| Charognard J'ai croisé un ami sur le trottoir 
                    d'en faceAujourd'hui c'était comme si chaque pas lui coûtait,
 S'enfonçait dans le bitume et y laissait une trace.
 Sur ses épaules voûtées, il semblait qu'il 
                    portait
 Enfermé dans une sphère - sa tête placide 
                    et ronde
 Bardée de neuroleptiques, qu'il ne gouvernait plus 
                    -
 Toute la douleur du monde, toute la misère du monde.
 J'ai capté son sillage et je m'en suis repu.
 J'ai suivi une gamine tout à l'heure 
                    dans la rue.Il flottait derrière elle, légèrement 
                    écoeurant
 Le parfum étonnant de ses premières menstrues,
 Une fleur épanouie qu'aucun déodorant
 Aussi puissant qu'il soit, peu importe sa fragrance,
 Ne parvient à chasser. Toute seule, elle sourit,
 Elle avance flattée, elle sait son importance.
 J'ai humé son odeur et je m'en suis nourri.
 Un jour j'ai remarqué un vieux 
                    croquemitainePieds nus, en pantalons et débardeur douteux.
 Au goulot d'un machin, plus sculpture que fontaine,
 Il faisait ses ablutions. Ses gestes souffreteux,
 De moineau déplumé provoquaient une attente
 Étonnée et frileuse de gens désemparés
 Et mon observation, voyeuse et insistante.
 Cet instant d'existence, je m'en suis emparé.
 Je suis tombé sur une femme qui 
                    sortait d'une aubergeDans la lumière d'hiver d'un tout premier soleil.
 Pour elle c'est son travail, cette nuit dont elle émerge,
 Étonnamment fardée et chargée de sommeil.
 Abandonnant sur l'heure, endormi dans une piaule,
 Un client bedonnant, elle cherche à oublier
 Comme il l'a maltraitée en espérant qu'elle 
                    miaule.
 J'ai fais miens ces souvenirs, j'en suis émoustillé.
 J'ai vu un petit jeune. Perdu dans ses 
                    histoires,Divaguant vers la gare il allait zigzaguant
 Comme un corniaud errant qui marque son territoire.
 Ce gars monté en graine, tout juste adolescent,
 Les membres toujours mous, les gestes encore concaves,
 Les baskets en dedans, fébrilement des doigts
 Se pianotait un rap entendu lors d'une rave.
 Son aura débordait, je l'ai prise avec moi.
 Je rencontre chaque jour dans la 
                    périphérieD'une nuit qui s'effiloche un enfant frissonnant
 Accroché à sa mère. Devant la garderie
 Nous traversons ensemble. Fermés, papillonnants,
 Ses yeux prolongent encore, sous leurs paupières closes,
 Les images en cours d'un rêve inexploré.
 Il y a bien trop de vie dans cette toute petite chose.
 Ce mioche que je côtoie, il va me dévorer.
 
 Olivier Sillig
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 Page créée le 24.06.03Dernière mise à jour le 14.01.04
  
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