Alberto Nessi
Algues noires - Alghe nere, traduit de l'italien par Jean-Baptiste Par et Mahilde Vischer, m.e.e.t., 2003

Algues noires - Alghe nere

Après avoir invité le poète tessinois Alberto Nessi à une résidence d'écriture, la Maison des Ecrivains Etrangers et des Traducteurs de Saint-Nazaire publie en édition bilingue les textes qui en sont nés. D'autres poèmes de Nessi parus au cours des 20 dernières années, choisis et traduits par Jean-Baptiste Para et Mathilde Vischer, font de ce volume une petite anthologie. (C@s)

[...]
on voit Nessi penché à sa fenêtre sur le port, "lieu de surprise et de l'attente". Il observe les buveurs au bistrot, les mouettes et un tournesol poussé là dans un peu de terre, les chanteuses d'une espèce de karaoké et les acteurs d'un spectacle de théâtre populaire sur la guerre. Et il réfléchit sur son statut d'écrivain local, devenu ce "moineau sur l'océan" qui "peut s'émerveiller de voir que les algues sont noires"...
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Algues noires - Alghe nere, traduit de l'italien par Jean-Baptiste Par et Mahilde Vischer, m.e.e.t., 2003

Isabelle Martin
LE TEMPS
samedi 29 mars 2003

 

Préface de Jean-Baptiste Para

La voix rauque et douce d'Alberto Nessi nous vient du Tessin où il est né en 1940. C'est une voix traversée par la douleur et la lumière du monde. Une voix qui accueille en elle le silence de ceux qui ne parlent pas. La voix de ceux que personne n'écoute. Les gens de peu. Ouvriers, employés, paysans, infirmes, vieillards. Alberto Nessi est le poète des bas-côtés de l'existence. La maladie, la vieillesse, l'usure du temps, les espoirs bafoués, les rêves inaccomplis, les sourdes humiliations affleurent à la crête des mots. Entre éclairs de fureur et moments de grâce, cette poésie est claire et nue comme un geste d'amour.

Tour à tour acerbe et tendre, le regard d'Alberto Nessi s'oriente vers ce qui palpite au plus profond de la vie ordinaire. Il se tient en retrait du lyrisme pour s'approcher de la réalité des choses avec une ténacité sans emphase. Sa poésie n'accorde aucun privilège à l'imagination. C'est une poésie de l'attention. Comme l'écrivait Cristina Campo dans Les Impardonnables, lorsque l'attention rejoint sa forme la plus pure, elle revêt le nom de responsabilité. Elle nourrit alors, selon une égale mesure, "la poésie, l'entente entre les êtres et l'opposition au mal".

Recouvre, neige, de tes fleurs charitables
les blessures des hommes déçus.
Recouvre la sciure de leurs rêves
dans ce bar où l'on feint de vivre.

Neige d'hiver. Neige tombée entre les mots. Neige du poème qui est le premier et le dernier foyer de l'humain. La voix d'Alberto Nessi opère la grande conversion du mutisme en silence. Le mutisme est froid, pétrifiant, inanimé. Le silence est vivant, qu'il s'agisse du silence du recueillement, du silence de l'écoute patiente du monde, du silence de la stupeur, ou encore du silence de la nuit qui habite et abrite toujours la lumière de la parole.

Lumière de la parole qui est aussi lumière d'enfance. Le sourire de l'enfance. son élan, sa fermeté, sa candeur, voilà le signe bouleversant qui illumine de sa visitation intermittente les poèmes d'Alberto Nessi. Auprès de l'enfant, le temps mythique, le temps fabuleux, la ruisselante fraîcheur de la vie sont à nouveau offerts en partage. Alors semble céder l'emprise du "temps qui nous décolore / comme ces herbes entre les pierres". La nature aussi, fût-elle malmenée par les hommes, et souffrante comme eux, réserve encore de précaires béatitudes. Un sureau, un robinier, les coquelicots des talus, et c'est toute la présence sensible du monde qui ravive ou fait éclore une promesse de réconciliation.

