Encre fraîche - Le Miel de l'Ours - Navarino

Plusieurs petits projets édtoriaux ont récemment vu le jour en Suisse romande, et cela nous réjouit: même si ces maisons ont pour le moment une diffusion limitée et un volume de publications très réduit (deux d'entre elles n'ont publié deux livres à ce jour, en tout et pour tout), c'est à la qualité de leurs livres qu'on estimera leur contribution d'ici quelques années, et nous saluons d'ores et déjà la diversité qu'elles apportent et l'enthousiasme dont elles témoignent. Nous avons donc voulu les inviter pour un petit tour de table en forme de "bilan et perspectives" en cette fin d'année. Nous avons posé une série de questions analogues à chacun d'eux, en tenant compte toutefois de leurs spécificités respectives.
Le Miel de l'Ours, animé par Patrice Duret (qui s'est aussi signalé récemment comme auteur, avec Le Chevreuil, Zoé, 2004), a commencé ses activités en 2004. Son catalogue frappe par la juxtaposition de noms parmi les plus connus de la littérature romande (Jacques Chessex, Jacques Roman, Jean-Michel Olivier), côtoyant des auteurs parfaitement inconnus jusqu'alors.
Encre fraîche se distingue de son côté par sa structure associative et par un propos d'ordre matériel et idéaliste à la fois: son objectif est d'aider les auteurs à vivre de leur plume, en leur reversant une partie substantielle des recettes obtenues par son texte. Si l'association existe depuis 2002, les deux premières parutions datent de 2004, et les trois suivantes sont agendées pour 2006.
Navarino, enfin, a publié ses deux premiers titres en 2005: deux romans, dont l'un est signé par l'éditeur lui-même.

 

Encre fraîche
Catherine Demolis, présidente
www.encrefraiche.ch

Comment est né en vous le désir d'éditer de la littérature?

En ayant connaissance d'un texte qui ne trouvait pas preneur: il s'agit de la marche du loup d'Olivier Sillig et que nous trouvions très bon, et bien sûr par amour de la lecture et de l'objet livre.

Votre maison se distingue par une structure très spécifique: il s'agit en fait d'une association, et l'objectif annoncé d'Encre fraîche est d'éditer et de vendre à l'avantage de l'auteur. Or on sait qu'en Suisse il n'est que très peu d'ouvrages rentables: seules les subventions rendent l'édition possible. Avez-vous concrètement réussi a dégager des bénéfices et à rendre votre structure plus profitable aux auteurs que les éditeurs "classiques" de la place? Ou votre geste est-il avant tout symbolique?

Nos deux premiers ouvrages ont été entièrement sponsorisés ce qui signifie que le bénéfice (petit puisque nous avons dû assumer nous-mêmes la diffusion de ces deux premiers titres) sera rigoureusement divisé en deux: une moitié pour l'édition l'autre pour l'auteur contrairement aux autres maisons d'édition..

Votre association existe depuis 2002, mais c'est en 2004 que vos deux premiers titres sont parus. Vous n'avez rien publié en 2005, mais des parutions sont d'ores et déjà annoncées pour 2006. Quel bilan tirez-vous, à la fin de cette deuxième année d'existence?

C'est difficile, les temps sont durs et il faut aussi savoir qu'une structure associative est forcément plus lente (nous avons planché sur sur la charte dont nous nous sommes dotés, sur nos choix (format, couverture,aspect général du livre, ligne à suivre etc.). D'autre part chacun d'entre nous gagne sa vie à côté de son activité d'éditeur. Nous sortirons en février 2006 trois nouveaux titres.

En quoi votre première expérience a-t-elle correspondu ou différé de vos attentes?

Elle a correspondu à notre attente sur le plan de la qualité des publications par contre nous ne nous attendions pas à tant de difficultés concernant la vente et ce malgré un accueil très favorable de la presse, des radios, de la TSR dont nous avons eu un écho très positif. Il reste difficile de se faire entendre à l'extérieur de la Suisse. On ne nous a même pas répondu !

Votre perception de la pratique littéraire a-t-elle été modifiée et enrichie par cette expérience?

Oui indéniablement. Cette pratique requiert une lecture différente. Nous lisons une première fois sans prendre de notes pour garder un regard disons spontané sur l'¦uvre. On entre parfois en résonance instantanément avec une écriture parfois il faut persévérer pour que le déclic se fasse ou ne se fasse pas. Comme pour n'importe quelle ¦uvre d'art le recul nous conforte dans notre premier choix ou au contraire nous en éloigne. Donc une fois ce coup de c¦ur dépassé nous relisons avec une grille de lecture : existe-t-il un réel univers d'auteur, une cohérence, un style, la psychologie des personnages est-elle suffisante et surtout, l'énergie dégagée par l'écriture résiste-t-elle à cette deuxième lecture ?
Bref nous laissons le temps traverser l'¦uvre et effectivement prenons notre temps pour les choix au risque d'impatienter l'auteur.
C'est une lecture plus profonde, une lecture millefeuilles.

