Isabelle Cardis Isely
Les impressions d'une jeune présidente

Bibliothécaire de profession, n'ayant jamais passé plus d'une demi-journée sans avoir eu un ouvrage à portée de main, on pourrait affirmer sans trop de risques d'erreur que le livre m'est aussi nécessaire pour vivre que la nourriture…

Enfant, Plaisir de Lire signifiait pour moi des immenses colonnes de livres disposés en équilibre précaire dans chaque espace libre de la maison de mes grands-parents paternels, alors administrateurs. Combien de fois ai-je été subrepticement entrouvrir l'un de ces emballages de papier beige ou bleuâtre pour y découvrir le titre qui s'y cachait en un si grand nombre d'exemplaires, tout en retenant avec la dernière énergie des éternuements dus à la poussière, qui auraient trahi ma présence en des lieux interdits aux enfants ? Je ne saurais le dire, mais l'image est restée, vivace, dans ma mémoire.

Bien plus tard, d'aides ponctuelles à mon père devenu à son tour administrateur en engagements énergiques pour certains projets éditoriaux (publication inédite des Notes du Louvre de C. F. Ramuz) et promotionnels (75e anniversaire), j'ai été élue à ma grande surprise à la présidence de Plaisir de Lire, mon enthousiasme devant compenser mon manque d'expérience...

Depuis, chaque jour qui passe m'apprend un petit secret du monde éditorial et le temps pris sur mes loisirs est largement récompensé par les découvertes et les émotions que m'apporte Plaisir de Lire. Faire la connaissance, puis fréquenter des personnes d'exception est certainement le plus beau cadeau de l'Edition : les auteurs m'ouvrent la porte de leur monde intérieur, les professionnels du livre me montrent quelles sont les qualités et les exigences que je dois attendre de mon travail et les lecteurs nous permettent de toucher aux sentiments qu'ils ont ressentis en découvrant " nos " livres.

Travailler avec des bénévoles nécessite une grande souplesse, car chacun consacre une partie de ses loisirs à l'Edition, selon ses horaires, les moments de la semaine, de l'année ou de sa vie qui lui conviennent le mieux, selon ses connaissances et l'intérêt qu'il éprouve pour tel ou tel domaine d'activité. Alors, mon rôle est aussi de repérer les lacunes dans le fonctionnement de notre association, de définir les besoins et de rencontrer les personnes qui trouveront un intérêt et un enrichissement personnel à consacrer du temps et des compétences à Plaisir de Lire.

Pour être honnête, je dois avouer que cette partie de ma fonction de présidente devient de plus en plus facile, avec les années : les personnes qui donnent vie à Plaisir de Lire ont toutes beaucoup de talent, du caractère et, surtout, un enthousiasme toujours croissant. A cela s'ajoute le soutien précieux de femmes écrivains de Suisse romande, dont les œuvres ne figurent pas toujours au catalogue, qui informent inlassablement leurs consœurs et leurs connaissances de nos événements, nous entourent régulièrement de leur présence et organisent elles-mêmes des manifestations auxquelles nous participons très volontiers.

Mais l'émotion la plus forte réside dans la parution d'un texte (après tout un parcours fait dans l'incertitude de la réussite) et dans un travail d'équipe : lire des manuscrits, beaucoup de textes de toutes sortes, avoir un coup de cœur, une certitude que CE TEXTE-LA donnera un moment de bonheur à des lecteurs, attendre le jugement du comité de lecture, défendre ses convictions, puis, s'il est accepté, chercher un financement qui permettra la réalisation du projet, travailler à la saisie du texte, à sa mise en page, à ses corrections, à ses innombrables corrections, chercher une illustration de couverture, rédiger ou faire rédiger la 4e page de couverture et une éventuelle préface ou postface, s'inquiéter de chaque phrase jusqu'au moment où l'on est forcé de remettre le document achevé à l'imprimeur, ouvrir avec appréhension le livre fraîchement sorti de presse… et retrouver avec la même émotion un texte qui chante à l'oreille et réjouit l'esprit. Oui, je crois que la confection d'un livre et la publication d'un texte est l'activité qui me stresse le plus… et me ravit toujours avec le même renouvellement !

Enfin, au fond de moi et malgré les urgences qui s'accumulent au quotidien sur mon bureau, reste le sentiment persistant que je n'ai pas le droit de rater le pari qui consiste à faire vivre Plaisir de Lire avec suffisamment de vigueur pour pouvoir la transmettre à nos successeurs dans les meilleures conditions possibles : tout au long de ces 80 années d'existence, près d'une centaine de membres du comité de l'association a œuvré, s'est découragée, a parlé d'abandonner, a trouvé des solutions, s'est enthousiasmée pour des auteurs et des œuvres, a donné le coup de pouce nécessaire pour que Plaisir de Lire existe encore aujourd'hui, avec le même rêve initial : mettre à la disposition du plus grand nombre des ouvrages de qualité à un prix aussi bas que possible. Poursuivre ce projet, cette utopie, est un enrichissement et une passion de tous les jours.

Isabelle Cardis Isely
Présidente de Plaisir de Lire