Alberto Nessi est un "voleur de détails". Ainsi a-t-il intitulé un poème recueilli dans La Couleur de la mauve. Le poème embrasse ce que le regard peut saisir, en dehors de toute conceptualisation. L'attention se concentre, caresse, enveloppe d'un geste léger, recompose l'image, puis, insensiblement, l'exhausse parfois à hauteur de symbole :

Dans la ronceraie en décembre
une tache rouge sur le dos,
le pigeon tremble : personne pour ouvrir
sa prison d'épines;
si d'aventure un homme s'arrête
et regarde, captif de ses pensées
il voit comme dans un miroir
cette blessure saigner.

Si certains poèmes d'Alberto Nessi sont parcourus par les secousses d'une âpre colère - "Il faut exercer une pression aussi dure que celle qui nous est infligée par l'époque" disait Flannery O'Connor -, ils sont le plus souvent des confidences de la mélancolie.

Extrait de : Algues noires - Alghe nere, traduit de l'italien par Jean-Baptiste Para et Mahilde Vischer, m.e.e.t., 2003

Jean-Baptiste PARA

 

Une interview avec Alberto Nessi tirée de la revue Feuxcroisés 2 (2000)

Alberto Nessi
"Ecrire pour dévoiler le monde"

par Daniel Maggetti

Nous devions nous rencontrer à Zurich, juste après Noël; chacun hors de chez soi, à mi-chemin entre nos domiciles respectifs. On se réjouissait de se revoir, du rendez-vous donné sous la statue bariolée du grand hall, du repas que nous irions prendre dans une brasserie, de la promenade que nous ferions, de notre discussion. Mais l'épidémie de grippe et les obligations de chacun ont eu raison de nos projets. S'il a fallu se contenter du téléphone, du fax, du courrier, la rencontre n'en a pas moins eu lieu. En voici les traces.

- Alberto Nessi, "poète social": ce commentaire critique, on l'a souvent lu. Sans doute est-il dû au fait que des ?gures de marginaux apparaissent dans plusieurs de vos textes, et que cette apparition est en elle-même une forme de condamnation d'une certaine conception du progrès. Que pensez-vous de cette étiquette? Est-elle réductrice, ou fait-elle justement écho à l'idée que vous vous faites du rôle et du but de la littérature?

- Je préférerais être considéré comme un poète, et rien de plus. Poète sans quali?catif. Ou plutôt, poète et conteur, vu que j'ai aussi écrit des récits. Les étiquettes, comme chacun le sait, sont mortifères. La littérature est la meilleure arme pour détruire les étiquettes, les clichés, les lieux communs. Malheureusement, nous éprouvons toujours le besoin de classer les gens, et les écrivains n'échappent pas à la règle.

Il est vrai par ailleurs que dans mes poèmes et dans mes récits on rencontre des ?gures de marginaux, de gens simples, mais cela non plus ne signi?e encore rien: il faut voir quelle est la lumière qui les fait vivre. Pour les bouteilles de Morandi, ce qui compte, c'est la composition, la lumière, le rythme du coup de pinceau, les nuances des couleurs; il en va de même pour mes personnages. A elle seule, la thématique que l'on choisit ne peut ni garantir la réussite d'une œuvre, ni être la cause de son échec. Et très souvent, la thématique n'est pas un choix, elle s'impose d'elle-même à l'artiste. Il y a des arguments et des ?gures qui, davantage que d'autres, stimulent la créativité. Mais cela ne dépend pas d'un programme que le poète établirait à l'avance et auquel il voudrait à tout prix rester ?dèle. Cela dépend des vibrations. Si j'entre en contact avec quelqu'un qui souffre, si je prends connaissance d'un abus, si je tombe sur un objet abandonné, un déclic se produit en moi. Une vibration me fait prendre la plume. Je me souviens que, jeune adolescent, j'ai commencé à écrire en regardant par la fenêtre de ma chambre de Chiasso un maçon qui rentrait seul de son travail. Je ne sais pas pourquoi. Ces choses sont en partie inexplicables. Par la suite, naturellement, cette attention portée au monde blessé et mis à l'écart s'est habillée de politique, de lectures, de choix rationnels. Mais de façon naturelle. Je ne suis pas un homme de parti. Je me place naturellement du côté des opprimés.

Quant au rôle de la littérature, je pense qu'elle a pour mission de dévoiler le monde. Chaque jour, je regarde autour de moi et j'essaie de comprendre qui je suis, dans quel monde je vis, et ce que je fais sur la terre avec mes semblables. La littérature m'aide à comprendre. Certes elle me complique aussi la vie: ce serait plus facile de se contenter des apparences. Mais ce serait aussi ennuyeux et faux.

