire pour " habiter le monde en poète ", c'est à dire donner de l'espace au temps, un corps à la parole, une ombre à la lumière, une racine à la neige, une transparence aux ténèbres, un mouvement au gel même.

" Sommes-nous dans ses miroitements vifs ? " Oui. Mais pas seuls.

Françoise Delorme

 

Revue de presse

Un carré noir sur fond blanc. Une toile abstraite. Voilà ce que Julien Burri, dans la note liminaire qui conclut son troisième recueil, avoue avoir tenté de réaliser au moyen des mots, s'employant à dire " l'impuissance à appréhender le monde ". Projet paradoxal qui, pour avoir été tenté par quelques-uns avant lui, ne va pas de soi pour autant. Patient, tenace, le jeune poète lausannois construit une parole cohérente, cherchant son équilibre entre une volonté d'abstraction et le pouvoir d'évocation et d'émotion du langage. " Essaye encore, même découragé/Même si ne restent que fragments… ". Dans les meilleurs poèmes, le corps disloqué, anxieusement rassemblé, transparaît à travers des motifs d'échos et de reflets : l'eau, la vitre, la neige. L'évanescence, l'oubli, l'angoisse de ce qui fuit, se dérobe et s'évapore sans trace miroite alors dans la transparence d'une parole brève et lapidaire.
[...]

Marion Graf
http://www.letemps.ch
1er mai 2004

Chouette, les poètes romands deviennent exhibitionnistes ! Pour son troisième recueil de poésie, Jusqu'à la transparence, Julien Burri, 24 ans, a insisté pour poser nu sur la couverture. Pas mal, le poète. Quand à la poésie, elle tient ses promesses, juste, fervente, habitée.

Isabelle Falconnier
http://www.hebdo.ch/
1 mai 2004