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Jean Richard - Sabine Dörlemann - Thomas Heilmann - Fabio Casagrande

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  La bibliodiversité et la réglementation du prix du livre en Suisse, par Jean Richard (Editions d'en bas)


La bibliodiversité et la réglementation du prix du livre en Suisse

La votation du 11 mars 2012

Le 11 mars 2012, en votation populaire, le peuple suisse a refusé la loi fédérale sur la réglementation du prix du livre (LPL) adoptée le 18 mars 2011 par les chambres fédérales. Un référendum contre cette loi avait été déposé par les jeunes libéraux le 5 juillet 2011 avec le soutien, entre autres, d’Ex Libris. 7 ans auparavant, le processus législatif avait été lancé lorsque Jean-Philippe Maître (PDC) avait déposé, en mai 2004, une initiative parlementaire pour défendre le prix réglementé du livre. Il faut signaler que si 56,7 % du peuple suisse a voté contre cette loi, la Suisse romande a accepté celle-ci à plus de 60 %, (notamment les cantons de Genève, 66,5 %, Vaud, 60,6 %, et Jura, 71,2 %).
Cette disparité des résultats ne révèle pas seulement une opposition idéologique ou culturelle autour de la libéralisation du marché du livre – introduite très tôt en Suisse romande en 1993 avec la loi contre les cartels et beaucoup plus tard en Suisse alémanique en 2007 avec l’interdiction par la COMCO de l’accord sur le prix du livre, le Sammelrevers –, mais surtout d’une différence des pratiques du marché du livre selon les régions linguistiques de la Suisse ainsi qu’une carence de la politique en faveur du livre en Suisse à tous les niveaux : fédéral, cantonal et communal. Malgré un marché d’importation très important comme pour la Suisse romande, la Suisse alémanique a connu : le prix fixe ; un différentiel des prix avec les autres pays germaniques vers la Suisse peu élevé ; l’achat des nouveautés en compte ferme ; des marges commerciales plus importantes. Ce n’est que depuis 5 ans que cette région connaît la libéralisation du marché du livre, que la Suisse romande subit depuis maintenant 20 ans : des piles de nouveautés à des prix « discount », des « actions produits d’appel », des rentrées scolaires et universitaires à prix « étudiant », l’augmentation des prix des livres à vente et rotation lente, la fermeture d’une cinquantaine de librairies en vingt ans, etc.

La libéralisation du prix du livre en Suisse romande : la diversité culturelle en péril

En Suisse, cette lutte pour un cadre réglementaire ne date pas d’il y a sept ans. En 2000, l’ASDEL publie un rapport du soussigné intitulé : Le prix unique en Suisse et en Suisse romande. Histoire d’un combat, 1970-1999. Si l’on additionne les années, nous en arrivons à 42 ans de débats et de luttes ! L’enjeu est donc de taille et il ne disparaît surtout pas avec la votation du 11 mars 2012.
Si la focalisation autour de la problématique du prix du livre est réductrice, cette problématique en soi concerne la réalité économique et commerciale dans laquelle nous allons rester empêtrés :
– La concurrence sur le prix du livre : pas de réglementation induit une concurrence sauvage et déloyale sur les prix qui permet au plus fort de gagner et d’écraser le plus petit – le « commerce » vend le livre à un prix cassé, à perte, comme un produit d’appel, c’est-à-dire une pratique de la terre brûlée pour occuper le terrain ou éliminer les autres « commerces ». Les librairies indépendantes en Suisse romande et en Suisse sont dans la tourmente.
– L’augmentation du prix des livres : franc fort ou pas, les importateurs de livres en Suisse peuvent faire ce qu’ils veulent. Certains ont le souci d’un prix juste, d’autres prennent les « consommateurs » pour des vaches à lait. La COMCO, selon les libéraux, ferait mieux que Monsieur Prix pour « réguler » ce marché ! Nous avons quelques doutes à ce sujet. Les diffuseurs et distributeurs français vont-ils rester en Suisse? Le service de traitement des commandes des lecteurs restera-t-il aussi efficace ? L'avenir nous le dira.
– Les dommages frontaux et collatéraux d’une libéralisation des prix touchent tous les secteurs du livre : les librairies indépendantes, les auteur.e.s, les éditeurs locaux, et les bibliothèques (dont les budgets ne suivent pas la surenchère des prix).
En forçant le trait, les avocats aveugles du libre marché prônent leur idéologie sans aucune vergogne et sans aucun respect pour le livre. Si l’on scrute le langage qu’ils utilisent, cela crève les yeux et les tympans : depuis quand est-ce qu’un lecteur est un « consommateur » ?

