retour à la rubrique
retour page d'accueil


Mary-Laure Zoss
Où va se terrer la lumière, Le Chambon-sur-Lignon, Cheyne, 2010, 64 pages.

4ème - Critique, par Christian Ciocca -
In breve in italiano
- Kurz und deutsch

Télécharger la page en PDF

Retrouvez également Mary-Laure Zoss dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse.

  Mary-Laure Zoss / Où va se terrer la lumière

 

Mary-Laure Zoss - Où va se terrer la lumière à la trépidation qui cloue contre les mots,
aucune force ne pourrait opposer résistance, nul
esprit se ramener à lui-même, tandis que l'archet de
fer n'érafle pas même le bord osseux du temps : si
peu pour accueillir sur les emblavures agrafées aux
busards, on y revient encore, qu'on nous prête un
linge pour absorber cette sueur froide aux pierres ;
tenterait-on de poser un pied en soi, qu'on ne
trouverait que ces friches de novembre, ces verbes
fissurés, une volonté qui s'enferre sous une
inhumaine mesure, et vous, comme une poignée
d'étoiles grises roulées dans un pli de la page, vous
taisant encore, […].

Mary-Laure Zoss : Née en 1955 à Vaulion en Suisse, vit et travaille à Lausanne. A publié un premier livre de prose poétique, "Le Noir du ciel", auxéditions Empreintes (Prix de poésie C.-F. Ramuz 2007 et prix de la Fondation L-A Finances pour la poésie 2008), des textes dans la Revue de Belles-Lettres, ainsi que dans N4728 (Angers) et Fario (Paris). Après "Entre chien et loup jetés" (2008), "Où va se terrer la lumière" est le deuxième livre qu'elle publie à Cheyne.

Où va se terrer la lumière, Le Chambon-sur-Lignon, Cheyne, 2010, 64 pages.


  Critique, par Christian Ciocca

In breve in italiano - Kurz und deutsch

C'est à nouveau sous le signe d'un combat sourd que Mary-Laure Zoss a publié son troisième recueil . Dans la continuité de sa prose poétique, Où va se terrer la lumière, précédé d'un premier poème Aubes de fer, poursuit la forme expérimentée dans les titres précédents, Le Noir du ciel (2007 – Prix Ramuz Poésie 2007) et Entre chien et loup jetés (2008). Forme caractérisée par une suite de paragraphes sans majuscule initiale et sans point final qui apparente chaque page à une gravure de lettres sombres.

Ecriture ramassée à l'extrême, quasiment distillée, balançant entre le questionnement sans adresse et le constat sans écho d'un monde perdu. Cette tension dans l'expression n'est-elle pas le combat lui-même, constitutif du texte ? Prose cheminant dans le labyrinthe du monde comme un fanal, lumière fragile creusant des sillons de sens dans l'obscurité, ténèbres apparentées à l'abandon, à la déréliction.

Sans la béquille du lyrisme, tentant dans cette espace qui garderait la trace d'une prière archaïque, sans l'échappée du rêve, en l'absence même de toute facilité métaphorique, Mary-Laure Zoss réussit en sourdine, paragraphe après paragraphe, à frayer des itinéraires au cœur du réel sans en sortir : « Devant nous le monde n'attend pas, la mort parle sa langue par saccades, tire des lacets autour des mots, dans le défilement sans frein des traverses de fer, et, qui ont croulé dans l'herbe, les pommes jaunes, les ombres immenses qui rapprochent les feuillus » .
Le temps n'est plus de fuir dans l'utopie, de recomposer les restes de l'ancien monde à la manière d'un Philippe Jaccottet et de ses Pensées sous les nuages , citées en exergue d' Aubes de fer : « Mais chaque jour, peut-être, on peut reprendre/le filet déchiré, maille après maille,/et ce serait, dans l'espace plus haut,/comme recoudre, astre à astre, la nuit… »
La poésie ici étend à même le sol les signes fragmentés de ce monde désenchanté qui ne serait même pas le reflet de l'imaginaire du poète. Constat sans écho donc, mais expression d'une lutte singulière, d'un combat pour se redresser après la sidération, après la catastrophe peut-être. Poésie quasiment post-traumatique et voisine de la survie. On comprend dès lors que chaque paragraphe laisse filtrer cette menace de l'effondrement, menace pourtant inqualifiable, à la fois immanente et lointaine. Bien qu'elle ne soit jamais nommée, elle sourd comme signe de l'absence de l'autre ou plutôt comme absence de la réponse de l'autre. Rien de moins solitaires que ces proses d'appel où le « vous » mis à distance n'est ni tout à fait mort ni tout à fait vivant. « Demandez-vous, et nous, on reste un os fiché dans les poumons : la stupeur de l'absence » .

