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Cesare Mongodi
Pieds-de-biche, Editions Samizdat, 2009.

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Retrouvez également Cesare Mongodi dans nos pages consacrées aux auteurs de Suisse.

  Cesare Mongodi / Pieds-de-biche

 

Cesare Mongodi / Pieds-de-biche

L’insécurité routinière

C’est par effraction que ce premier recueil nous fait entrer dans le monde de Cesare Mongodi. Les mots que l’auteur considère en poésie comme autant de « pieds-de-biche » forcent les verrous de la conscience, et ils nous livrent « la matière première / de la tension vitale / qui pousse en avant ». Une telle ouverture ne se réalise pas dans la facilité ou dans l’immédiateté, mais elle se gagne de haute lutte, avec quelques saccages et brutalités parfois, pour produire un état des lieux conforme aux mouvements souterrains.
Cette poésie vise une connaissance de soi par les limites, par les épreuves, aussi simples que quotidiennes, car le bout de l’horizon s’explore dans les moindres gestes.
Antonio Rodriguez

...
on est
dans ce corps-outil
étrié entre deux pages déjà remplies de l'agenda
trait d'union entre deux abîmes
...
Extrait du poème "Cases vides", dans ce recueil

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Cesare Mongodi est né à Lugano en 1963 de parents italiens. Après une licence en économie et trois ans dans la finance internationale, il part avec sa future épouse pour un voyage d’une année et demie en Orient. Puis, études de lettres à Lausanne et mémoire sur l’oeuvre du poète Pierre-Albert Jourdan. Père de deux filles, il enseigne la littérature française et l’italien au gymnase de Morges et anime des ateliers d’écriture autobiographique pour adultes. Il a reçu le Prix Follope pour la qualité de ses études orientées vers la poésie.
"Pieds-de-biche" est son premier recueil.

Cesare Mongodi, Pieds-de-biche, Editions Samizdat, 2009.

 

  Critique, par Francesco Biamonte


In breve in italiano- Kurz und deutsch

Né en 1963, Cesare Mongodi en est à son premier recueil, mais certainement pas à ses débuts. Sa langue est solide et personnelle, et son propos est profond. « Cela commence toujours comme ça. Quelque chose se craquelle, se lézarde dans la poitrine. » Dès la première ligne, le thème principal est donné. Pieds-de-biche porte en son centre un mouvement existentiel et physique : la pulsion, le séisme, le jaillissement qui, naissant au fond du corps comme un corps étranger, secoue l'être tout entier, l'ouvre, le brise, le fracasse parfois. Mais qu'il faut laisser naître et se répandre : avant tout sans doute parce que l'on n'a simplement pas la force de le contenir indéfiniment mais peut-être aussi par nécessité éthique, par une sincérité sans laquelle la vie ne vaut d'être vécue, ou s'avère insupportable.
« Pression qui cherche le simple en toi. Et tu sais qu'un livre, une autre cigarette, le frigo ou alors, ce qui reste à faire, suffirait […] à ralentir le rythme de ces fuites de ton sang. Mais c'est le courage de t'y laisser couler qui fera jaillir son silence épais de fourrure de bête. De cet écartement subtil de ton centre soudainement alors des images comme pour te rendre l'équilibre perdu […]  » Cette fissuration intérieure est ainsi à la fois le moteur de l'écriture et son sujet. C'est peut-être la vis poetica elle-même qui cherche à sortir, à faire sauter les strates d'existence quotidienne qui la recouvrent ; mais plus sûrement, le poème est un corollaire, une conséquence secondaire, périphérique, d'autre chose, que le poème, que le recueil s'emploie à dire en cherchant à son tour des voies propres, parce que cela n'a pas de nom.

