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Les invités du mois
Marie Caffari et Daniel Rothenbühler
Directeurs du projet d'Institut Littéraire Suisse

Version imprimable

  

Une école d'écriture littéraire

Le projet d'Institut Littéraire Suisse (ILS), autrement dit d'une école d'écriture littéraire, s'est doté en mars 2005 de deux directeurs : Marie Caffari et Daniel Rothenbühler se partageront la charge importante et difficile de mettre au monde ladite école, qui devrait être à même d'accueillir une première volée d'étudiants à la rentrée 2006.
Le projet est résolument novateur pour la Suisse, mais aussi à l'échelle internationale par sa dimension bilingue et son insertion dans les programmes d'études européens. Il soulève certes de l'enthousiasme, mais aussi un réel scepticisme dans le milieu littéraire. D'où notre désir d'aller au fond des choses dans un long entretien.
Le projet que Daniel Rothenbühler et Marie Caffari y décrivent et commentent marque un tournant dans l'enseignement de la littérature dans ce pays, et partant de la conception de cet enseignement, voire de la littérature elle-même. Nous avons donc voulu donner toute la place nécessaire à leurs propos. Il en ressort un dossier peu approprié à une lecture à l'écran, de sorte que nous en proposons non seulement une version imprimable, mais aussi un résumé.
On pourra en outre se faire une première idée du projet à travers un document de travail proposé par les nouveaux directeurs de l'ILS, également à disposition sur nos pages.

 

  Interview

 

Résumé en français

Dans l'entretien qui suit, Marie Caffari et Daniel Rothenbühler définissent le profil qu'ils souhaitent donner à l'Institut Littéraire Suisse (ILS, nom provisoire). Résolument orienté vers la création littéraire elle-même - plutôt que vers les métiers connexes comme la critique, l'édition, etc. -, il propose une perspective fondamentalement différente de celle des facultés de lettres universitaires, en accord avec son insertion dans la structure d'une école d'art (la Haute Ecole des Arts de Berne, HEAB). D'une part, il ne s'agit pas tant ici de transmettre et élaborer des savoirs que des savoir-faire. D'autre part, le défi majeur consiste à construire un enseignement ouvert sur l'avenir, sur les formes de littérature que l'on ne connaît pas encore. Un tel enseignement ne peut être normatif. Il s'agit plutôt d'accompagner, soutenir, conseiller l'étudiant, de l'aider à construire son propre chemin, en sachant adopter sa perspective.
Ce projet trouve sa place dans une vision positive du postmodernisme. Il témoigne d'une conception de " l'auteur " aux antipodes de la mytholgie du poète seul dans sa tour d'ivoire ou sa mansarde. Il s'agira pour les responsables de cet enseignement d'identifier, puis transmettre les compétences nécessaires à l'auteur non seulement dans le travail sur le texte, mais aussi autour du texte - se faire lire, critiquer, éditer, jouer….
La dimension bilingue de l'ILS est affirmée fortement , même si les formes concrètes que prendra ce bilinguisme sont encore peu dessinées. En revanche, il est acquis que la traduction littéraire y sera incluse et fera l'objet d'une filière à part entière.
Fruit d'une initiative supportée conjointement par l'HEAB, les Hautes Écoles de Zurich, l'association des Autrices et Auteurs de Suisse et le Centre de Traduction Littéraire de l'Université de Lausanne, l'ILS se présente comme un lieu d'échange productif et concret entre les perspectives différentes de ces organismes, et un lieu de recherche appliquée sur la production littéraire.

