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 Notice biographique 
        - Bibliographie - Témoignages 
        - Extrait de : Coeur de neige - Extrait de : Chemins 
        d'écume - Article : "Promenade avec Einstein"
 
 
         
          | Notice 
            biographique |   
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                | 
 
                     
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                            | Michel 
                                Goeldlin naît le 3 août 1934 
                                avec la double nationalité suisse et américaine. 
                                Il écrit en français et a créé 
                                dix romans et trois non-fiction à ce jour, 
                                totalisant 48 éditions, coéditions, 
                                adaptations et traductions en anglais, russe, 
                                allemand, italien, suédois et prochainement catalan. Il a aussi écrit pour 
                                sa femme Yucki, photographe, les textes d'un album 
                                et de 42 expositions individuelles présentées 
                                à Monaco, en France, au Canada, en Suisse 
                                et en Russie. Un essai a été publié 
                                au Canada sur son uvre. Michel Goeldlin est membre de:  
                                Comité d'Honneur de l'Association pour le Rayonnement des Langues Européennes ARLE, Paris Association des Ecrivains de Langue Française ADELF, Paris  Michel et Yucki Goeldlin sont Chevaliers de l'Ordre des Grimaldi et de l'Ordre des Arts et des Lettres. |  |  pour communiquer avec l'auteur: goeldlin@libello.com   |  |   
          | Bibliographie |   
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                | 
 
                     
                      | Les Sentiers 
                        obliques, roman, 1° éd Éditions 
                        Bertil Galland,Vevey, 1972 2° éd Éditions Bertil Galland Vevey, 
                        1972
 catalan : Edicions La Campana, Barcelone, à 
                        paraître
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                      |  |   
                      | Le vent meurt 
                        à midi, roman, Éditions Bertil Galland, 
                        Vevey, 1976 allemand coédition:
 Benziger, Cologne, 1977
 ExLibris collection CH, CH Zurich, 1977
 russe Éditions Kstatie, Moscou, 1977
 collection l'Aire Bleue, Éd. de l'Aire, Vevey, 
                        1998
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                      |  |   
                      | Juliette Crucifiée 
                        roman, Éditions Bertil Galland, Vevey, 1977 théâtre radiophonique : diffusion RadioSuisse 
                        romande, Lausanne 1979
 allemand : Rainer Wunderlich Verlag, Tubingue, 1981
 Éditions de L'Aire, Vevey 1984
 italien : SEI, Società Editrice Internazionale, 
                        Turin 1986
 théâtre radiophonique : diffusion Radio-Canada 
                        : Montréal, 1986
 coédition:
 Éditions Boréal, Montréal, 1987
 Éditions de L'Aire, Vevey, 1987
 anglais : Ragweed Press Vevey, Charlottetown, 1987
 France Loisirs, Paris, 2007
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                      |  |   
                      | A L'Ouest du 
                        Lake Placid, roman, Éditions Bertil Galland, 
                        Vevey, 1979 Éditions de L'Aire, Vevey, 1987
 |   
                      |  |   
                      | Les Désemparés, 
                        roman, Éditions de L'Aire, Vevey, 1983 France Loisirs, Lausanne-Crissier, 1984
 allemand : Schweizer Verlagshaus, Zuric, 1984
 allemand : au catalogue du Club Neue Schweizer Bibliothek, 
                        Zurich, 1986
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                      |  |   
                      | Les Moissons du désert, roman, frontispice 
                          de Hans Erni, Éditions de L'Aire, Vevey, 1984Alban Éditions, Versailles, 2004
 suédois : Elisabeth Grate Bokförlag, Stockholm, 
                          2007
 Textes pour:
 Sahara, exposition de Yucki Goeldlin, Espace 
                          Voyageurs du Monde, Nice 2005
 Expositions de Yucki 
                          Goeldlin avec textes:
 Espace Voyageurs du Monde, Nice 2005
 Musée de la Méditerranée, Stockholm, 
                          2007
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                      |  |   
                      | Textes 
                        pour: 60 Photographies romanesques de Yucki Goeldlin 
                        album, Éditions de l'Aire, préface de Bertil 
                        Galland, Vevey, 1985
 expositions:
 Musée suisse de l'Appareil Photographique, Vevey, 
                        1985
 Centre culturel suisse, Paris, 1986
 Université Mac Gill, Montréal, 1986
 Galerie George, Charlottetown Nouvelle Ecosse, 1986
 Université Ste-Anne, 1995
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                      |  |   
                      | L'espace d'un 