Pour une politique de soutien du livre

La problématique du prix du livre et de sa réglementation n’est qu’un aspect nécessaire et non suffisant d’un soutien au secteur en question. Il est temps que toutes les branches du livre, des organisations privées de soutien à la culture et des pouvoirs publics se mettent ensemble pour œuvrer à de véritables politiques en faveur du livre : assises, commissions consultatives mixtes, etc. – à l’instar des canton et ville de Genève ou, récemment, de la ville de Lausanne et du canton de Vaud.

Le livre : une économie de l’offre diversifiée

Les lecteurs et lectrices ne sont pas des consommateurs et des consommatrices ; un livre n’est pas un hamburger ; la lecture n’est pas de la consommation. En matière de culture, notamment de lecture – et cela vaut pour la cuisine aussi ! –, nous ne sommes pas dans le domaine du besoin qui s’éteint avec la consommation, nous sommes dans le champ du désir qui, par définition, ne peut jamais être satisfait. Nous sommes dans le champ de ce qui surprend et éveil l’esprit, aiguise la faculté critique, transforme nos regards et nos manières d’être et de faire. Un livre qui correspondrait à nos attentes pourrait nous satisfaire et nous n’en aurions, à juste titre, plus besoin : objet jetable qui se situe du côté de la demande. Mais le livre que nous n’attendons pas, qui nous bouleverse, qui par sa facture et sa densité requiert une attention soutenue et du temps, lui, il peut durer une vie, une éternité et se situe du côté de l’offre.
La culture et le livre se situent donc dans une économie de l’offre. Les lois du marché – floues par définition (avez-vous rencontré la « main invisible du marché » ?) – n’ont aucune pertinence pour aborder cette économie-là. Françoise Benhamou, économiste de la culture, a développé des instruments de mesure pour analyser et exposer les enjeux propres à l’économie de la culture et des industries culturelles : une économie de la pluralité de l’offre culturelle. Une économie de l’offre où chaque livre est unique et spécifique, où la diversité de celle-ci est telle qu’il faut un savoir-faire considérable pour la rendre accessible à tout un chacun dans de nombreux lieux aux configurations variées. Il n’y a pas d’opposition entre culture et économie. Il n’est dès lors pas nécessaire de défendre une « exception culturelle » du livre. Au contraire, il s’agit de prendre la mesure économique de la bibliodiversité culturelle du livre !

Le livre : une économie du risque et les mesures de soutien des politiques culturelles

Par ailleurs, de cette réalité de l’« offre » il découle que l’économie du livre est une économie du risque : le « succès » n’est pas assuré. Certains développent des méthodes pour matraquer « les consommateurs » avec du marketing et de la publicité. Mais il est possible d’opérer autrement. Il s’agit donc de développer les moyens nécessaires et les cadres opportuns pour diminuer ce « risque » et assurer à la diversité de la création du monde du livre un accès universel. Outre le travail de promotion propre aux acteurs du monde du livre, il est nécessaire de développer des politiques culturelles nationale, cantonale et communale de soutien au livre. Celles-ci se déclinent à plusieurs niveaux en tenant compte des aides à la création et à la production, des aides à la promotion et à la distribution, des aides à la vente :
– Des politiques d’encouragement par des mesures structurelles qui soutiennent l’ensemble du secteur culturel du livre : une politique fiscale qui applique un taux préférentiel de la TVA, voir un taux 0 %, au livre et à toute la chaîne de production et de distribution ; les mesures de réglementation des prix et des conditions commerciales (refusées par le peuple suisse) ; des tarifs postaux réduits en faveur du livre ; des mesures d’allégement d’impôts, etc.
– Des politiques d’encouragement au livre qui s’appliquent au niveau des entreprises (édition, librairie, distribution), des institutions et des créateurs soit par des mesures directes (convention de financement, bourses, prix, etc.), soit par des mesures incitatives (prêts et garanties financières)
– Des politiques d’encouragement du livre qui s’appliquent au niveau des publications et des traductions par des mesures directes (subsides) ou aides ciblées (catégories d’ouvrages, publics) selon des modalités sélectives ou automatiques ; ainsi que des aides aux effets structurels par le soutien à la lecture publique ou aux acquisitions des bibliothèques.
– Des politiques d’encouragement du livre qui s’appliquent au niveau de la promotion par des aides directes (catalogues, sites Web) ou indirectes (manifestations culturelles, animations, salons).