(Francesco Biamonte, d'après l'entretien ci-dessous)

auf deutsch

Eine Schule der Schreibkunst

Das Projekt des Schweizerischen Literaturinstituts (SLI), anders gesagt einer Schule der Schreibkunst, hat im März 2005 eine Doppelleitung bekommen: Marie Caffari und Daniel Rothenbühler werden sich gemeinsam an die bedeutende und schwierige Aufgabe machen, diese Schule aufzubauen. Im Herbst 2006 sollte sie bereit sein, die ersten Studierenden aufzunehmen.
Durch seine Zweisprachigkeit und seine Eingliederung in das europäische Bildungssystem stellt das Projekt stellt eine entscheidende Neuerung für die Schweiz, aber auch auf internationaler Ebene dar. Literarische Kreise bringen ihm Enthusiasmus, aber auch Skepsis entgegen. Deshalb unser Wunsch, der Sache in einem langen Gespräch auf den Grund zu gehen.
Das Projekt, das Daniel Rothenbühler und Marie Caffari darin beschreiben und kommentieren bildet einen Wendepunkt für die Literatur in der Bildung und Forschung unseres Landes und damit auch für das literarische Leben selbst. Wir wollten den beiden Projektleitern deshalb allen nötigen Raum für ihre Äusserungen geben. Daraus hat sich ein Dossier ergeben, das sich schlecht nur auf dem Bildschirm lesen lässt. Deshalb geben wir ihm neben einer Druckversion auch noch eine Zusammenfassung bei.
Eine weitere Vorstellung von dem Projekt kann sich ausserdem noch durch ein Arbeitsdokument der beiden neuen Projektleiter des SLI machen, das wir unseren Seiten auf französisch und deutsch beifügen.

Zusammenfassung

  • Im folgenden Gespräch umreissen Marie Caffari und Daniel Rothenbühler das Profil, das sie dem Schweizerischen Literaturinstitut (SLI, der Name ist provisorisch) geben möchten. Sie legen das Hauptgewicht auf das literarische Schreiben selbst und weniger auf die Berufe im Verlagswesen, in de Kritik usw., die es umgeben, und schlage so eine grundsätzlich andere Perspektive vor als diejenige der universitären Literaturwissenschaft. Dem entspricht die Eingliederung des Literaturinstituts in eine Fachhochschule, die Hochschule der Künste Bern (HKB). Zu einen geht es darum, weniger theoretisches als praktisches Wissen zu vermitteln, zum andern besteht die hauptsächliche Herausforderung darin, den Unterricht auf die Zukunft auszurichten, auf ein literarisches Schreiben, das es noch nicht gibt. Ein solcher Unterricht kann nicht normativ sein. Es geht ihm vielmehr darum die Studierenden zu begleiten, zu unterstützen, zu beraten, ihm zu helfen, seinen eigenen Weg zu bilden, seine eigene Perspektive zu entwickeln.
    · Dieses Projekt hat seinen Platz in einer positiven Sicht auf die Postmoderne. Es geht von einem Bild des "Autors" aus, das dem Mythos des einsamen Poeten im Elfenbeinturm oder in der Mansarde diametral zuwiderläuft. Es wird die Aufgabe der Lehrenden sein, Fähigkeiten zu identifizieren und zu fördern, die der Autor nicht nur in der Arbeit am Text braucht, sondern auch in der Arbeit mit dem Text - wenn er ihn öffentlich liest, veröffentlichen oder spielen lässt, der Kritik aussetzt usw.
  • Die Zweisprachigkeit des SLI wird besonders betont, auch wenn die konkreten Formen, die sie annehmen wird, sich noch nicht genauer bestimmen lassen. Ganz sicher ist aber, dass die literarische Übersetzung einbezogen wird und Gegenstand eines eigenen Studiengangs wird.
  • Das Projekt des SLI ist das Ergebnis einer gemeinsamen Initiative der HKB, der Hochschulen der Künste in Zürich, des Autorenverbandes AdS und des Centre de Traduction Littéraire der Universität Lausanne. Es bildet so einen Ort des produktiven und konkreten Austauschs zwischen den verschiedenen Perspektiven dieser Institutionen und einen Ort der angewandten Forschung zur literarischen Produktion.

(Francesco Biamonte, nach dem unten stehenden Gespräch)


Entretien

Le Culturactif : A un certain moment dans les discussions autour de l'Institut Littéraire Suisse (ILS), certains proposaient pour cette école une dénomination qui ne fasse pas directement et uniquement allusion à la littérature, mais plus largement aux " métiers de l'écrit ", voire aux " métiers du livre ". Le communiqué par lequel vous faites état de la version actuelle de votre projet parle de " métiers littéraires ", et cet adjectif revient à plusieurs reprises sur le document en question. Au-delà de la nomenclature, quel profil souhaitez-vous donner à l'ILS ?