                        homme, essai autobiographique, Éditions Zoé, 
                        Genève, 1989 France-Loisirs, Lausanne-Crissier, 1989
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                      |  |   
                      | La Planète 
                        des victimes, reportage de guerre - 280 pages et 48 
                        photos hors texte de Yucki Goeldlin coédition:
 Éditions du Griot, Paris, 1990
 Éditions de l'Aire, Vevey, 1990
 France Loisirs, Paris, 1991
 Prix Alpes-Jura de l'Association des Ecrivains de Langue 
                        Francaise
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                      |  |   
                      | Expositions 
                        de Yucki Goeldlin avec textes: Vernissage exposition et livre La Vieille Grille, Paris, 
                        1990
 Villa Lamartine, sous le patronage de SAS le Prince Albert 
                        de Monaco, Monaco
 Musée suisse de l'Appareil photographique, Vevey, 
                        1991
 Bibliothèque d'Etat de Littérature étrangère, 
                        Moscou, 1991
 Bibliothèque centrale, Saint-Pétersbourg, 
                        1991
 Siège de l'UNESCO, Paris, 1992
 Lire en Fête, Roquebrune Cap Martin, 2007
 Mois de la Femme, Nice 2008
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                      |  |   
                      | Textes 
                        pour: A la Rencontre des Inuits de Yucki Goeldlin
 exposition:
 Musée océanographique, Monaco, 1993
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                      |  |   
                      | Textes 
                        pour: Mondes extrêmes de Yucki Goeldlin
 expositions:
 Salon du Livre d'Edmundston, Canada, 1996
 Salon du Livre de Gaspésie, Canada, 1997
 Siège de France Loisirs, Paris, 1997
 La Citadelle, Villefranche/Mer, 1999
 Musée de la Préhistoire, Menton, 2004
 |   
                      |  |   
                      | Panne de Cerveau, 
                        roman, Éditions de l'Aire, Vevey, 1996 Alban Éditions, Versailles 2004
 Éditions Kstaty, Moscou, 2006
 |   
                      |  |   
                      | Coédition Péril au Nunavut, roman, Editions Libre 
                          Expression, Montréal, 1999
 Suisse : "Coeur de Neige", 
                          Éditions de l'Aire, Vevey, 1999
 "Coeurs de Neige", 
                          Éditions du Rocher, Monaco et Paris 2008
 Snowheart, Kanzaman Madrid, en adaptation long-métrage
 
 |   
                      |  |   
                      | Chemins d'écume, 
                        livre de bord, Indo Éditions, Paris, 2001 Coédition suisse :
 LAire, Vevey, 2001
 Allemand, National Geographic Adventure Press, Goldmann 
                        Verlag, Munich, 2003
 |   
                      |  |   
                      | Textes 
                        pour : Chemins d'écume, expos de Yucki Goeldlin
 Musée Océanographique sous le haut patronage 
                        de SAS le Prince Albert de Monaco
 Institut Océanographique, Paris, 2002
 Hôtel de Ville, Vevey, 2002
 dans le cadre du Festival international de l'Image
 Ambassade de France à Monaco, 2008
 |   
                      |  |   
                      | Sculpteur de 
                        Nuages, Editions Carnot, Paris, 2002 Prix littéraire européen 2003
 |   
                      |  |   
                      | Voyageur du 
                        crépuscule, Alban Éditions, Versailles 
                        2004 |   
                      |  |   
                      | La 
                        Vie entre plume et déclic, exposition rétrospective, 
                        photographies de Yucki Goeldlin, textes de Michel Goeldlin 
                        sous le haut patronage de l'Ambassadeur de Suisse en France 
                        Son Excellence M. François Nordmann, Centre International 
                        d'Art Contemporain CIAC, Château de Carros 2005 Médiathèque André-Verdet, Ville de 
                        Carros, 2005
 Médiathèque de Valdeblore (Alpes Maritimes), 
                        2005
 Monographie, 110 photos couleurs et noir-blanc, Éditions 
                        de l'Ormaie, Vence, 2005
 |  
                      |  |  
                      | Textes pour: Siberiana, expo de Yucki Goeldlin, Médiathèque, Vence, 2008
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                      |  |   
                      | Ouvrages 
                        de référence Michel Goeldlin, Espaces du réel, cheminements 
                        de la création par Martine Jacquot, préface 
                        du prof. H-D. Paratte, Université d'Acadie, Éd 
                        du Grand-Pré, 215 p. 40 illustr. Canada 1995
 in "Multicultural Writers since 1945" par Alba 
                        Amoia et Bettina L. Knapp, éd. Greenwood Press, 
                        Ct, USA, 2004
 |    |  |   
          | Témoignages |   
          | 
               
                | L'auteur témoigne avec sobriété 
                    des réalités de cet univers de vies brisées 
                    que d'incessants conflits viennent grossir à l'infini.