Le Gouvernement suisse a eu l’audace de commanditer un rapport publié en 1975 par l’Office fédéral de la culture : Le Rapport Clottu. Éléments pour une politique culturelle en Suisse. Ce rapport propose des mesures remarquables et révolutionnaires par rapport au livre. Une mobilisation de tous les acteurs du monde du livre est nécessaire pour contrer les effets néfastes du refus du peuple suisse de se doter d’une loi parmi d’autres en faveur de la diversité culturelle et de la bibliodiversité.

Jean Richard (Editions d'en bas)


  Une question à Sabine Dörlemann (Dörlemann Verlag), Thomas Heilmann (Rotpunktverlag) et Fabio Casagrande (Edizioni Casagrande)


Une question à Sabine Dörlemann (Dörlemann Verlag), Thomas Heilmann (Rotpunktverlag) et Fabio Casagrande (Edizioni Casagrande)

Am 11. März 2012 hat eine Mehrheit des Schweizer Volkes (56.1% bei einer Stimmbeteiligung von 43.1%) das Bundesgesetz über die Buchpreisbindung abgelehnt – in der Romandie, die seit Jahren ohne Preisbindung leben muss, wurde das Gesetz angenommen! Die Abstimmung erfolgte, nachdem von den Jungfreisinnigen mit Unterstützung von Ex Libris das Referendum ergriffen  worden war und am 5. Juli 2011 zustande gekommen ist. Im Vorfeld der Abstimmung hat sich die ganze Branche (Autoren, Übersetzerinnen, Verlegerinnen, Buchhändler etc.) praktisch geschlossen für das Buchpreisbindungsgesetz ausgesprochen und sich in der Abstimmungskampagne stark engagiert. Uns interessiert: Welche Position vertreten Sie in dieser Frage, und wie haben Sie auf das Abstimmungsresultat reagiert? Welche Auswirkungen erwarten Sie auf regionaler und gesamtschweizerischer Ebene?

SABINE DÖRLEMANN (DÖRLEMANN VERLAG): "Welche Position vertreten Sie in dieser Frage?" Ich habe mich sehr für die Wiedereinführung der Buchpreisbindung eingesetzt, war auch im Steuerkomitee zur Abstimmungskampagne. Wir wußten von Anfang an, daß es in der Deutschschweiz sehr schwer werden würden, die Abstimmung zu gewinnen, haben aber mit Herzblut innerhalb der gesamten Branche (bis auf wenige Ausnahmen) dafür gekämpft.
"[...] und wie haben Sie auf das Abstimmungsresultat reagiert?"Wir waren und sind natürlich sehr enttäuscht. Aber man sieht klar, daß die Romandie, die seit langem ohne Buchpreisbindung leben muß, aus diesen Erfahrungen gelernt und sich sehr deutlich für eine Wiedereinführung ausgesprochen hat. Da sind sie uns weit voraus, die Westschweizer.
"Welche Auswirkungen erwarten Sie auf regionaler und gesamtschweizerischer Ebene?"Ich glaube, daß Bücher im allgemeinen deutlich teurer werden. Viele kleine Buchhandlungen auf dem Lande werden schließen müssen, weil sie über die Preise nicht konkurrenzfähig sind. Wahrscheinlich werden auch Großverteiler vermehrt ins Bestsellergeschäft einsteigen. Wir vermuten, daß zum Beispiel Coop Pläne in der Tasche haben könnte, die erst in Zukunft, nachdem nun Rechtssicherheit herrscht, umgesetzt werden.
Für die Schweizer Verlage und Autoren wird das Geschäft ebenfalls mit Sicherheit sehr viel schwerer werden, weil eben kleine Buchhandlungen als Partner wegfallen werden und die Großbuchhandlungen sich in Zukunft mehr und mehr ausschließlich auf das Geschäft mit den Bestsellern konzentrieren werden.
Eine schöne Erfahrung der letzten Wochen war allerdings der Zusammenhalt in der Branche. Der von allen wirklich mit Leidenschaft geführte Abstimmungskampf hat uns stark zusammen geschmiedet und sorgt für einen ausgezeichneten Zusammenhalt in der Branche, wie sich auch am vergangenen Montag bei der Generalversammlung des SBVV und der anschließenden  Nacht des (Deutsch)Schweizer Buchhandels gezeigt hat.

