Entretien avec Jean-Michel Olivier

Son dernier roman, Nuit blanche, paru en l’an 2001, parsemé d’ironie et de réflexions existentielles, trace un tableau du XXIe siècle genevois à travers dix noctambules d’une nuit blanche pas comme les autres, puisqu’au seuil du millénaire. La présence du désir court dans toutes les lignes de ce roman. La place accordée à l’image (photographie et Internet) et à la musique (le pianiste et Anne, la fan de techno) berce le lecteur d’une rive à l’autre.

- Comment vous est venue l’idée d’écrire un roman sur des personnages qui se croisent et ne se rencontrent pas, malgré leurs liens humains ?

- J'ai multiplié entre eux les signes de connivence, les liens secrets, les points communs (il y a un père et sa fille, le petit ami de cette fille et son ex à lui, une mère et son fils musicien, etc.). J'ai travaillé sur l'idée de couple au sens large. Et, d'un autre côté, ces personnages qui auraient tant à partager ne se voient pas, ne se reconnaissent pas. C'est une allégorie du siècle : plus il y a de moyens de communication, moins l'on se parle, moins l'on s'entend. C'est pourquoi, sans doute, le lien social n'a jamais été aussi fragile qu'aujourd'hui.

- Nuit blanche évoque un désir humain quasi omniprésent à travers les thèmes tabous de la sexualité et de la transexualité, tout en traitant l’agonie humaine. Pourquoi avoir choisi cette ambiance décadente?

- Toutes les fins de siècle se ressemblent ! On imagine toujours que quelque chose se termine, et qu'autre chose commence. Mais personne, bien sûr, ne sait quoi d'où l'importance de l'agonie, comme vous l'avez remarqué, qui est une mort douce, une fin qui ne vient pas. On dirait que les fins de siècle concentrent toute la fatigue humaine, toutes les déceptions, toutes les désillusions d'une époque. J'ai voulu parler de ça et en même temps imaginer une autre voie, qui ne serait pas celle de la guérison ou du salut spirituel, mais d'une sorte d'apaisement.

- Les sombres aspects du sida, de la toxicomanie, de la violence citadine sont incarnés par quelques personnages contrastés par d’autres figures aimant la musique, la danse et l’image. Est-ce dû au lien sous-jacent de la marginalité entre ces personnages fictifs?

- J'aime les personnages singuliers. Qui ne sont prisonniers d'aucune structure, ou qui essaient de s'en libérer, parce qu'ils s'y sentent mal. J'aime aussi les contrastes entre des personnages plutôt conventionnels (comme Géraldine, la mère du pianiste, qui fait très beaux quartiers genevois) et, par exemple, Joker, le skinhead, ou Ellie, la transexuelle. Affectivement, quel que soit leur milieu social, ils se retrouvent tous dans une même marginalité. Parce qu'aujourd'hui, comme le dirait mon ami Frochaux, l'homme se définit d'abord par sa solitude.

- La Nuit de la ville de Genève est un décor de théâtre pour vos dix protagonistes ou plutôt un protagoniste en soi ?

- Cette nuit-là (celle du 31 décembre 1999 au 1er janvier 2000) était proprement théâtrale, puisqu'il y avait des spectacles aux quatre coins de la ville, symbolisés par un élément (eau, terre, feu, air). Et le spectacle était partout, sur les scènes et dans la rue. C'était un foisonnement de musiques et de rythmes, de masques, de lumières, d'embrassades. Toute la ville était rassemblée pour un soir au même endroit, comme une immense Landsgemeinde ! J'ajouterai que Genève joue un rôle essentiel dans mes livres, non seulement comme cadre (j'aime que les livres se passent quelque part), mais comme un personnage à part entière avec son histoire et ses figures mythiques (Calvin, Rousseau, Haldas, Michel Simon, Albert Cohen, etc.), son ambiance, ses lieux secrets et magiques : la pointe de la Jonction, par exemple, où le Rhône et l'Arve se marient…

- Comment s’agencent les séquences des dix personnages entre elles ?

- La règle fondamentale, c'est la stricte alternance des voix masculine/féminine. Le roman s'ouvre sur un duo (comme à l'opéra) qui se fissure bien vite, puis c'est Cora qui parle, puis l'ethnologue (un homme), puis Ellie (une femme), puis le Fou de l'Internet (un homme), etc. C'est par cette alternance, cette double voix, que le roman progresse.

Jean-Michel Olivier, Nuit blanche, roman, L'Age d'Homme, 2001.

Elena Vico
Scènes-Magazine N°150

 

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