 Le Monde, Paris
 Ses romans... s'inspirent de l'actualité 
                    et de faits diversDictionnaire des Littératures, 
                    Larousse
 "...un livre de bord exceptionnel, 
                    d'une écriture sans fioritures, une émotion 
                    et sincérité rares... Il mérite amplement 
                    le Grand Prix du rêve et de l'évasion."Frédéric Altman, 
                    Monaco Madame
 "...on croise une galaxie 
                    d'auteurs qui pourraient être eux-mêmes des personnages 
                    de roman. Comme Gwench'lan Le Scouëzec, grand druide 
                    de Bretagne. Ou Michel et Yucki Goeldlin, auteurs de Chemins 
                    d'Ecume, récit écrit et photographique d'un 
                    tour du monde de quatre mois sur un cargo."Boris Thiolay, Journal du Dimanche
 "Encore plus que "l'exotisme", 
                    c'est votre regard à tous deux sur tous ces êtres 
                    humains qui m'a ému. Lucidité, fraternité, 
                    humilité et sens de l'osmose... Les valeurs motrices 
                    d'un écrivain et d'une photographe..."Didier van Cauwelaert, Prix 
                    Goncourt
 "La plume de Michel Goeldlin 
                    défend la dignité de l'homme et la dignité 
                    des mots d'un écrivain."Nikita Razgovorov, Inostraiana 
                    Literatura Moscou
 "Sobre, poignant, plein de 
                    compassion".Jurg Altwegg, Frankfurter Allgemeine 
                    Francfort
 "Votre livre m'a pris et ému, 
                    par la gravité de son thème assurément, 
                    mais aussi par la simplicité du ton et de la langue, 
                    de même que par sa construction dans la diversité 
                    et l'accord des mouvements."Marcel Arland de l'Académie 
                    française ...
 "cette Juliette crucifiée, 
                    véritable gravure sur acier par l'écriture."Armand Lanoux de l'Académie 
                    Goncourt
 "Goeldlin's writing is concise 
                    and to the point"Adam Bellows, New York Times 
                    book review
 "Le livre capte le goût 
                    très spécial d'un monde révolu et d'un 
                    monde nouveau".Peter Straus, Radio Dialog 
                    New York
  "Le regard de l'écrivain 
                    a su dépasser toutes les frontières du racisme 
                    et de l'incompréhension. On parcourt ce livre comme 
                    un rêve."Natania Etienne, Moncton University 
                    Canada
 Titre: Un duo de rêve...... "351 pages d'une belle écriture chaleureuse, 
                    tendre et émouvante, richement illustrées. Yucki 
                    et Michel, une complicité rare que l'on perçoit 
                    au fil de la lecture..."
 Frédéric Altman, 
                    Nice Matin
 "C'est bien l'écume 
                    de la mer que l'on reçoit en plein visage, que vous 
                    faites surgir dans ces belles pages et dans ces très 
                    originales photographies."Prof. M. Aubert, président
 Université internationale de la Mer
 "Son écriture est à 
                    la jonction de ce symbolisme puissant que les meilleurs romanciers 
                    européens ont su traduire dans leurs romans, et cette 
                    volonté de prise sur le réel qui a toujours 
                    fait la force des romans américains, de Dos Passos 
                    ou Hemingway à Mario Puzo ou Mailer...Ce romancier, comme tout grand romancier, est avant tout un 
                    explorateur des êtres."
