Lette ouverte à ceux qui croient encore en l'école

Dire que l’école traverse une crise est un euphémisme : elle est malade de ses réformes. Les tenants de la nouvelle économie se sont alliés aux cerbères de la sous-culture pour condamner les enfants à la réforme perpétuelle. Tout change tout le temps, donc l’école doit bouger, nous dit-on. Elle a ainsi perdu ses repères et a déboussolé aussi bien les élèves que leurs parents ; de leur côté, les professeurs n’en peuvent plus.

Cette lettre ouverte partage :

Ce qui soulage a remplacé ce qui sauve : la culture sauvait, le multimédia soulage. L'école sauvait, le divertissement soulage. La lecture sauvait, le jeu vidéo soulage. La religion révélée sauvait, le New Age soulage. La responsabilité sauvait, l’inconscience soulage.

Cette lettre ouverte en appelle à un nouvel humanisme qui pourrait sauver l’école.


Extrait de : Lettre ouverte à ceux qui croient encore en l'école

Chers vous,

Vous le savez, l’école traverse une crise inédite. Ce n’est partout que réformes, restructurations, changements radicaux, introduction de cycles de formation, réécriture des programmes, redéfinition des objectifs, suppression des notes, hétérogénéité, adaptations incessantes en tous sens, qui ont fini par déstabiliser un système scolaire qui, il n’y a pas si longtemps encore, se révélait un des meilleurs qu’on puisse espérer. Chacun y va de sa petite retouche personnelle ou de sa réforme complète pour être “ romando-compatible ”, peut-être même “ euro-compatible ”. Tout change, tout évolue : on s’accorde en ceci au principe de supériorité du nouveau venu, et les professeurs, les élèves, les parents même sont mécontents parce qu’il s’agit non pas d’une amélioration mais d’une véritable spoliation. En effet, personne ne s’y reconnaît, et il faut être un mutant pour comprendre les arcanes aussi bien de la nomenclature moderne que la complexité des filières, des options et des incompatibilités proposées aux élèves. Le monde est complexe, vous rétorque-t-on, pourquoi voudriez-vous que l’école n’épouse pas les mêmes chemins tordus ? Il vous a suffi de participer une seule fois dans votre vie à une de ces fameuses séances d’information et vous avez jaugé l’ampleur du problème. Vous êtes instantanément placé au cœur d’un labyrinthe mais c’est un labyrinthe où on ne se retrouve jamais parce qu’à chaque tournant que vous prenez, les murs changent de position. C’est un système mouvant, sans repères, qui se modifie à mesure que vous le comprenez. En fait personne ne peut maîtriser l’ensemble du système. Mais cette complexité est en fait indicatrice de la vacuité du contenu. Aussi n’avez-vous qu’une vague idée de la solitude des élèves, des professeurs et des parents, placés continuellement dans la tourmente de la réformite qui s’est emparée de notre école.

Et dire qu’ici ou là nous croisons encore des agités de tous poils qui proposent de “ faire bouger l’école ” alors que nous souhaiterions nous arrêter un moment, juste un instant, une minute, pour faire le point ! Pour reprendre notre souffle avant de nous recentrer sur l’essentiel.

Aussi longtemps qu’on pouvait croire au progrès, c’est-à-dire penser que ce qui arrivera demain est supérieur à ce qui se passe aujourd’hui, que le successeur est meilleur par définition, l’école pouvait affirmer qu’en changeant elle irait vers un mieux. Il n’en est rien.

Cette courte lettre que je vous adresse, chers vous, est le fruit d’une profonde inquiétude. Elle se veut un apport à la fois vif et parcellaire à une réflexion sur l’avenir de notre école, sur le rôle d’une institution publique aujourd’hui en perte de crédibilité, minée de l’intérieur par des idéologies puissantes et destructrices, et menacée par un mouvement extérieur toujours plus légitime qui milite en faveur d’une réelle alternative : le bon scolaire proposé aux contribuables pour leur assurer un nouveau droit, celui de choisir librement pour leur enfant l’école qui leur convient.

Lette ouverte à ceux qui croient encore en l'école, L'Age d'Homme, Lausanne, 2001

 

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