Non que le choix de laisser monter ce flux soit facile : ce qui va se jouer est redoutable, parce que l'on n'a aucune garantie d'en revenir : « Mais la mer mugit encore / on le sent / on le sait /et ce qui maintient à la surface / est […] / la peur peut-être / d'avoir depuis trop longtemps / déjà / égaré le chemin ». Ce chemin égaré est peut-être bien une aliénation originelle, subie dans la construction de la personnalité. Mais sa force réside dans le déploiement d'images inédites, inscrites dans un rythme prenant, qui lui servent à nommer, à évoquer, à partager l'expérience violente d'ici et maintenant. Plus d'un indice dans le livre suggère d'ailleurs une influence de la Gestalt-thérapie ou d'approches apparentées sur le travail poétique de Cesare Mongodi. L'expérience, on l'a dit, part ici du corps. Le corps est central en ce qu'il est le fondement de l'être, mais aussi dans le langage lui-même : les métaphores, singulières et transparentes, reposent sur le vocabulaire du corps – humain le plus souvent, animal parfois : les mains, le sang, les lèvres, la tuméfaction, l'os, les ailes, le pelage, les griffes, jouent un rôle constant.

Le poète disant la souffrance de son âme présente certes une filiation avec la tradition romantique. Mais le « je » lyrique de Mongodi ne se présente en rien ni comme un élu ni comme un maudit. Il est un homme ordinaire, un père de famille, un époux, un collègue, un ami. Et ses relations quotidiennes à la fois ordinaires et bouleversantes avec les autres deviennent le sujet de nombreux poèmes tristes ou consolateurs, zébrés de peurs ou habités par une fatigue apaisante : « Copains », « Mecs » « Enfants », « Une femme », tels sont quelques-uns de ces poèmes. Le couple y prend une place particulière. Cesare Mongodi évoque l'intimité avec une franchise et une singularité qui placent le texte à la limite de l'impudeur, de façon remarquable. Le couple, le lit conjugal, sont lieux de souffrance et de consolation à la fois, mais les bienfaits de l'amour – « ce lieu clair que vous aviez réussi à bâtir entre vous » – l'emportent. Alors que le recueil semblait destiné à tourner en rond, à se heurter obsessionnellement aux mêmes cycles de douleur, le livre prend une inflexion lumineuse dans ses dernières pages, « maintenant / que la tempête tu l'as acceptée / que ce qui s'est ouvert pour / la laisser passer / s'emplit d'une feu fier / d'exister ». Le dernier poème, magnifique, est pacifié au point de prendre une dimension mystique. Mais son titre, « Intervalles », laisse entendre qu'il n'est pas une fin.

Francesco Biamonte

 

  En bref


In breve in italiano

Pieds-de-biche è la prima raccolta di Cesare Mongodi (1963) che presenta una lingua solida, personale e un discorso profondo fatto di sismi interiori che nascono dall'intimo, scuotono l'individuo nella sua interezza. Essi sono al contempo motore della scrittura e motivi centrali del libro. Le poesie sorgono dunque come la conseguenza collaterale di queste scosse esistenziali spesso violente, intrinseche alle relazioni ordinarie e quotidiane fra individui. Con questa raccolta Mongodi prova ad esprimere, attraverso la ricerca di un proprio linguaggio, questo movimento che di per sé non ha nome.

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Kurz und deutsch

Cesare Mongodi (1963) zeichnet seine erste Gedichtsammlung. Seine Sprache ist solide und persönlich, seine Absicht tiefgründig. Innere Erdbeben, die tief im Körper entstehen, erschüttern das ganze Wesen. Sie sind Schreibantrieb und Hauptthema zugleich. Die Gedichte präsentieren sich als Nebenfolge jener existentiellen, oft heftigen, Beben, die sich im Leben anderer als gewöhnlich und alltäglich einschreiben. Die Sammlung ist bestrebt diese Bewegungen zu benennen, und sucht dabei eigene Wege, weil dies alles noch keinen Namen hat.

 

Page créée le: 30.03.10
Dernière mise à jour le: 06.01.10

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