Guy Poitry : Ateliers d'écriture

Un atelier d'écriture : pourquoi ?

Parce que l’écriture, même dans un cadre universitaire, même dans un Département de littérature française, ne saurait se limiter à des dissertations, à des mémoires, à de la littérature seconde, des travaux critiques sur des textes littéraires.

Parce que le Département de français de l’Université de Genève a toujours compté des écrivains au sein du corps enseignant – depuis Marcel Raymond jusqu’à Michel Butor, et aujourd’hui comme par le passé.

Parce que certaines pratiques d’écriture peuvent être un moyen d’appréhender différemment l’analyse des textes : c’est le cas du pastiche pour le style, ou de la reprise d’un thème avec un traitement différent, etc.

Parce que tout écrivain digne de ce nom est à sa manière ambidextre : parallèlement à ses talents proprement littéraires, il sait aussi manier la plume à des fins justificatives, argumentatives, voire polémiques, dans des préfaces, des manifestes, etc. Un poète, un romancier, un auteur dramatique est aussi, presque toujours, un essayiste. A l’inverse, tout critique devrait avoir connu de l’intérieur, ne serait-ce qu’une fois, l’expérience de la création. L’idéal des études de Lettres pourrait être de favoriser cette ambidextrie, de ne sacrifier aucune des deux « mains ».

Parce qu’aussi, bon nombre d’étudiants viennent en Lettres moins pour être de futurs enseignants ou de bons critiques, que pour s’immerger dans le monde de la littérature, avec comme lointain espoir la perspective de passer à l’acte un jour ; et que cet espoir, il ne convient pas de l’anéantir par une approche d’emblée et exclusivement critique.

Parce qu’écrire, pour des jeunes de 20 ans, est souvent un verbe intransitif : ils éprouvent le désir d’écrire, mais ce désir est sans objet, ils ne savent sur quoi écrire. Un atelier peut être le lieu où l’on se délie la plume, où l’on apprivoise l’espace inquiétant de la page blanche, où l’on fait ses gammes en attendant de trouver le sujet qui vraiment nous sollicite, ainsi qu’une manière de l’aborder qui nous serait propre.

Parce qu’il est nécessaire de se constituer un destinataire, aussi flou soit-il ; et qu’un écrivain débutant est facilement tenté par les clins d’oeil complices, faciles, entre potaches, ou peut à l’inverse se sentir isolé dans une chambre d’échos, parlant trop fort, visant trop haut, se paralysant lui-même. L’atelier se présente alors comme un cercle (inquiétant du fait qu’on s’y expose, mais rassurant par sa clôture) où des lecteurs s’offrent, concrètement et dans leur pluralité.

 

Un atelier d’écriture : comment ?

Si une dissertation obéit à des normes relativement rigides et peut entrer dans le cadre d’un enseignement avec évaluation notée à la fin, il ne saurait en aller de même pour l’apprentissage de l’écriture littéraire. Le but n’est pas de savoir comment un texte doit être (comment on fait un bon roman, un beau poème...) selon des recettes éprouvées : il s’agit bien plutôt d’explorer des styles, des formes, des approches, fût-ce par tâtonnements, essais, reprises... Aussi l’atelier n’entre-t-il pas dans le cursus officiel des études : il n’est pas sanctionné par un examen, il reste « gratuit », n’accorde aucun « crédit », n’est soumis à aucune obligation institutionnelle.

L’enseignant, bien évidemment, a sa propre façon de lire un texte, sa propre conception de la littérature, ses propres normes ; il essaie toutefois de proposer ses commentaires, non d’imposer sa manière de voir. Dans l’idéal, il se voudrait un parmi les autres participants. L’atelier devrait donc être à la fois un lieu de rédaction et de discussion, soit au bout du compte un lieu d’incitation, non de censure : on y entendra différents jugements, mais c’est à l’auteur du texte de déterminer, in fine, ce qu’il peut tirer des diverses observations. Et l’objectif de l’enseignant serait moins d’obtenir des textes d’emblée « réussis », que d’encourager les participants dans leur volonté d’écrire, avec une exigence, un regard critique qu’il leur faut avoir, mais qu’ils formeront eux-mêmes à partir de la confrontation avec les avis d’autrui.

L’atelier est hebdomadaire, chaque séance dure 90 minutes. Une fois sur deux, un exercice est proposé à tous les participants ; la rédaction a lieu sur le moment même. Mais les textes sont le plus souvent achevés et mis au net à domicile ; ils sont saisis sur ordinateur, et envoyés par mail à l’enseignant et aux autres participants, qui les discuteront la fois suivante, après qu’ils auront pu les lire tranquillement chez eux. Il y a donc alternance entre rédaction et discussion.

Le nombre de participants, jusqu’à présent, a rarement excédé la dizaine, ce qui permet l’examen de pratiquement tous les textes en une séance.

La rédaction prend appui sur une consigne, et parfois sur un autre texte qui peut servir de référence et stimuler le passage à l’écriture (ex. : un autoportrait s’appuyant sur celui qui ouvre L’Age d’homme de Leiris ; des pastiches de Michaux ou de Mme de Sévigné ; un dialogue à partir du début de L’Heure grise d’Agota Kristof, les répliques de « Lui », supprimées, étant à imaginer à partir de celles d’« Elle » ; etc.).

 

Un atelier d’écriture : par qui ?

Le cadre est donc universitaire ; l’enseignant lui-même est docteur ès Lettres, il enseigne la dissertation littéraire – ce qui, inévitablement, rejaillit sur son approche, en particulier dans l’idée d’un dialogue avec les textes d’auteurs, du passé aussi bien que du présent.