On dit souvent que seul un très petit pourcentage des ouvrages édités le sont suite à une démarche classique (comme l'envoi du manuscrit par la poste) et que les contacts directs, les connaissances les hasards jouent un rôle important. Quelle a été en ce sens votre expérience d'éditeur?

Comme déjà dit tout est parti suite à la lecture du manuscrit d'Olivier Sillig connu d'un membre de l'association. Les autres auteurs nous étaient parfaitement inconnus. Pour ce qui concerne la suite de notre travail nous restons ouverts à toute démarche et nous lisons tout ce que nous recevons.

Vous êtes partis avec des moyens financiers manifestement limités. Est-ce un problème, ou plutôt un profil?

C'est un défi !

Avez-vous le sentiment d'avoir été compris et accepté dans le milieu littéraire romand (voire au-delà)? D'une manière générale, comment avez-vous trouvé ce milieu?

Difficile de répondre avec à notre actif pour l'instant seulement deux titres et des moyens de diffusion qui sont restés malgré nos efforts encore très confidentiels; mais nous avons participé au marché de la Grenette pour les éditeurs romands à Moudon et y avons trouvé un accueil chaleureux et très positif. Nous avons eu ainsi l'occasion d'échanger des points de vue avec les autres participants.

Comment se passe la diffusion de vos livres? Trouvez-vous un bon équilibre entre les tirages et les ventes/distributions? Parvenez-vous à être présents dans les librairies au niveau local, régional, voire plus? Par quelles autres voies les lecteurs se procurent-ils vos livres?

Nos lecteurs se recrutent à l'intérieur de l'association (les membres y bénéficient d'un tarif préférentiel) et dans les librairies de Suisse romande (à l'exception de FNAC Genève). Payot nous a commandé un stock important de livres pour tous les Payot de Romandie. Nous avons organisé plusieurs lectures aux bibliothèques municipales de Genève, au Bibliothé de Nyon etc.Š et avons organisé une promenade littéraire en collaboration avec les éditions Samizdat et le Miel de l'Ours. Les lecteurs potentiels peuvent également commander les livres à partir de notre site.

Quel regard portez-vous sur l'avenir proche et moins proche?

Nous allons intensifier les animations autour du livre et tenter de toucher également la France voisine. Nous restons malgré une conjoncture difficile plutôt optimistes et enthousiastes.

 

Le Miel de l'Ours
Patrice Duret

Comment est né en vous le désir d'éditer de la littérature?

Un amour inconditionnel (et un peu mystérieux ?) de la poésie.. et des mots. J'insiste sur le mystère : comment se fait-il qu'on se réveille un matin (d'avril 2003) avec ce titre en tête ("Miel de l'Ours"), avec cette petite voix (sans trop entrer dans le mysticisme) qui dicte la marche à suivre ? Et puis cette rencontre décisive avec Jacques Chessex, lui qui, en me confiant les premiers poèmes publiés au Miel, m'a permis de me lancer...

Vous êtes vous même bibliothécaire. Ce métier vous donne-t-il une approche particulière du livre, de la littérature, et plus précisément peut-être de l'édition?

Une approche de l'intérieur, bien sûr. Le fait de nager, de plonger, de manipuler, de jouer, jour après jour avec l'objet-livre... Repérer les différents styles éditoriaux.

En quoi votre expérience d'éditeur a-t-elle correspondu ou différé de vos attentes? Votre perception de la pratique littéraire a-t-elle a son tour été modifiée et enrichie par cette expérience?

Je crois que l'approche pratique du métier a dépassé mes attentes, surtout dans la possiblité de rencontres, qui tout à coup, s'offrent à nous.

La Romandie compte de nombreux éditeurs pour un bassin de population réduit. Avez-vous le sentiment d'apporter quelque chose de différent, ou quelque chose de plus? Comment définiriez-vous votre profil?

Je pense apporter une petite pierre dans ce réseau de poésie marginalisé, mais en restant en dehors des réseaux. Représenter une forme de résistance en tout cas, avec des notions de bouche-à-oreille, (distribution "sous le manteau") et en priviligéant cet aspect d' échanges intimes (une des clés de la poésie, peut-être).
Plus un mélange entre personnalités déjà reconnues et poètes encore inconnus (ce mélange, à la fois difficulté et enrichissement!).

On dit souvent que seul un très petit pourcentage des ouvrages édités le sont suite à une démarche classique (comme l'envoi du manuscrit par la poste) et que les contacts directs, les connaissances les hasards jouent un rôle important. Vous même avez mis en route votre catalogue avec des auteurs très connus de la place romande: Georges Haldas, Jacques Roman... Quelle a été en ce sens votre expérience d'éditeur?

Je reviens sur le bouche-à-oreille, qui a été très important dans mes rencontres avec ces quelques Grands de la poésie romande. Et avec des auteurs encore inconnus (Marianne Bionda, p. ex.). La personne qui connaît la personne qui... l'ours-qui-a-vu-l'ours-qui-a vu-l'ours ! Oui, hasards et connaissances...