 Prof. H-D. Paratte, Acadia 
                    University Canada
 dans la préface du "Michel Goeldlin" de Martine 
                    Jacquot
    |  |   
          | Extrait de : Coeur 
            de neige |   
          | 
               
                | 
 Coeur de Neige, extrait du premier chapitre 
                   Territoires du Nord-Ouest, Canada, 
                    19 heures.  Devant les yeux rougis de Pilipusee, 
                    au-delà de la fatigue, les lettres et les graphiques 
                    de couleur commençaient à se mêler sur 
                    l'écran de lordinateur et dansaient en ondoyant. 
                    Depuis deux semaines il travaillait quinze heures par jour 
                    au texte le plus important quil aurait jamais à 
                    concevoir, en réfléchissant à chaque 
                    nuance, à la construction sans faille du raisonnement, 
                    à linterprétation que lon pourrait 
                    en donner. Et lorsquil sécroulait sur le 
                    lit aux côtés de Zipporah, épuisé, 
                    les idées qui tournoyaient dans sa tête envahissaient 
                    encore son sommeil.  Le vendredi précédent, 
                    Pilipusee avait envoyé par courrier électronique 
                    les invitations à la conférence qui marquerait 
                    un tournant historique pour les milliers d'âmes qui 
                    peuplaient le Grand Nord canadien.  Il se leva, s'étira pour chasser 
                    les courbatures et se dirigea vers la fenêtre.  Cette année, début septembre, 
                    l'hiver s'annonçait déjà. Les glaces 
                    qui recouvraient la mer jusqu'à l'horizon ne s'étaient 
                    pas même entrouvertes durant les semaines tièdes, 
                    autour des rivages de leur île aux confins de la banquise 
                    permanente, sur le 75° parallèle Nord. Les phoques 
                    étaient montés du sud à la poursuite 
                    des bancs de morues, et les ours blancs avaient suivi leur 
                    garde-manger à leur tour, guettant près des 
                    petits trous de respiration ouverts par leurs futures proies 
                    dans l'épaisse couche opaque sous laquelle la vie continuait. 
                   La chasse et la pêche avaient 
                    été maigres, mais une peau d'ours polaire mesurant 
                    pas loin de quatre mètres de la tête à 
                    la queue pendait à un cordeau devant la maison. Un 
                    des trois ours annuels alloués aux deux-cent-six Inuit 
                    de Tuklavik.  On mangerait de la viande, cette année 
                    encore. Avec la bénédiction des fonctionnaires. 
                   La fondation d'un pays représentait 
                    une tâche presque surhumaine, la plus exaltante qui 
                    fût, et Pilipusee en serait le fer de lance pour le 
                    compte du conseil des anciens, que son père et d'autres 
                    sages avaient fondé afin de dialoguer avec le gouvernement 
                    fédéral. Les Inuit connaîtraient un pouvoir 
                    nouveau et géreraient leur destinée. Pour le 
                    jeune Inuit, obtenir l'autonomie de son territoire équivaudrait 
                    à fonder un pays neuf, à vivre sur une autre 
                    planète.  Pilipusee rédigeait les discours, 
                    le projet de statuts et le catalogue des revendications avec 
                    toute la rigueur dont il était capable. Il pesait chaque 
                    mot, étreint par une angoisse permanente devant sa 
                    responsabilité. Il se concentrait sur son travail qui 
                    serait rendu public dans deux semaines par son père, 
                    Aklaksak, et qui ferait sur le monde tout entier, ou du moins 
                    sur le Canada, l'effet du plus puissant des blizzards.  Pilipusee entendait déjà 
                    la voix cassée, un peu voilée du vieux chef, 
                    prononcer doucement les mots qui se formaient maintenant sur 
                    son écran:  "En conclusion, Messieurs les 
                    représentants des autorités et de la presse, 
                    je vous prie de prendre date pour les négociations 
                    qui déboucheront, je veux le croire, sur le droit pour 
                    mon peuple à disposer de lui-même. Nous désirons 
                    l'autonomie pour notre territoire. Je demande au gouvernement 
                    fédéral du Canada de présenter nos légitimes 
                    revendications aux députés. Ce pays est une 
                    démocratie, qu'il le prouve." Et le ton modéré amplifierait 
                    le contenu des paroles mieux que s'il tempêtait.  Le chef Aklaksak, auquel il succéderait 