- A votre avis, un écrivain doit-il avoir un rôle public, indépendamment des livres qu'il publie? S'exprimer sur ce qui arrive autour de lui sur le plan social ou politique, serait-ce une forme de devoir?

- Le rôle public de l'écrivain est tout entier dans les livres qu'il publie. Son rôle est lié à son lexique, à ses images, à la respiration de son style, à sa capacité de faire naître des émotions. Son rôle est d'avoir une voix qui ne soit pas banale: ce n'est pas une tâche des moindres. Sa personnalité politique se re?ète dans ce qu'il écrit et y laisse indirectement une trace. L'écrivain suit un parcours secret qui explore son âme, les personnes et le monde qui l'entourent. Son œuvre s'adresse à l'individu, par-delà tout schéma, par-delà les institutions: c'est là que réside son importance politique. S'il prend position sur ce qui se passe autour de lui, tant mieux; mais la position qui compte le plus, il la prend avec ses poèmes et ses proses.

- Le Tessin d'aujourd'hui, ce Tessin où vous vivez et écrivez, apparaît, vu de l'extérieur, comme une région aux prises avec de nombreux problèmes d'adaptation: en porte-à-faux entre un passé (y compris politique) non encore réglé, et un futur incertain; à mi-chemin entre l'Italie du Nord et la Suisse, refusant et acceptant l'une et l'autre, suivant les voix et les moments… Comment vous situez-vous dans ce contexte?

- Le Tessin n'est pas une île heureuse. Il est un petit morceau d'Europe, situé entre Milan et Zurich. Un territoire exigu, où l'on peut observer en petit ce qui survient dans le monde. Au cours de ces dernières années, il s'est formé sur ce corps exigu un abcès répugnant: il se compose d'un mélange de xénophobie, de sexisme, de mépris pour la culture, de grossièreté mentale et de populisme. Cet abcès s'appelle "Lega dei Ticinesi".

Mais n'oublions pas qu'il n'est pas né du néant. Il a surgi sur un corps qui est celui de la Suisse italienne, la République de l'Hyperbole; et il est le produit de mœurs politiques que l'on rencontre ailleurs en Europe.

- Par rapport au Tessin d'aujourd'hui, dont nous venons de parler, quel est le sens du Tessin du passé? La mémoire, et tout ce qui vous a été transmis, est une source à laquelle vous avez beaucoup puisé, en poésie comme en prose…

- Dès que quelqu'un se met à une table et qu'il écrit un mot, il met en branle la mémoire. J'écris "ciel" et je pense au ciel que j'ai vu par la fenêtre il y a deux minutes. Le ciel est déjà devenu mémoire. L'art est l'enfant de Mnémosine, a-t-on pu dire. Quant au passé historique, je crois qu'il est vital de s'en souvenir pour comprendre le présent. C'est aussi faire preuve d'humilité: écouter les autres, prêter l'oreille à la cadence de leur parler, écouter les morts, aussi, tout cela, ce sont autant de signes d'humilité et d'attention à son pays. Je suis le fruit d'un arbre généalogique, et la sève qui me nourrit vient de racines lointaines. J'ignore l'origine de ma manière de sentir, mais il est certain que ceux qui sont venus avant moi ont contribué à faire de moi ce que je suis. Je ne suis pas que moi-même. Je suis plusieurs personnes qui sont venues avant moi et qui vivent autour de moi. Souvent je secoue le fardeau de mes épaules et je m'en vais en sif?otant par les chemins et j'écris ce que j'ai envie d'écrire. Alors, je suis moi, rien de plus. Mais dans les moments de silence, je sens les fantômes qui se penchent à la fenêtre de mon bureau.

- Quel est votre rapport avec ce qu'on pourrait appeler "l'héritage culturel tessinois"? Exemples, modèles, contre-exemples?