Marie Caffari: En premier lieu, il faut rappeler que la dénomination " Institut Littéraire Suisse " est provisoire. Ensuite, que l'ILS sera intégré dans la Haute Ecole des Arts de Berne (HEAB). Nos propositions seront donc orientées vers la création, la créativité dans l'écriture - ou dans la traduction littéraire, qui comporte aussi une part de créativité. Cela dit, on accède naturellement par là à d'autres aspects parallèles de l'écriture. Lire des textes d'autres écrivants (nous distinguons ce terme de celui d'écrivain) et en débattre forme naturellement aussi à la critique.

Daniel Rothenbühler : Un point essentiel est qu'il n'y a pas une écriture, mais des écritures, une pluralité d'écritures. Au centre de cette formation, il y aura donc évidemment les écritures littéraires ou artistiques, mais un " écrivant " doit aussi tenir compte des autres formes d'écritures qui existent dans la société. Cette formation doit également préparer les étudiants à d'autres professions dans lesquelles l'écriture revêt une place centrale.
Evidemment nous envisageons une formation au travail sur le texte, mais aussi au travail avec le texte. Un auteur, aujourd'hui, n'a pas seulement besoin de savoir écrire, mais aussi de savoir défendre ses textes, de les faire lire, publier, critiquer, jouer, et donc de savoir comment tout cela se passe.

MC : L'appartenance à une école d'art implique que l'on n'est pas seulement dans le domaine des savoirs (qui sont plutôt le domaine de l'Université), mais aussi dans les savoir-faire. La situation au sein de l'HEAB ouvre de nombreuses possibilités de collaboration - par exemple avec le département de théâtre, de musique ou des arts visuels , etc.

DR : Pour élaborer le programme, nous devons voir en premier lieu quelles sont les compétences qui font partie du métier d'auteur aujourd'hui. Cet examen s'avère parfois surprenant. Ce sont des compétences plurielles, et changeantes : l'auteur aujourd'hui ne correspond plus du tout à l'image que l'on pouvait s'en faire il y a cinquante ans.

Votre document parle aussi de " recherche appliquée "… A quoi pensez-vous au juste, et en quoi cette recherche se distinguera-t-elle d'une perspective universitaire ?

DR : Il y aura évidemment des recoupements, et l'organisation des études devra trouver ses articulations et ses éventuels échanges avec les universités et les perspectives qui leur sont propres. La lecture sera naturellement une activité importante, et la perspective historique ne peut pas être négligée. Mais la perspective sera fondamentalement différente. Depuis le début du XXème siècle, les Facultés de lettres se sont spécialisées dans la lecture, et ont renoncé à examiner la production, notamment parce que la théorie ne peut saisir la production jusqu'au bout. Dans une Haute Ecole comme celle-ci, on a la grande chance de faire une recherche tentant de cerner de plus en plus près la pratique de l'écriture, et dès lors de faire des pas en avant dans ce domaine négligé -pour de bonnes raisons - par les universités.

MC : L'objet de recherche que nous souhaitons approcher n'est donc pas le texte, mais " comment le texte s'écrit ". Un pôle de cette recherche pourrait se connecter au bilinguisme, dans une direction plus expérimentale. Cet aspect expérimental est également complémentaire à ce que proposent les universités.

DR. C'est très important. L'université, dans le domaine des lettres, est toujours dans " l'après-coup ". Notre projet est d'ouvrir le champ vers l'avenir : non pas vers ce qui existe, donc, mais vers ce qui n'existe pas encore - vaste programme !

MC : On lira aussi à l'ILS, comme à l'université, mais dans la perspective de l'écriture.