Vous êtes partis avec des moyens financiers manifestement limités. Est-ce un problème, ou plutôt un profil?

Un profil. Du moins pour l'instant.

Avez-vous le sentiment d'avoir été compris et accepté dans le milieu littéraire romand (voire au-delà)? D'une manière générale, comment avez-vous trouvé ce milieu?

J'ai le sentiment d'avoir reçu accueil favorable et sympathique. Les critiques, jusque là, ont toutes été constructives. L'accueil dans la presse régionale l'atteste (bien que je ne fasse pas - volontairement! -une grande publicité).

Comment se passe la diffusion de vos livres? Trouvez-vous un bon équilibre entre les tirages et les ventes/distributions? Parvenez-vous à être présents dans les librairies au niveau local, régional, voire plus? Par quelles autres voies les lecteurs se procurent-ils vos livres?

La distribution se passe de manière microscopique puisque chaque tirage tourne autour de 150 exemplaires (je cherche à tabler sur le sentiment un peu bibliophilique de rareté - chaque exemplaire, en plus est numéroté et signé!). Concrètement : un petit fichier d'une centaine d'adresses, un petit papillon à la sortie de chaque volume, les gens me renvoient par poste ou par e-mail une commande. Deux-trois petites librairies. C'est tout !

Quel bilan tirez-vous, à la fin de cette première année d'activité?

(Presque deux ans). Je le définirai en un mot : GRISANT !

Quel regard portez-vous sur l'avenir proche et moins proche?

Un regard la fois attentif et tranquille : avec le PLAISIR (sans prises de tête inutiles), ça continue!

 

Navarino
Laurent Schlittler
www.navarino.ch

Comment est né en vous le désir d'éditer de la littérature?

En lisant des livres, en écrivant des textes, et en collaborant à une revue littéraire appelée Archipel [revue des étudiants de la faculté des lettres de l'Université de Lausanne, ndlr].

Quel bilan tirez-vous, à la fin de cette année 2005?

Un bilan positif (+2), étant donné qu'il n'y avait rien (0) là où maintenant il y a deux livres (2) (On est pas des guignols de Laurent Schlittler - Far West/Extrême-Orient de Philippe Testa). Le bon accueil critique, des lecteurs et des libraires fut encourageant.

En quoi votre première expérience a-t-elle jusqu'à présent correspondu ou différé de vos attentes?

Ne sachant pas ce qui pouvait nous attendre, cette première expérience a dépassé nos attentes.

Votre perception de la pratique littéraire a-t-elle été modifiée et enrichie par cette expérience?

Enrichie de tous les contacts qui ont nourri et contribué à la fabrication des livres (typographe, correcteur, imprimeur, etc.) et de tous ceux qui l'ont suivie (libraires, lecteurs, etc).

On dit souvent que seul un très petit pourcentage des ouvrages édités le sont suite à une démarche classique (comme l'envoi du manuscrit par la poste) et que les contacts directs, les connaissances les hasards jouent un rôle important. Quelle a été en ce sens votre expérience d'éditeur?

Je ne peux parler que d' 1 cas, celui de Philippe Testa, que je connaissais de vue, c'est un ami commun qui m'a mis sur son chemin.

La Romandie compte de nombreux éditeurs pour un bassin de population réduit. Avez-vous le sentiment d'apporter quelque chose de différent, ou quelque chose de plus? Comment définiriez-vous votre profil?

Ce n'est pas à nous de le dire. Des données objectives (âge, références, moyens) nous distinguent forcément. Le profil est en construction, deux petites briques de 145 pages à ce jour.

Vous êtes parti avec des moyens financiers manifestement très limités. Est-ce un problème, ou plutôt un profil?

Ce n'est ni un profil, ni un problème. C'est une donnée de base qui permet de mieux vivre l'échec et les frustrations. Un confort moderne, somme toute.

Avez-vous le sentiment d'avoir été compris et accepté dans le milieu littéraire romand (voire au-delà)? D'une manière générale, comment avez-vous trouvé ce milieu?

Milieu littéraire romand. Je l'ai peut-être rencontré, mais je ne vois pas de qui vous parlez.

Comment se passe la diffusion de vos livres? Trouvez-vous un bon équilibre entre les tirages et les ventes/distributions? Parvenez-vous à être présents dans les librairies au niveau local, régional, voire plus? Par quelles autres voies les lecteurs se procurent-ils vos livres?

Sur les deux premiers ouvrages, la distribution s'est faite en voiture d'une librairie à l'autre, manuellement auprès des libraires, qui ont toujours eu plaisir à se saisir du paquet.

Quel regard portez-vous sur l'avenir proche et moins proche?

Pour l'avenir proche, je vois deux parutions en 2006. Pour l'avenir lointain, je ne vois vraiment pas, mais j'ai de grandes espérances.