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Isabelle Rüf reçoit Jean Starobinski
Entretien 4

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  Entretien 4 : action/réaction dans le domaine littéraire

 

- Professeur Starobinski, depuis trois jours, nous explorons " Action et réaction, vie et aventures d’un couple ", cet essai que vous venez de publier dans la collection La Librairie du XXe siècle, aux Editions du Seuil. Nous avons vu comment ce terme a été utilisé en physique, en chimie, puis, par la médecine, la psychanalyse . Ça nous amène aujourd’hui à parler littérature, à voir comment les poètes se sont emparés de ce mot, car les termes scientifiques errent parfois et connaissent une destinée au-delà de leur acception strictement scientifique.

- C’est ce qui se passe presque dans la règle. Le succès de la pensée de Newton, de sa géométrie, comme on disait -qui était une grande physique qui permettait de décrire les mouvements des planètes et des astres; qui permettait de calculer les mécaniques que l'on allait construire- le succès de Newton a eu un retentissement énorme. Les mots qui s’attachent à un grand système physique sont souvent des mots qui résument le système; des mots qui retombent aisément dans la langue commune. Alors ils appartiennent à tout le monde, et tout le monde peut s’en servir métaphoriquement, avec une compréhension plus ou moins précise du système auquel ils renvoient. Un mot comme " réaction ", qui est finalement le compagnon du mot " action " dont on se sert quotidiennement, était destiné à circuler très largement, mais aussi à être accaparé par des gens qui se prétendent des savants; des gens qui prétendent avoir eu une intuition au moins aussi profonde que celle que Newton a eue en voyant tomber la fameuse pomme et qui proposent des systèmes du monde, quelquefois tout à fait imaginatifs, mais sans réalité scientifique, ni expérimentale ; sans preuve de vérification. Le cas le plus flagrant, c’est celui d’Anton Mesmer, l’inventeur du magnétisme animal qui a eu un succès prodigieux et qui n’a jamais manqué de dire qu’il faisait, dans l’ordre des rapports parmi les vivants et de la médecine, la même chose que Newton dans la physique. Nous assistons à des phénomènes du même genre aujourd’hui, que Messieurs Sokal et Bricmont ont dénoncé, d’une façon que je crois fort saine, mais sans se rendre compte qu’il s’agit là d’un phénomène linguistique pour ainsi dire inévitable.

- Vous l’analysez, vous, chez Balzac particulièrement, mais aussi chez Edgar Poe…

- Oui, je l’analyse d’abord chez quelques illuminés de la fin du XVIIIe siècle. Je pose quelques questions qui me paraissent essentielles. Je crois que nous avons dit, au cours de nos précédents entretiens, qu’à un certain moment, la langue commune et la langue de la science bifurquaient. Mais c’est dans cette langue commune qu’écrivent les poètes. C’est dans cette langue où il faut faire partager des sentiments, des émotions . Les poètes ont eu l’impression -fort juste, à un certain moment - que la vérité leur échappait puisqu’elle était, maintenant, celle qu’énonçaient les scientifiques. Il y avait désormais deux langages et les poètes, pour les nommer d’un seul nom, ont eu le choix entre deux réactions, c’est le cas de le dire, ou bien se montrer hostile à la langue scientifique, la désigner comme la responsable d’un véritable ravage, d’un désenchantement du monde -et certains poètes français, anglais, ou des hommes en France comme Senancour ont opéré ce geste-là, de dénonciation de la science- ou bien poursuivre une espèce de récupération des idées scientifiques, mais en leur donnant une dimension poétique. Evidemment, de la part des poètes, il y a là une sorte d’usurpation, mais en même temps, c’est une façon d’aller plus loin dans la poésie, d’essayer de réunifier le monde, de récupérer une vision globale du monde. Mais tout cela se passe dans l’univers séparé de la littérature.