Et pourtant, l'impression de clôture qu'on pourrait ressentir n'agit pas comme un lieu clos. La topographie poétique joue plutôt comme une dislocation de l'espace dont les mots seraient les seules balises. Jamais le sol ne risque de se dérober sous les pas. Si ce monde est inhabitable mais s'en échapper aussi fou qu'impossible, que reste-t-il à dire ? Eh bien, c'est le miracle de chacun des tableaux : il reste à recueillir autour de soi dans un souci de désencombrement le moindre signe… de vie : « à l'arrière-plan des crêtes, la lune s'enroule aux sapins, comment on rejoint là le silence, pour l'heure on ne s'en soucie guère, son repère présent désenfoui, quand nos mains abritent comme le verre d'un falot un reflet du temps, qui nous éclairerait un peu, sous le plafond bas d'une soupente ? »
Extrêmement fragile, cette promesse d'une renaissance n'apparaît au mieux que dans la soupente. Dehors, la glèbe massive est le fondement de la démarche, de l'itinéraire, d'une avancée incertaine dans l'entre-deux comme des banlieues assombries par le crépuscule, « par une syllabe de novembre croule du bois de feu, tus les chantiers sous les fontes, la pente se rompt des trottoirs contre les bennes, qui sommes-nous là ? » La voix s'égare aussi dans d'autres paysages mus par d'autres forces moins pesantes parmi lesquelles les bêtes – sont-ce vaches, bétail au souffle chaud ? – semblent des aires de repos, de présence brute où reprendre source : « [ ...] et on ne lâche pas, pour se donner la chance d'entrer encore une fois dans le temps, un peu dans sa tiédeur, à l'orée d'un pâtis, une main sous le mufle d'une bête immobile, cette fois il semble qu'on se rapproche » .

Ce qui paradoxalement peut nous rassurer dans ces proses, c'est le sentiment d'exil, familier dans la poésie contemporaine. Mais ce qui pourrait malgré tout l'en distinguer c'est l'attachement au réel, hors de toute célébration, adossement au monde non humain des végétaux, des animaux – les bêtes – ces présences d'avant la dislocation, d'avant la fracture. Comme si ces créatures sans tremblement, hiératiques mêmes, témoignaient d'une permanence, d'un temps enfoui que les humains ne saisissent plus.

Proprement désorientée, la poésie de Mary-Laure Zoss ne se perd pas pour autant. Au contraire, cette quête souvent rageuse de l'élan vital, cette tension vers la voix de l'autre, altérité sans dialogue mais cernée obstinément, tisse en marge du texte un horizon d'attente qui renverse l'effroi. Cette descente dans la durée, cet espoir fragile d'habiter un jour le temps, dépasse bientôt le premier constat. Par ce travail du sol, de la terre, par les infimes mouvements du paysage, les mots n'entrent pas en déshérence.

Christian Ciocca

  En bref

 

In breve in italiano

È nuovamente nel segno di una sorda lotta che Mary-Laure Zoss pubblica la sua terza raccolta ; fedele alla sua prosa poetica – in cui il paragrafo senza maiuscola iniziale e senza punto finale si offre allo sguardo come un'incisione –, Où va se terrer la lumière prosegue sul filo delle raccolte precedenti, Le Noir du ciel (2007 – Premio Ramuz Poesia 2007) e Entre chien et loup jetés (2008). Si tratta di una forma estremamente concisa che oscilla tra l'interrogazione che non ha indirizzo e la constatazione che non ha eco. Questa tensione espressiva non rappresenta la lotta medesima, incastonata nel testo stesso, prosa che si aggira nel labirinto del mondo come un fanale che fruga tra le righe, solchi di senso in una oscurità che è quasi stato d'abbandono ? Decisamente disorientata, la poesia di Mary-Laure Zoss non per questo si perde. Anzi, questa ricerca spesso rabbiosa dello slancio vitale, questa tensione verso la voce dell'altro, un'alterità senza dialogo ma ostinatamente accerchiata, tesse al margine del testo un orizzonte d'attesa che rovescia lo sgomento. (rd)

***

Kurz und deutsch

Der dritte Gedichtband von Mary-Laure Zoss thematisiert erneut einen stummen Kampf. Où va se terrer la lumière steht in der Kontinuität ihrer poetischen Prosa – die wie Gravierungen aussieht, da die Abschnitte ohne Grossbuchstaben beginnen und ohne Punkt enden – und knüpft dabei an die in den vorhergehenden Werken erprobten Formen an ( Le Noir du ciel, 2007 – Prix Ramuz Poésie 2007 ; Entre chien et loup jetés , 2008). Die äusserst geraffte Form pendelt zwischen einem Nachfragen ohne Gegenüber und einem Feststellen ohne Echo. Ist diese ausdrucksvolle Spannung nicht etwa der Kampf selbst, dasjenige, was im Innersten des Textes sitzt, jene Prosa, die im Labyrinth der Welt wie eine Fackel umherwandelt und somit Zeilen, Sinnspuren hinterlässt, in einer der Verlassenheit verwandten Dunkelheit ? An und für sich ist die Poesie von Mary-Laure Zoss orientierungslos, doch sie verliert sich nicht. Ganz im Gegenteil, diese oft zornige Suche nach dem "Elan des Lebens ", dieses Sichsehnen nach der Stimme des anderen, der beharrlich umkreisten Andersartigkeit, mit der kein Dialog besteht, webt am Rande des Textes eine Erwartungshaltung, welche das Entsetzen umstürzt. Dank dieser Arbeit am Grund, am Erdboden, durch die feinsten Bewegungen der Landschaft, bleiben die Wörter nicht ohne Nachgeborene. (ja)

 

Page créée le: 10.02.11
Dernière mise à jour le: 10.02.11

© "Le Culturactif Suisse" - "Le Service de Presse Suisse"