Il a lui-même écrit et publié un roman, des récits (autobiographiques ou non), et aurait tendance évidemment à privilégier les textes narratifs ou descriptifs ; il doit d’ailleurs reconnaître ses limites, voire ses doutes à l’égard de ce qu’on entend, bien souvent, par poésie aujourd’hui... Aussi les exercices qu’il propose relèvent-ils presque tous de la prose.

Enfin, son esthétique est largement « classique » ; il reste, archaïquement peut-être, un adepte du « beau style », de l’oeuvre qui véhicule un sens, du texte bref aux contours bien marqués, etc. Il ne se hasarde pas non plus du côté de la littérature informatique ou d’autres explorations du support verbal (poésie sonore, visuelle ou concrète, par exemple).

 

Point de vue de deux étudiantes

Je me souviens précisément du jour où j'ai découvert qu'il existait un Atelier d'Ecriture à l'Université. Cela faisait quelques années que j'avais envie de me lâcher dans l'écrit, de laisser les mots s'emparer de moi pour se poser sur le papier comme une prolongation de moi-même. Je savais que j'avais des choses à faire passer au-delà de mon espace intérieur et je voulais prouver que j'étais capable de manier l'écrit aussi bien qu'un autre.

Ma participation à l'Atelier a un rapport avec le choix de ma carrière universitaire (Lettres, en français), car je crois que les mots sont le reflet du monde et sa prolongation. On peut, en effet, tout dire par leur biais : on peut décrire ce qui se passe en nous, hors de nous ; on peut créer le monde, le réinventer meilleur ou pire; on peut s'expliquer, se défendre, communiquer ; on peut être soi-même ou un autre; et surtout l'écriture n'a ni frontière, ni limite. Je savais tout cela, mais je n'avais jamais eu l'occasion de le mettre en pratique au cours de mes années d'étude. Je sentais aussi la nécessité de prouver aux autres et à moi-même que je savais manier la langue et rédiger un texte mieux que ce que mes exercices de dissertation ne le démontraient. J'avais besoin – toujours dans cet esprit de « lâcher prise » – de me réconcilier avec ma langue et de me réapproprier ce terrain d'ouverture, de beauté et de dialogue qu'offre la littérature.

Voilà maintenant deux ans que je fréquente l'Atelier et j'ai découvert de merveilleuses choses sur moi-même : tout d'abord, que je pouvais transmettre mes émotions au lecteur par l'écrit. J'ai ensuite découvert tout un univers d'écrivains suisses romands que je ne connaissais absolument pas et dont les mots me touchent profondément : c'est une littérature dans laquelle je me reconnais. Enfin, j'ai compris d'autres dimensions de/sur la littérature. Il ne suffit pas de l'étudier et de lire des auteurs (re)connus pour se dire spécialiste. Il semble important parfois d'expérimenter personnellement le phénomène pour comprendre quelle est son origine, comment elle naît et ce par quoi l'écriture doit passer pour devenir enfin littérature.

Bref, ma participation à cet Atelier enrichit ma compréhension des procédés d'écriture, m'enseigne la conception d'un texte littéraire et affine ma perception d'autres oeuvres.

Elodie Schmelzer

Pourquoi je participe à cet atelier d’écriture ? La réponse est évidente : j’aime écrire. Mais je suis de ceux qui, même s’ils aiment beaucoup faire une chose, ont besoin d’une motivation pour vraiment passer à l’acte. Toutes les deux semaines, le professeur de l’atelier nous propose des thèmes sur lesquels on peut écrire. Par la suite, on parle des textes qui ont été rédigés. C’était un aspect de l’atelier qui me faisait peur, je n’aimais pas cette idée que d’autres liraient mes textes, textes que j’avais produits par pur plaisir, pour moi, et non pas pour d’autres. Mais je me suis vite rendu compte que cette partie de l’atelier était très importante : c’est très intéressant de voir les différentes manières dont les autres ont traité le sujet. En plus, il devient possible d’être plus critique envers soi-même et (moi en tout cas) je me donne plus de peine dans la rédaction sachant que mon texte va être discuté.

Évidemment, il ne faut pas oublier le côté apprentissage de l’atelier : il m’a aidée à trouver plus de confiance lorsque j’écris en français (je suis bilingue, mais je n’ai jamais fréquenté d’école francophone avant d’entrer à l’Université), ce qui m’est très utile pour tous les travaux que je dois rendre à la faculté de SES.

Emilienne Kobelt

 

Informations

Guy Poitry enseigne la littérature française, et plus particulièrement la rédaction, aux Universités de Genève et de Berne. Il est l’auteur de travaux en critique littéraire (sur Michel Leiris, Voltaire, Diderot, Sade...), d’un roman et de textes en prose (fictifs et autobiographiques).

Bibliographie sélective

Ouvrages

Michel Leiris, dualisme et totalité, essai, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1995.
Jorge, roman, Genève, Metropolis, 1996. [Prix Pittard, juin 1997.]
Chutes, récits, Genève, Metropolis, 1998.

Textes en revues

Deux lettres, une fiction ; Ecriture no 45, printemps 1995.
Mariage ; Le Passe-Muraille, juillet 1997.
Nocturne ; Le Passe-Muraille, juillet 1999.
Pointé au sud ; Moebius, Montréal, juillet 1999.
Orientations ; in Pour qui écrivent-ils ?, Ecriture no 55, avril 2000.
Un pays ; Le Passe-Muraille, mai 2000.
D’une araignée ; Solothurner Literaturtage/Journées littéraires de Soleure, 2-4 Juni 2000,
CTL no 37, Lausanne, 2000.
Battements ; Ecriture no 56, automne 2000.
Déportements ; Ecriture no 56, automne 2000.
En partance ; Les Acariens, printemps 2001.