- André Chénier l’a fait…

-André Chénier l’a fait remarquablement, mais d’abord dans l’euphorie. Il était heureux que se constitue une explication du monde que nous pouvions accueillir dans notre raison. Il y a une joie de savoir que le rapport entre les corps qui circulent dans le monde est un rapport raisonnable. J’ai pu trouver quelques vers de Chénier qui expriment cette joie raisonnable devant un monde raisonnable. C’est une joie presque beethovénienne. Il écrit ceci :

Je vois l’être et la vie et leur source inconnue,
Dans les fleuves d’éther tous les fleuves roulants;
Je poursuis la comète, aux crins étincelants,
Les astres et leur poids, leurs formes, leurs distances;

Je voyage avec eux dans leurs cercles immenses.
Comme eux, astres, soudain je m’entoure de feux,
Dans l’éternel concert je me place avec eux;
En moi leurs doubles lois agissent et respirent;
Je sens tendre vers eux mon globe qu’ils attirent.
Sur moi qui les attire ils pèsent à leur tour.

Leurs doubles lois c’est l’action et la réaction, c’est l’attraction et la répulsion. Soudain le poète s’est transformé en une espèce d’astronaute ou de corps céleste qui entre dans le concert des corps qui circulent dans l’univers.

- Jean Starobinski, est-ce que ça n’évoque pas ce qui se passera une centaine d’années plus tard, c'est-à-dire ces écrivains de la fin du XIXe siècle, visionnaires, utopistes, qui eux aussi ont l’impression de faire partie d’un tout ?

- Absolument, le rêve de navigation céleste est là, présent, dans un élan tout imaginaire. On le retrouvera chez Victor Hugo. Il y aura toute cette imagination d’une conquête de l’espace, au-delà des horizons bornés de la terre, qui est déjà présente au XVIIIe siècle, mais sans la notion qui deviendra si importante au XIXe siècle, que la réduction scientifique de toute chose à des lois calculables représente un danger.

- Balzac, avec Louis Lambert, explore aussi les zones dangereuses…

- Balzac, lui, était séduit par la pensée quasi délirante de Swedenborg. Une pensée dans laquelle les esprits étaient partout, les anges partout. Balzac s’est projeté dans la figure d’un enfant génial qu’il appelle Louis Lambert qui a des intuitions spirituelles et même un système philosophique. Dans ce système philosophique, l’action et la réaction jouent un rôle capital. Il y a un système de forces duales qui s’opposent ou qui doivent se combiner. Or, pour lui, pour Louis Lambert, pour Balzac, l’action, c’est le mouvement spirituel direct qui va vers la vérité des choses. Et tout notre rapport au monde, aux objets solides qui nous résistent et qu’il faut surmonter, s’appelle, dans le système de Balzac, la " réaction ". Ce personnage de Balzac, qui est un peu son double, devient fou. Et pourquoi devient-il fou ? Parce que chez lui, l’ action, c’est-à-dire l’intuition spirituelle, est si prédominante qu’il perd contact avec le monde. La dernière vision que le narrateur - qui est une autre figure de Balzac - a de cet ami d’enfance, c’est celle d’un fou immobile dans une chambre obscure, veillé par une jeune femme dévouée. Il est immobile comme un schizophrène ; il frotte automatiquement, d’une façon stéréotypée, une jambe contre l’autre avec un affreux bruit car il est devenu terriblement maigre ; il regarde dans le vide et répète un seul mot : les anges sont blancs .

- Un excès de réaction peut aussi provoquer la mort comme dans la nouvelle " Adieu ", du même Balzac ?

- Oui, chez Balzac, qui est un écrivain des dynamismes de l’être vivant, des forces en conflits, il y a aussi des réactions; c’est-à-dire des retours à la réalité dans lesquels les forces se dépensent jusqu’à se perdre, se dissiper. Dans une nouvelle qui s’appelle " Adieu " et qui est aussi l’histoire d’une folie, une jeune femme est devenue folle parce qu’elle avait été séparée de son amant dans la campagne de Russie. On essaie de la rendre à la raison, et la méthode qu’on adopte, c’est de reconstituer autour d’elle, artificiellement, le paysage de la campagne de Russie, pour qu’elle revoie cet amant qui est toujours vivant et quelle le reconnaisse. L’opération réussit si bien qu’elle le reconnaît; elle revient à la réalité; elle voit que tout est là, de nouveau; que tout lui est rendu, mais cela provoque en elle une telle émotion, qu’elle en meurt. Qu’elle dépense tout ce qu’elle a de vie.