DR : Un exemple : à l'université, les étudiants ont des listes de lectures obligatoires, qui font partie du canon. Nous pensons aussi qu'il faut des listes de lectures dans l'ILS, mais dans l'idée d'un portfolio personnel : ce sera la tâche de chaque étudiant d'élaborer le sien,. On ne peut pas orienter les étudiants vers un canon déterminé, puisqu'il s'agit justement aussi de déplacer ce canon et de faire des découvertes avec ce qu'amènent les étudiants eux-mêmes.

C'est un institut bilingue : est-il conçu " à la suisse " (selon le principe " chacun dans sa langue "), ou souhaitez-vous faire des tentatives plus expérimentales en faisant par exemple écrire les étudiants dans l'autre langue ?

MC : Tout n'est pas décidé !. Il est clair que la maîtrise des deux langues du canton (français et allemand) sera un prérequis pour accéder à l'ILS. A priori, on garderait l'idée d'un travail d'écriture dans la première langue de chaque étudiant, mais il faut réfléchir aux expériences possibles - voir si certains étudiants veulent essayer de travailler dans l'autre langue, réfléchir aux diverses situations de bilinguisme, très fréquentes (si l'on pense à toutes les personnes ayant une langue maternelle différente de leur langue d'éducation ; au suisse-allemand face à l'allemand ; etc). L'ILS sera un lieu pour réfléchir à ces questions.

DR : L'ouverture vers l'expérimentation est très importante. Aujourd'hui la langue bouge. On le sent bien en Suisse, on ne peut plus définir les communautés linguistiques comme autrefois, et la littérature doit aussi en tenir compte. Au cours des deux derniers siècles, on a beaucoup rattaché la langue à la question de l'identité et de l'appartenance, et ce lien a joué un rôle prépondérant pour la littérature et pour le concept même d'auteur. Cet aspect de la langue est en train de se déplacer, d'évoluer vers quelque chose qu'on ne connaît pas encore, et la littérature doit en tenir compte. Du point de vue de l'ILS, ce sont des ouvertures, des possibilités, pas des exigences.

L'enjeu majeur si l'on résume, et c'est un vrai défi, c'est d'inventer quelque chose de pertinent tout en restant ouvert sur ce qui n'existe pas encore…

DR : … et sans aboutir dans le " n'importe quoi ". Cela a à voir avec le débat sur le post-modernisme. Certains l'identifient au " n'importe quoi ", puisque " tout est possible ". Mais je l'orienterais plutôt vers une pluralité nouvelle, une multitude de recoupements potentiels dont il faut tenir compte. Pour ce qui est de l'écriture : autrefois, Roland Barthes pouvait encore distinguer clairement des écritures de différentes époques, et le " degré zéro " de l'écriture. Aujourd'hui, on est passé plus loin. On a dépassé sa vision - qui était aussi politique - de la possibilité d' une nouvelle écriture dans une nouvelle société. On ne l'a pas dépassée par une nouvelle société (malheureusement), mais par une résignation à une pluralité d'écritures reprises du passé. Un écrivain aujourd'hui doit faire face à une multitude de possibilités et faire ses choix. Notre devoir sera de faire connaître ces possibilités.

Du côté de la traduction : il existe des théories, des écoles. Aurez-vous une orientation définie?

DR : Il existe de nombreuses théories de la traduction, mais aucune n'est convaincante seule. Là encore, il s'agira de débattre, de délibérer. Il est impossible de dire dans l'absolu ce qui fait une bonne traduction, comme il est impossible de dire ce qui fait un bon texte. On devra regarder des cas concrets, voir en quoi une traduction est convaincante ou non. Comme pour le reste de l'enseignement de l'ILS, il ne pourra être normatif, mais devra être délibératif.

Justement, votre document parle de cet enseignement " délibératif ". Pouvez-vous nous commenter ce terme ?