- Si je pense à l'adolescence, qui est l'âge où naît la passion pour la littérature, je me dis que la tradition tessinoise n'a pas eu la moindre prise sur moi. Je lisais Saroyan, Pavese, Pasolini, etc. Francesco Chiesa était un étranger: à cette époque-là, on aurait ressenti comme une insulte le fait d'être traité de Francesco Chiesa…

Les auteurs tessinois, je les ai découverts plus tard. Je pourrais nommer plusieurs écrivains et poètes tessinois que j'admire, parmi les vivants également; mais je préfère ne citer qu'un mort: Plinio Martini. La référence peut paraître attendue; mais Martini, pour moi, a été aussi un exemple positif dans sa manière d'être écrivain, parce qu'il ne présentait aucun des symptômes qui affectent si souvent la caste des hommes de lettres con?ts en leurs paroisses. Il me plaisait comme écrivain et comme homme: il avait le don de la générosité.

- Je n'arrête pas de vous parler du Tessin - mais n'est-ce pas une forme de paresse, de ma part? Cette insistance vous paraît-elle comme un ré?exe trop commode? En ce qui vous concerne, ne vaudrait-il pas mieux s'interroger sur une autre entité géographique, régionale et transfrontalière, qui couvrirait grosso modo le Mendrisiotto et une partie de la Lombardie voisine?

- En effet, nous risquons d'attraper la migraine si nous continuons à parler du Tessin. Nous devons parler des hommes, des femmes, du ciel que l'on distingue à travers les arbres, du mystère du réel, du fait que nous sommes sur terre et nous ne savons pas pourquoi, du fait que la plupart des êtres humains sont malheureux, du fait que l'égalité n'existe pas, pas plus que la décence ou le respect d'autrui.

Nous, les Tessinois, nous sommes gâtés parce que nous parlons italien et que nous représentons une partie de la Suisse, d'où notre importance: sans nous, point de Confédération. Mais cela ne signi?e rien sur le plan littéraire. Si j'étais né à Maslianico, à très peu de kilomètres d'ici, juste au-delà de la frontière, vous ne vous entretiendriez pas avec moi. Peut-être que, pour y voir un peu clair et pour ne pas me monter la tête, je devrais me considérer comme un citoyen de Maslianico.

- Alberto Nessi, poète et conteur, parfois poète-conteur: est-ce que, pour vous, un discours spéci?que correspond au genre que vous pratiquez? Ou tentez-vous de redé?nir ces genres?

- Je cultive deux plates-bandes: celle de la poésie et celle de la prose. Ça vient tout seul, ça m'est naturel. J'écris des poèmes frôlant la prose et j'écris des histoires en prêtant très attention à la sonorité des mots et au rythme de la phrase. J'aime la contamination.

Je ne sais de quelle manière je tente de redé?nir les genres littéraires. En cours d'écriture, la poésie et les récits acquièrent leur propre physionomie, comme s'ils étaient des êtres vivants, des arbres, peut-être seulement des buissons, ou de minuscules branches, voire même que des brins d'herbe. Ce qui importe, c'est qu'ils soient vivants, qu'ils ne soient pas que des broderies littéraires mises là pour orner un corps sans vie.

- A l'heure actuelle, vous êtes un des auteurs de Suisse italienne les plus connus et les plus appréciés dans les autres régions linguistiques du pays, grâce notamment à la traduction de plusieurs de vos œuvres. Cet état de fait a-t-il modi?é de quelque façon votre trajectoire d'écrivain? A-t-il eu une in?uence sur votre statut, au Tessin et en dehors? Et sur votre œuvre?

- Dans la tentative de traduction allemande d'un poème dédié à ma ?lle, poème dans lequel je disais que, lorsque je la vois, "les peines les malheurs des hommes" sont "des ombres qui ne laissent pas de traces", dans cette traduction, donc, "les peines" (en italien "le pene") sont devenues "le pénis" (en italien il pene). C'est à ce moment-là que j'ai compris que le traducteur peut être quelqu'un de pervers… Par chance, j'ai trouvé maintenant deux excellents traducteurs, Christian Viredaz pour le français, Maja P?ug pour l'allemand. L'un et l'autre sont en bonne santé, ont la tête à sa place, savent déchiffrer l'italien et posent des questions avant de prendre des décisions.

Le fait d'être traduit et connu comporte une part de danger. L'écrivain peut se laisser aller à croire que son savoir-faire est désormais une donnée certaine, acquise une fois pour toutes; alors que chaque entreprise d'écriture constitue un nouveau dé?, avec sa dose de hasard et ses luttes corps à corps avec la page blanche. Il faudrait être conscient de cela, et écrire comme si l'on n'était personne.