- Parfois, l’obscurité gagne, c’est ce que dit Goethe, par exemple, que vous citez aussi, qui refuse d’abord le terme de " compositeur " parce que cette idée de composer, c’est-à-dire de mettre ensemble des morceaux, lui semble insuffisante pour décrire le travail de l’artiste et qui introduit cette idée de refoulement.

- Goethe est un grand précurseur de Freud. Il introduit beaucoup des mots qu’adoptera Freud. D’un autre côté, dans sa vision de la nature - car c’est aussi un grand naturaliste, un grand interprète du monde naturel- il veut donner à la vie, aux battements de la vie, aux interactions de la vie, une prééminence sur tout ce qui serait la décomposition mécanique. Alors il fait de Newton sa tête de turc; aussi bien le Newton qui décompose les couleurs par le prisme que le Newton de la géométrie calculée. Il ne sait pas que Newton le précédait dans des recherches sur les forces qui animent les petits corps. Il y a tout un côté alchimiste de Newton qui refait surface. Quand on a connu enfin tous les manuscrits, toute la recherche gardée secrète par Newton, il y avait de quoi le réconcilier avec Goethe. Mais Goethe bagarre contre Newton, pour faire prévaloir une vision végétale et vivante de l’univers. Son intérêt pour les plantes, la métamorphose des plantes, son intérêt pour la morphologie animale est une grande protestation contre tout ce qui serait analytique et tout ce qui serait décomposition. Pour lui, il faut qu’il y ait, certes, analyse, mais il appelle de ses vœux une immense synthèse. Et cette synthèse, dont j’ai parlé dans ce chapitre, elle se symbolise dans l’image du cœur battant. C’est l’éveil de Faust, au début du second Faust, sentant battre le pouls de la nature, et repartant pour d’autres aventures après la mort de Marguerite.

- Mais, Jean Starobinski, est-ce qu’il y a un principe directeur derrière ce grand pouls de la nature ?

- Quelqu’un, qui est Edgar Poe, a essayé d’imaginer, de deviner cela. C’est pour cette raison que l’œuvre de Poe est émouvante. Il faut lire sa grande spéculation cosmologique qui est bien entendu périmée et qui s’appelle " Eureka " . Ça a été la grande idée de la fin de sa vie qui l’a exalté, qu’il a exposée en faisant des conférences de trois ou quatre heures, lisant son texte. Il est mort, peut-être dans l’ivresse, d’après ses biographes. L' intuition de Poe est la suivante : il y a une divinité qui est immatérielle, qui est un point et rien qu’un point -et pas de monde. Cette divinité explose, crée la matière, crée le monde, et devient une vaste expansion. Mais l’expansion n’est pas illimitée, elle rencontre la réaction. C’est là que Poe fait intervenir la notion de " réaction ". Et tout va lentement, dans une espèce de catastrophe, retomber vers le point central qui attire tous les morceaux du monde. Si bien que, au bout d’un certain temps, après le big bang de l’atome primitif - car c’est un véritable atome primitif que cette divinité - tout retourne à cet atome primitif, et ça recommence. De sorte que c’est un battement de cœur, infini, éternel qui explique la vie du monde.

- Qui prend en compte le bien et le mal ?

- Exactement ! Nous pouvons y reconnaître notre propre cœur. Mais est-ce que ce n’est pas une espèce de supplice éternel que cette vie à n’en plus finir ? Il y a un récit de Poe, qui s’appelle " Le cœur révélateur " où un personnage qui monologue et qui est un criminel dit comment il a tué un horrible vieillard qui n'avait qu'un seul œil et qui le hantait. Il l’a découpé en morceaux et il a répandu les fragments sous le parquet. La police vient, mais le criminel entend le battement d’un cœur qui ne cesse pas, dans sa conscience ou sous le parquet, et finalement le criminel explose en disant : " Oui c’est moi qui ai tué cet homme ! Arrêtez-moi ! ". C’est une nouvelle hallucinée d’un supplice, finalement d’un crime ; et ce battement éternel est aussi le battement d’un maléfice. Allez donc savoir si le monde, avec son cœur qui bat indéfiniment, est un monde heureux ou pas. Laissons à Poe son tourment. C’est une très belle œuvre, une très grande œuvre. Et les traductions de Baudelaire… on comprend que Baudelaire en ait été fasciné et y ait passé tant de temps.