MC : Quand on parle d'un tel projet, il provoque souvent une réaction de peur : peur de la bride, de la rigidité, de la norme, du standard, de l'autorité " scolaire ". L'idée que nous défendons est celle d'un dialogue dans lequel la part du travail personnel sera importante. Les propositions des étudiants sont accueillies dans un cadre qui les soutient, ouvre leur palette: à travers des propositions techniques ou des contacts… L'évaluation se ferait, dans un tel système, sur la base de la cohérence du projet, et non de normes.
En Romandie, on est très marqué par l'enseignement frontal ; j'ai vu à l'étranger que les groupes de travail, les ateliers, peuvent être des lieux de discussion où " l'enseignant " doit savoir adopter la perspective de l'étudiant. Les pays anglo-saxons sont beaucoup plus habitués à ce type d'enseignement que la France, par exemple. A Londres, les étudiants interviennent même dans les cours ex cathedra, posant directement au professeur des questions qu'ici, l'on n'oserait guère poser qu'à mi-voix à son voisin, et encore… L'enseignement ango-saxon est aussi marqué par des groupes plus petits et un travail plus axé sur le coaching individuel. Dans le cas qui nous intéresse, il faut s'imaginer une structure accueillant un tout petit nombre de personnes.

Comment structurer un tel enseignement ?

DR : Nous envisageons à ce stade d'aller jusqu'à 70% de travail individuel. C'est énorme, mais on ne peut pas faire autrement que de lui donner une place prépondérante. Pour les enseignants, il faudra choisir non pas simplement des lettrés, mais vraiment des auteurs, et assurer là aussi une pluralité, un roulement. Il faudra faire attention à ce que les auteurs ne soient pas là pour former des disciples. Je vous propose une comparaison hasardeuse : le Vatican veut établir un Master d'exorcisme. Pourquoi ? Pour discipliner les exorcistes. Sarkozy propose une formation universitaire des imams en France. C'est bien sûr pour discipliner les imams. Une formation subventionnée par l'Etat réveille naturellement cette crainte : s'agit-il de discipliner les auteurs ? Or notre projet vise à ne pas formater les étudiants, mais à libérer leurs potentiels individuels. Notre ambition n'est pas que l'on reconnaisse les écrivains formés chez nous à leur manière d'écrire, mais bien que l'on se dise : " Tiens, en voilà un qui propose quelque chose de tout-à-fait inattendu ! (Et il se trouve qu'il a passé par l'ILS) "…

Dans le monde de l'art, le système est tel que quiconque sort d'une école reconnue est "labelisé" artiste, et peut dès lors obtenir d'être exposé bien plus facilement, indépendamment de la qualité de son travail. Ce risque de labélisation vous préoccupe-t-il ?

MC : On peut ici se rassurer sur l'exemple des expériences qui ont été faites en Grande-Bretagne, en Allemagne ou aux Etats-Unis, où de tels instituts existent depuis 25 ans, et où des auteurs continuent à émerger indépendamment de ces écoles.

DR : Il faut se rappeler que l'ILS n'est pas la voie pour devenir auteur. Il permet de faire autre chose: aujourd'hui, un auteur dispose de fait d'un ensemble de compétences qui ne sont pas reconnues. Avec l'ILS, on a la possibilité d'arriver à une certification de compétences. Ce qui contribue donc aussi à faire reconnaître le métier d'auteur en tant que tel.

Qu'en est-il des "débouchés" ? Pouvez-vous apporter quelque chose ?

MC : C'est une question très complexe. Mais on peut imaginer des formules comme des masterclass avec des éditeurs par exemple, autour de questions très pratiques. L'ILS ne peut rien promettre, bien évidemment. Mais on peut augmenter les chances, notamment en faisant accéder les étudiants à un réseau.

Vous proposerez une structure avec Bachelor (BA) et Master (MA). Pouvez-vous nos expliquer la différence entre ces filières ?

DR : C'est en discussion. Vraisemblablement, la filière normale sera le MA, avec la possibilité de s'arrêter en cours de route avec un BA - par exemple pour évoluer vers un autre MA, dans un domaine connexe (le management culturel par exemple). Le BA serait plus général, avec la création de textes plus petits dans des genres divers, le MA serait plus spécialisé, et ouvrirait un plus grand chantier.

Quels seront les conditions d'admission dans l'école ?