- Quel est le rapport que vous entretenez avec la Suisse - avec les parties non italophones de la Suisse, mais aussi avec la Suisse comme entité nationale et politique?

- Quand je suis en Suisse allemande, je me sens comme un militaire les soirs de sortie. En même temps, je suis attiré par la diversité du paysage, par l'exotisme de cette langue incompréhensible, par les vieux buvant de la bière dans les Gasthaus, par ces prés bien peignés et plantés de pommiers et de poiriers qui sont autant de promesses de bonnes eaux-de-vie. J'aime les petites localités, comme Niederbipp que j'ai découvert à travers le grand Gerhard Meier, dont j'ai lu les œuvres traduites en français. A propos: quand pourra-t-on en?n le lire en italien?

En Suisse romande, je me sens plus à l'aise, je regarde autour de moi d'un air de complicité. Mais la Suisse comme entité nationale et politique, c'est tout récemment que je l'ai vraiment ressentie pour la première fois, à travers le texte du rapport Bergier.

Traduction : Daniel Maggetti
FEUXCROISES 2 (2000)

 

Deux poèmes pour une chatte

La disparition

De sa vie il est resté peu de chose : le panneau de pavatex où elle se faisait les griffes, le fantôme qui revient chaque soir
quand nous croyons la découvrir entre les géraniums, le récit
de ses exploits parmi les plantes grasses
pirouettes pas de charge ballets avec les mouches
la rivalité avec les autres chats que nous faisions déguerpir
comme si elle seule était de noble race féline
et non pas une adorable petite bâtarde. De la vie
ne subsistent que traces et mirages.
Une chatte comme elle
ils ont dû l'empoisonner au métaldéhyde
à moins que le métayer ne l'ait équarrie pour la manger :
mais si elle avait fait une escapade, adolescente en quête d'amour.
et si nous la revoyions demain immobile
au milieu de la terrasse
pour protéger nos vies tout aussi précaires ?

Le retour

Elle revint le jour même de ma prophétie.
Il était facile de se fier au poète, moins facile
de la voir errer de guingois à travers la maison.
Vieille et sans appétence
pour les papillons de nuit, elle ne se ressemblait plus,
passée tout d'un coup de l'enfance à la décrépitude
si elle tentait un saut ses pattes arrière
se désarticulaient : avait-elle reçu une rossée ?
Elle voulait se cacher, rasait les murs
comme tous les estropiés, ceux que saisit l'épouvante.

Alberto Nessi
Extrait de : Algues noires - Alghe nere, traduit de l'italien par Jean-Baptiste Par et Mahilde Vischer, m.e.e.t., 2003

 

Noctice biographique

Alberto Nessi, né à Mendrisio en 1940, a grandi à Chiasso. Il a étudié à l'Ecole Normale de Locarno et à l'Université de Fribourg, puis a enseigné dans différentes écoles du Mendrisiotto, tout en collaborant occasionnellement à divers journaux. Il vit actuellement dans le Val Muggio.

Outre quelques essais critiques, il a publié des recueils de poèmes (I Giorni feriali, Pantarei, Lugano, 1969; Ai margini, Collana di Lugano, Lugano, 1975;Rasoterra, Casagrande, Bellinzone, 1983; Il Colore della malva, Casagrande, Bellinzone, 1992) et des proses (Terra matta, Dadó, Locarno, 1984; Rabbia di vento, Casagrande, Bellinzone, 1986; Tutti discendono, Casagrande, Bellinzone, 1989). Plusieurs de ses œuvres ont été traduites en français: signalons Le Pays oublié (1986, trad. Jeanclaude Berger), Terra matta et Le Train du soir (1988 et 1992, trad. Christian Viredaz), tous parus à Genève aux Editions Zoé, ainsi que La Couleur de la mauve (1996, trad. Christian Viredaz et Jean-Baptiste Para), paru à Lausanne dans la collection "Poche Poésie" des Editions Empreintes. En allemand a paru, dans la traduction de Maja Pflug, un recueil de poèmes choisis, intitulé Mit zärtlichem Wahnsinn / Con tenera follia (Zurich, Limmat Verlag, 1995)