- Justement, je voulais vous demander si Baudelaire avait fait siennes ces conceptions ?

- Il en a peu parlé finalement. Il n’a pas adopté cette image du monde. Quant à l’image du cœur battant, telle que Poe l’avait exposée, elle a profondément impressionné Claudel, qui l’a transportée dans une vision beaucoup plus orthodoxe du monde, une vision thomiste et surtout une vision de la créature humaine. L’un des lecteurs passionnés d’Edgar Poe et de son " Eureka ", ce fut aussi Valéry. Cette image d’un battement de cœur, d’un grand battement qui anime à la fois le cœur d’un être et le cœur de l’univers se retrouve jusque dans la jeune Parque. Donc, il y a une influence à long terme de cette œuvre de Poe à laquelle je crois qu’il faut s’intéresser à l’heure où nous avons des cosmologies qui nous parlent aussi, il y a trois milliards d’années ou davantage, d’un big bang, d’un cœur qui aurait explosé, mais pour une expansion peut-être infinie.

- Et Mallarmé ?

- Mallarmé, lui aussi a été fasciné par Poe. Et, sans doute, a-t-il rêvé un moment dans cette direction d’un cosmos. Finalement c’est le seul langage qui a subsisté pour la conscience de Mallarmé, l’image d’une scintillation dans le ciel et d’une chambre vide que nous habiterions. Mais Mallarmé a cherché son salut, si l’on peut dire, ou son réconfort, en allant ramer sur la Seine, dans sa barque, et en allant rendre visite à des amis imaginaires, le nénuphar blanc. On a l’impression que, finalement, tout s’est recentré sur l’humain et sur la parole humaine dans laquelle le battement, l’ " action " et la " réaction " aussi, pourraient être contenus. J’ai appelé ça le recentrement sur l’humain, en pensant à cette image du battement cardiaque dans des applications qui ont été jusqu’au discours théorique de Klee, dans la fameuse conférence D'Iena. Paul Klee a déclaré que son art voulait aller au plus près du battement de l’univers, auprès des vivants et des morts. Donc, nous avons là une grande image qui est une métamorphose de l’action et de la réaction, et que j’ai tenté de suivre dans ses derniers prolongements. Peut-être y en a-t-il encore d’autres; j’invite les lecteurs à se mettre à l’affût.

- Vous citez quand même Claudel qui est un peu plus près chronologiquement…

- Oui, Claudel, lui, a presque littéralement transcrit des phrases de Poe, mais pour dire que notre vie, notre espace nerveux est une " action " et une " réaction ", une irradiation et un repli sur nous-mêmes. C’est au niveau de la créature et des limites qu’elle doit vivre qu’il a repris cette image pulsante, dans " Art poétique ". Donc, nous avons là tout un cœur , si j’ose dire de poète, autour des grandes images d’Edgar Poe.

- Cette image, Jean Starobinski, du battement du cœur de l’univers est contrariée par celle des Lumières, qui est celle d’un progrès ?

- En effet, dans l’espace d’Edgar Poe, tout se construit, se développe. Il y a une grande évolution, mais vouée à une force contraire que certains nommeront, au XIXe siècle, entropie. La mise en ordre est suivie d’un nouveau désordre, mais d’un désordre qui se reconcentre dans un centre capable d’exploser à nouveau. D’où le battement éternel de ce cœur divin qui est aussi le nôtre, dont Poe parle dans " Eureka ". Ça a été pour moi une exploration assez vertigineuse dans des textes. Je les ai écoutés, transcrits, communiqués du mieux que je pouvais, avec le sentiment que, peut-être, des lecteurs partiront à leur tour à la recherche de cette aventure de l’ " action " et de la " réaction ", de ce couple.

- Mais pensez-vous que, actuellement, ce type de rejet, ce type de représentation, aient encore lieu ?

