Anne Bregani

Née le 31 octobre 1951 à Berne, Anne Bregani vit actuellement à Lausanne où elle enseigne. Licenciée ès sciences politiques, elle a également suivi une formation à l'Ecole cantonale des beaux-arts et reçoit dans ses classes d'accueil des jeunes de tous les continents. C'est peut-être ce qui lui inspire les poèmes Le Territoire de l'oiseau et Chronique du Nord-Est , véritables explorations du thème des frontières, des migrations, des ruptures, des départs et des retrouvailles.
Les deux poèmes publiés ici font partie du recueil Le Temps de l'Arc , qui sort à la fin du mois aux éditions genevoises Samizdat. «Un mystérieux vivant surgit au centre du sixième recueil d'Anne Bregani, écrit son éditrice Denise Mützenberg. Tantôt guerrier, tantôt danseur, jeune prince bondissant ou chanteur à la lyre. Est-ce l'Achille des anciens mythes? Mais il parle aussi au féminin.» Cette voix plurielle est aussi universelle: c'est de nous qu'elle parle. Une fois encore, «Anne Bregani met le feu à la parole ». APD

 

Poèmes

Libre danseur

Courbe, courbe
dans le vent
ô levée du sel

à l’orée de l’étendue
si tu vas
tu demanderas l’aube

tu quitteras
les fleurons de l’inquiétude

libre danseur
dans l’espace de ta liberté
tu recevras
chaque son

ce qui te traverse
n’est pas toi
pourtant
seras-tu assez grand
toutes paumes ouvertes
au jour brasillant

long dos
fier de chaque vertèbre
d’entre elles
part
le soleil des nerfs

ne laisse pas
la tristesse du monde
t’irradier
tu es venu
pour la joie.

***


Accueil

Terre d’accueil
des morts
les cendres sont retournées
à la source du feu

te voilà
redevenue prairie
tes longues herbes dansent
dans le vent

ton âme
devant l’immensité
aspire au Levant

 

L’or de la nuit
au soleil enlacé
descend et monte
par ton souffle
tu touches le temps
espace
d’éternité

tu déploies
tes ailes pulmonaires
tour à tour étroites
et vastes

la colonne sonore
de ton torse
vibre dans ta gorge
ô Danseur tu es –
puisatier de ton cœur
jusqu’en tes entrailles
tu cherches vie

 

L’ombre des cris
tempête de traits
te transperce
te pousse
te harcèle

 

ô verbe impétueux ! lumière !
tu mets
le feu à la parole !

 

Et toi
rien qui ne t’appartienne
sinon cet instant
où tu recueilles
l’onde des mots

flux traversant
qui t’emporte jusqu’au passage redouté
gorge encaissée
entre tes épaules
tournoi du prisonnier
contre sa liberté

tu ne sais
si tu es fragile
ou forte
vivante
ou morte
tu vas tu vas
tremblant nautonier
sur la barque tirée au sort
pour cette vie à toi donnée

le vertige te saisit
quand tu comprends soudain
que l’océan est aussi le port.

***


Toucher terre

Au pays brûlant de
la langue absente

que diras-tu ?
te tairas-tu ?
ou t’inclinant jusqu’au sol
tu toucheras à nouveau terre
tu inventeras un mot
un premier mot

peu importe ce qu’il sera
pourvu qu’il soit
présence

de lui naîtra
la beauté du poème
et le monde
redeviendra vivant

 

Que dis-je
tu l’inventeras !

il viendra jusqu’à toi
dans l’éclosion merveilleuse
de tous les possibles
qu’il contient.

Anne Bregani