Francine Clavien

Née en 1967 à Miège (VS), Francine Clavien a suivi des études de lettres à Genève et Lausanne, où elle réside aujourd'hui. Elle travaille dans la formation pédagogique.
«La question ‘qu'est-ce qu'on attend de moi?' sous-tend mon écriture, pas seulement à travers le souci d'un lecteur, mais aussi, d'une manière plus existentielle, à travers la parole qui naît de cette ‘intranquillité', de la déambulation de celui qui questionne, dit-elle. Ma poésie exprime la nostalgie d'une politique réellement faite pour l'homme, et voudrait la précéder.»
En 2001, elle publie "Terre arraisonnée" au sein du coffret «Achevé d'imprimer», aux côtés des recueils de Beat Christen, Jacques Moulin, Jean Portante et Fabio Pusterla. "Eté visionnaire" explore le thème du remord; "C'est bien ici que je vis" est rythmé par une série de maisons, lieux métaphoriques d'attitudes existentielles, où Francine Clavien lie le rêve aux éléments du quotidien pour tenter d'expliciter poétiquement la posture de l'écrivain: «habiter sans habitude».
L'inédit que nous publions ici fait partie d'un projet associant aux poèmes des photographies de l'artiste berlinois Oliver Creutz.

 

Berlin en vie

Un son venu du ciel

imite la ville dans son abondance

et le tambour des machines à laver

Femmes et hommes rentrent chez eux,

se disputent encore mouillés

Sous leurs pieds, des souris

traversent le sol, luisantes comme la lune.

 

 

A ce moment dans le musée,

la femme prend l'aspect

de deux miroirs de poche,

un pour chaque profil,

d'une coupe de sang vieilli

et de deux larmes dorées.

 

Ainsi, dit-on, Berlin est née.

 

 

Berlin dirige tout de sa souffrance,

même les rencontres au cimetière

Tout ce qui est hors des allées

est encore une allée vers la mort.

 

 

Nous menons une vie de voyou:

une paresse d'âme sur un chemin vif

d'écoliers, à voler le houx

vert aux portes, avant la baston,

les mains encrées du goudron

des cours d'écoles.

 

 

Au moindre faux pas Berlin déchoit

si elle n'a pu répondre

aux modernes attentes

Ses terrains vagueront:

places de bâtards, ivrognes

et camions en free bars

devront déménager

Ils ne savent où aller.

 

A la moindre frayeur, la ville

reprendra ses pêcheurs,

pour un étang à l'eau d'huile.

 

 

Tout recule et avance

Dans les cratères

les chiens au collier maso

s'envoient en l'air

Les maîtres crient

Ta main prend la mienne,

entre le Berliner Ensemble et ce zoo.

 

 

Il y a quelque chose de vivant sous elle,

sous ses bras

Se tord la peau de rivière

qui pousse encore près de l'île

et ne tient qu'aux poutrelles

des anciennes bâtisses.

 

 

Au creux d'un bruit

qui ruisselle, nous perdons

la chair de nos pensées.

 

Sans-le-sou,

les passions suivent les routes blanchies

par l'eau des rives, le bazar autour:

habits pour les veuves,

ce qui est tracé à la craie

Des vieilles, une prune écrasée

dans leur main tiède.

 

Tu me vois à égalité dans l'écume,

nos silhouettes sur la rivière.

 

 

Berlin a le noir craquelant de ses artères,

le ventre se relâche comme un sol de poussière.

 

Elle ne sait comment on trouve la force,

après chaque mort, de revenir.

 

 

Je suis à tes côtés,

les étoiles sont un bonheur

pudique: pas besoin de baisser mes yeux,

ni de faire état d'une science

que je possède moins que le premier homme.

 

- J'aurais préféré te trouver

avant la vie de la mort

J'échangerai Poème pour Roman.

 

 

Un jour, la route sera barrée par l'enfance,

nos vies en boomerang et nos premiers parents

inapprochables, effrayants,

comme dans la langue des morts.

 

Mais pour franchir le fossé, il faut savoir attendre…

 

 

L'amour, alors tout entier dans les premiers mots,

est à la fin, plus ou moins rien,

d'une clarté trop visible qui meurt sans vérité.

 

Francine Clavien
Poème inédit, 2008