- Je suis fermement partisan de ce que j’ai appelé le recentrement sur l’humain parce que cette représentation naît de notre expérience corporelle. Elle naît du sens qui est le nôtre lorsqu’il s’applique à écouter battre notre propre cœur. Là est la vérité première de ces images. Si je les projette sur l’univers entier et que je crois que c’est la vérité de l’univers, je m’aventure dans une spéculation de type " New Age ", sans aucun fondement -satisfaisante pour apaiser peut-être quelques angoisses, ou pour en susciter, mais sans vérité -. La vérité est dans l’expérience intime qui est toujours première, qui est toujours là, qui est une évidence et qui n’est pas une grande idée explicative par laquelle j’impressionne un auditoire qui ne demande qu’à se laisser impressionner. Que chacun revienne à cette intuition de soi, dans quelque chose qui serait comme une naturalisation intime de l’ " action " et de la " réaction ", ce couple, cette alternance. Alors, au lieu de projeter sur l’univers cette alternance, ce couple, ce yin et ce yang -il y a eu des intuitions au cours de diverses cultures, de diverses civilisations- c’est en nous-mêmes que nous en vérifions la validité.

- Ce qui veut dire, Jean Starobinski, le renoncement à une transcendance ?

- Peut-être pouvons-nous garder le sentiment que cela existe. Que c’est là. Que c’est donné. Que nous ne l’avons pas créé nous-mêmes, que nous l’avons reçu. Et ce qui donne est une transcendance. Le pouvoir de donner est un pouvoir transcendant. C’est ce que j’ai essayé de faire entendre tout à la fin de mon ouvrage intitulé " Largesse " . Il faut manifester une gratitude envers ce qui nous donne à nous-mêmes, ce qui est une grande donation de l’être, cet être fragile qui est le nôtre, mais qui est quand même un être donné. La transcendance est peut-être derrière nous, dans notre dos, dans nos sensations les plus banales. Quant à l’univers, je crois qu’il faut garder une confiance inébranlable dans les procédés d’une science qui vérifie ses conjectures; qui les formule dans la langue des mathématiques ; ce qui est le cas depuis Galilée, et qui les vérifie, qui les met à l’épreuve, qui les falsifie, qui essaie de prouver que ce n’est pas falsifiable, que ça ne peut pas être démontré faux. Il y a donc là une discipline de la raison qui va de l’avant et qui modifie l’image du monde au fur et à mesure. Relativiser la science, à la bonne heure, c’est toujours le travail d’une humanité, d’un homme, d’équipes, à un moment donné dans une société donnée, mais le caractère expérimental de la science, et surtout l’expérimentation qui aboutit à la mise en œuvre d’un appareillage qui exploite l’action et la réaction. Des scientifiques, pour envoyer des vaisseaux, ou des messages, à travers l’espace cosmique, et bien, je puis donner mon assentiment, essayer de comprendre, faire confiance, tout en demandant au poète de récupérer en moi cette expérience de la vie naissante qui n’est peut-être pas à ce point accessible à l’exploration rigoureusement rationnelle et calculée. C’est une des leçons du livre. Tout à la fin, j’en arrive à l’opposition de l’expliqué et du comprendre. Expliqué par les enchaînements de causalité. Et, comme nous l’avons vu, l’action et la réaction a été dans l’histoire intellectuelle, l’exécuteur des hautes œuvres de la causalité. S’il y a une causalité, il faut me dire comment elle agit, et l’action et la réaction ont été chez Newton et chez ses successeurs - et ça s’est beaucoup compliqué depuis lors - le grand agent explicatif. Cela, c’est très bien que ça se soit passé ; il ne faut pas le récuser. Qu’on se garde de le récuser. Mais d’un autre côté, il y a le choix que je fais à partir de mon existence, de procéder rationnellement, d’expérimenter avec la nature telle qu’elle se donne. Ce choix je le fais dans une vie derrière laquelle je ne peux pas placer une causalité qui la soutiendrait. C’est mon expérience d’homme libre qui fonde la science. A partir du moment où la science existe, elle peut expliquer, par les gènes ou par des séries causales, le fait que je sois là, mais j’ai d’abord choisi la science pour m’expliquer. Je ne suis pas poussé dans le dos par des forces que j’aurais établies dans le travail scientifique.

- Jean Starobinski, nous sommes aujourd’hui dans des sphères assez hautes, dans celles des poètes ; demain nous irons voir ce qui, dans ce couple " action ", " réaction " est pour nous plus courant, le terme " réactionnaire ", c’est-à-dire les applications politiques. Merci.

 

Domaine parlé : Une émission d’Alphonse Layaz
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Page créée le 09.10.01
Dernière mise à jour le 09.10.01

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