DR : La marge de manœuvre est relative, puisque il faut se conformer aux exigences de la HES. Il faudra présenter une maturité ou une maturité professionnelle. Mais nous voudrions réussir à défendre une possibilité d'accès pour des personnes ayant des compétences concrètes dans le domaine, indépendamment de leurs certificats. Nous imaginons actuellement une présélection sur dossier, puis des entretiens. Il s'agit non seulement d'évaluer le potentiel des textes présentés par les candidats, mais aussi une attitude ouverte : il faudra témoigner d'un désir de confrontation et de dialogue. On ne pourra pas ici être un auteur solitaire enfermé dans sa chambre, puisque le programme s'adressera par essence aux gens désireux de contacts et de discussions.

En période de restrictions budgétaires, concentration, rationalisations et autres disparitions de chaires, la création de l'ILS acquiert une singularité frappante. Les critiques, notamment politiques, ne manqueront pas de surgir, mais le poids symbolique de cette naissance n'en est que plus grand. L'écrit et l'écriture créative seraient-ils en train de reprendre de la vitesse, après avoir pedu au cours du XXè siècle leur statut privilégié face à d'autres médias ?

DR : La " belle écriture " a été colonisée au XXè siècle par d'autres types d'écriture : par l'écriture scientifique par exemple, qui a même colonisé le monde des lettres : on savait autrefois qu'un professeur de lettres avait une belle plume ; ce n'est plus le cas. Un écrivain ne peut plus envoyer un texte à un journal et espérer qu'il sera publié tel quel : il y a des normes rédactionnelles auxquelles il faudra s'adapter. Le marketing aussi colonise l'écriture. Quant à moi, je rêve d'une reconquête du terrain par une écriture qui soit riche et porteuse de sens en tant que telle. La " culture générale ", à laquelle appartenait le fait de savoir bien écrire, n'existe plus : elle est remplacée par une culture fonctionnelle, répondant aux besoins de secteurs précis. L'écriture doit donc aussi défendre son terrain, se spécialiser, défendre son emploi, son lieu de formation… Dans la sectorisation des savoirs, il faut redonner une place à l'écriture.

MC : En apparence, en effet, la conjoncture peut paraître difficile ; mais en fait, nous vivons un moment d'ébullition, très dynamique, avec la refonte des HES, les accords de Bologne pour les universités, etc. De grandes réflexions et des débats sont en cours sur l'enseignement. Nous l'avons très bien senti en discutant avec les responsables d'autres filières de l'HEAB : en dépit du contexte économique, le moment est propice pour tenter des choses nouvelles.

L'ILS sera unique en Suisse : aura-t-il une vocation nationale, incluant l'italien, voire le romanche, au-delà de sa structure bilingue ? Comptez-vous privilégier des enseignants suisses (plutôt que des écrivains français ou allemands par exemple) ?

DR : L'ILS n'est pas une institution fédérale. Elle n'a pas le devoir de répondre aux exigences des autres régions linguistiques (pour justifiées que soient ces exigences). Le financement est donc avant tout cantonal, mais l'adhésion d'élèves d'autres cantons entraînera une péréquation financière. Si les cantons des Grisons et du Tessin se trouvent bien représentés parmi les étudiants, ils apporteront dès lors aussi des finances, et on pourra peut-être envisager d'intégrer leur langue. Mais il est important de souligner que c'est un institut suisse, et non pas " national "

Dans quelle mesure l'ILS pourra-t-il s'inspirer des instituts analogues existant dans d'autres pays ? Quelle seront ses singularités ?

MC : La Suisse est un pays singulier, notamment sur la question des langues, l'ILS sera donc singulier. Cela dit, les écoles de ce type se mettent actuellement en réseau, avec des conférences (la dernière a eu lieu en mars 2005 à Leipzig, il y en aura d'autres en 2007 et 2009). (A propos de l'école de Leipzig et de la conférence internationale : http://www.deutschesliteraturinstitut.de/ Ces écoles se posent des questions que nous nous posons aussi : comment adapter les études aux " formats " BA et MA, par exemple. Il y aura sans doute des discussions intéressantes entre ces instituts. La Suède dispose aussi d'un tel institut assez récent, dans lequel des questions similaires se sont posées. Notre projet intéresse ces autres instituts en dépit de sa petite taille en ce qu'il est neuf et peut démarrer à partir des données actuelles du monde de l'enseignement : d'autant que la Suisse a été très rapide dans la mise en oeuvre des accords de Bologne, l'ILS sera donc suivi avec beaucoup d'attention, notamment par la France et l'Allemagne.