THOMAS HEILMANN (ROTPUNKTVERLAG): Der Rotpunktverlag hat sich im Rahmen seiner Möglichkeiten für die Buchpreisbindung eingesetzt und bedauert den negativen Ausgang der Volksabstimmung. Immerhin hat die Kampagne die Diskussion um das Buch als Kulturgut belebt. Ob sich in Bezug auf die Buchförderung, wie im Abstimmungskampf versprochen, muss ich noch zeigen. Eine gewisse Skepsis ist angebracht.
Die Schweiz wird in Zukunft eine buchpreisbindungsfreie Insel in Europa sein. Vor allem die kleinen und mittleren Buchhandlungen ausserhalb der Zentren werden es in Zukunft noch schwerer haben; denn sie sind auf den Verkauf der gängigsten Titel angewiesen, weil für sie eine Spezialisierung mit einem umfassenderen Sortiment in bestimmten Themen weniger gut möglich ist, da dafür das Publikum ausserhalb der Zentren fehlt. Eine Verarmung der Buchhhandelslandschaft wird früher oder später auch auf die schweizerischen Verlage zurückschlagen, da für sie wichtige Verkaufsstellen wegfallen. Ein Grossteil der Bücher sind eben nach wie vor (und werden es bleiben) regional verankert, auch wenn es sich nicht um eigentliche Regionalia handelt. In den Grossbuchhandlungen werden die kleineren und mittleren Verlage dann noch grösserem Druck bei den Konditionen ausgesetzt sein. Sie müssen noch mehr Konzessionen machen, damit ihre Bücher neben denjenigen der Konzernverlage sichtbar bleiben.
Eigentlich sorgen die neuen Herausforderungen in der digitalen Welt sowie die Auswirkungen des grotesk hohen Frankenkurses  für genügend Spannung. Die endgültige Abschaffung der Buchpreisbindung hätte es nicht auch noch gebraucht.

 ***

L'11 marzo 2012, malgrado la mobilitazione di quasi tutto l'ambito letterario (autori, traduttori, editori, librai ecc.) e l'adesione di tutta la Svizzera francese, la maggioranza del popolo svizzero – 56,1%, con un'affluenza alle urne del 43,1% – ha votato contro la Legge federale sulla regolamentazione del prezzo del libro.  Il referendum, lanciato dai Giovani Liberali Radicali con il sostegno di Ex Libris, era stato depositato il 5 luglio 2011. Quale era la sua posizione sulla questione e quale è la sua reazione a questa votazione? Quali sono le implicazioni nella sua regione e a livello svizzero?

FABIO CASAGRANDE (EDIZIONI CASAGRANDE): Ero favorevole alla Legge per la regolamentazione del prezzo del libro e per questo ho aderito al comitato  Sì al libro,  anche se a prima vista  la legge riguardava più le librerie che non gli editori, e più la Romandia e la Svizzera tedesca che non la Svizzera italiana. Il Canton Ticino l’ha rifiutata (una piccola consolazione l’abbiamo avuta a Bellinzona, dove hanno prevalso i SÌ) allineandosi dunque con la maggioranza dei cantoni tedeschi. Si temeva forse di scalfire il principio della libertà di mercato. In ambito librario, però, difficilmente questo principio può favorire quella buona bibliodiversità  che sappia  salvaguardare le minoranze culturali e offrire nuove risposte ai problemi del presente e, perché no?, che sappia anche rendere più piacevole l’esistenza.
Le grandi sfide del settore editoriale sono comunque altrove: citiamo il cambiamento tecnologico con l’avvento delle pubblicazioni digitali (internet, e-book,…), una certa disaffezione alla lettura delle nuove generazioni, ma soprattutto oggi la crisi economica.
 La Svizzera si trova, infatti, su una pericolosa "faglia monetaria" sul confine tra Euro e Franco. L’anno scorso lo scostamento delle due "placche", ha provocato forti scosse telluriche. In Ticino le librerie, che importano dall’Italia l’80% dei libri che vendono, hanno visto crollare i margini e il valore del proprio assortimento librario; gli editori che esportano in euro,  hanno visto diminuire il valore delle vendite e aumentare il differenziale tra costi svizzeri e ricavi italiani. Per  completare il quadro si aggiunga che l’Italia è sprofondata in una pesante crisi economica  che colpisce in modo marcato i settori culturali.
La legge non avrebbe certamente risolto questi problemi, ma avrebbe permesso di meglio salvaguardare in Svizzera quel tessuto di librerie indipendenti  indispensabile alla vivacità dell’editoria.

Propos recueillis par Le Culturactif Suisse

 

Page créée le 01.05.12
Dernière mise à jour le 01.05.12

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