DR : Notre projet est celui d'un institut certes suisse, mais à vocation internationale. Les enseignants seront donc sans doute aussi étrangers. D'ailleurs, les écrivains de ce pays ne se considèrent pas avant tout comme des " écrivains suisses ", mais comme des " écrivains (suisses) de langue allemande " ou " de langue française "… Mais il y aura sans doute des discussions, puisque pas mal de gens voudront probablement enseigner dans cet Institut ; des arguments pragmatiques interviendront certainement.
Sur la question de la singularité d'un institut bilingue : il existe deux autres instituts bilingues, notamment un en Israël (hébreu et arabe), avec la signification politique que cela peut représenter.

L'ILS émane en bonne partie d'initiatives des Autrices et Auteurs de Suisse (AdS) : donc une association professionnelle, indépendante de l'Etat et du Canton de Berne. Comment se négociera la particpation de l'AdS à l'ILS ?

MC : De nombreux enseignants de l'ILS seront certainement des adhérents de l'AdS. La Haute Ecole représente la structure, le cadre avec son potentiel interdisciplinaire. L'institut, ce sera le carrefour. Mais il faudra en parler à la prochaine réunion de l'AdS.

DR : Dès le début, l'ILS a d'ailleurs été conçu comme étant à l'intersection entre plusieurs structures (l'HEAB, la Haute Ecole de Zurich, l'AdS, le Centre de Traduction Littéraire de l'Université de Lausanne). Il y aura bien sûr des tensions, il y en a déjà eu, mais elles ont été extrêmement productives. Tous les participants, tout en défendant leur vision, ont cette ouverture et cette curiosité.

MC : Notre co-nomination est un signe évident de cette ouverture. Le groupe de pilotage est lui-même composé de personnes dont l'activité se situe à l'intersection de plusieurs domaines.

 

  Liens

 

Site de l'HEAB pour des informations générales concernant la Haute école des arts : http://www.hkb.bfh.ch/home.html

Lien vers la page concernant le projet d'institut littéraire sur le site de la HEAB : http://www.hkb.bfh.ch/literaturinstitut.html

 

  Notices biographiques

 

Marie Caffari, née en 1968, a grandi à Lausanne, puis étudié la littérature française, allemande et russe aux universités de Saint Petersbourg, Cologne et Lausanne. Elle a obtenu son doctorat en 2003 à l'Université de Londres et a présenté une étude sur la littérature contemporaine française en interaction avec des images d'artistes visuels. Marie Caffari affiche une multitude d'expériences dans le secteur de l'écriture de création, acquise dans plusieurs pays.

 

Daniel Rothenbühler, né en 1951, a passé sa jeunesse à Frutigen et Bienne et a suivi, aux universités de Heidelberg et de Berne, des études germanistiques et de langues romanes. Il a été assistant principal en littérature moderne allemande à l'université de Berne et a s'est distingué par une dissertation sur Gottfried Keller. Il a acquis ses connaissances très étendues en littérature suisse entre autres dans le cadre de son poste de critique littéraire au Zürcher Tages-Anzeiger, en qualité de président de la commission littéraire de la ville de Berne et de la commission des programmes des journées littéraires de Soleure, en tant que co-fondateur et rédacteur de la revue annuelle Feuxcroisés et en qualité de coordinateur du projet "ch Reihe an den Schulen". Rothenbühler est, depuis 1990, professeur au lycée Köniz près de Berne, où il enseigne l'allemand et le français.

 

Page créée le 14.04.05
Dernière mise à jour le 15.04.05

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