                    peut-être un jour, le sage qui avait été 
                    chaman avant que les rites ne s'estompent, et les autres anciens 
                    du conseil comptaient sur Pilipusee. Le peuple entier comptait 
                    sur lui en silence. Rien n'avait encore transpiré, 
                    en dehors, du projet qui changerait la vie des Inuit de la 
                    région. On appelait "en dehors" tout ce qui 
                    n'était pas le Grand Nord, le reste du monde.  Du jeune homme dépendait la 
                    couleur que prendrait l'avenir. A moins que Pilipusee n'échoue 
                    comme avait échoué son grand-père, autrefois, 
                    et ne parte alors comme lui tout droit sur la mer de glace, 
                    s'éloigne, rapetisse jusqu'à ne devenir qu'un 
                    point à l'horizon et disparaisse dans l'infini, à 
                    la rencontre de son éternité. C'est ainsi que 
                    son aïeul avait voulu se purifier de la défaite, 
                    se racheter à ses propres yeux et devant les esprits 
                    des ancêtres.  Pilipusee songeait souvent à 
                    son grand-père, mort d'avoir voulu la liberté 
                    pour son peuple, si proche de lui par lecur et par la pensée, et qu'il avait tant aimé 
                    dans son enfance. Il se refusait à envisager l'échec 
                    de cette nouvelle démarche. Tout cela prendrait du 
                    temps, mais la réussite serait au rendez-vous. Son 
                    fils Simeanee et le nouvel enfant que portait Zipporah seraient 
                    peut-être les seuls à voir se concrétiser 
                    la naissance de leur pays.
 ***  Salvador, Amérique Centrale, 
                    14 heures.  Le plus difficile pour moi sera de 
                    quitter le périmètre contrôlé par 
                    l'armée, se dit Kevin Smith.  L'avant-veille encore, à Washington, 
                    un spécialiste le chapitrait sur la délicate 
                    action qu'il aurait à mener à bien. Mais Kevin 
                    se sentait calme. L'habitude de frôler le danger. Dès 
                    le début de son engagement, il s'était inventé 
                    une devise: "Jusqu'au bout de mon devoir, sans états 
                    d'âme".  De Foster Dulles, l'aéroport 
                    de la capitale américaine, il prit un vol pour Montréal, 
                    d'où il embarqua le jour même pour le Salvador 
                    sans passer à la maison: Clarissa le croyait en tournée 
                    d'inspection dans la province de la Saskatchewan.  Pendant qu'il attendait sa correspondance, 
                    Kevin déchira le talon du billet précédent 
                    et prépara le nouveau. Personne ne devait savoir quel 
                    était le véritable point de départ de 
                    son itinéraire.  A son arrivée en Amérique 
                    Centrale, après les escales de Miami et de Belize, 
                    un policier au regard aigu compara la photo du passeport canadien 
                    et le visage de l'homme, puis consulta une liste affichée 
                    sur le côté de son cagibi. Une liste noire sans 
                    doute.  Il examina aussi le titre de transport 
                    émis à Montréal, son lieu d'embarquement. Affaires ou tourisme, monsieur Smith?
  Affaires. Je suis consultant auprès de l'estancia 
                    Chavez, votre principal producteur de café à 
                    Santa Ana.
  Profession, phyto-biologiste? s'étonna l'agent. 
                    Je n'en ai jamais entendu parler.
 Sa couverture pour cette mission particulière. 
                    Il ne pouvait se prétendre spécialiste en sécurité 
                    bancaire pour se rendre dans une plantation, et s'amusait 
                    d'avoir à changer de métier supposé au 
                    gré des situations. Je suis expert en plantes, si vous voulez. Nous étudions 
                    de nouveaux croisements de caféiers pour améliorer 
                    leur productivité et la lutte intégrée 
                    contre les parasites.
  Est-ce votre première visite chez nous?
  Oui.
  Bienvenue au Salvador, Monsieur Smith, dit le policier 
                    en apposant un timbre humide. N'oubliez pas dobtenir 
                    auprès de la Garde Nationale votre laissez-passer avant 
                    de quitter la capitale, sinon vous ne pourrez pas aller jusqu'à 
                    Santa Ana.
 Kevin s'appelait Smith depuis si longtemps 
                    qu'il avait presque oublié son véritable nom. 
                   Même Clarissa croyait vraiment 
                    s'appeler Smith, depuis leur mariage, voici vingt ans, et 
                    les enfants se plaignaient d'un nom aussi banal. "N'aurions-nous 
                    pas pu nous appeler O'Shennessy ou Zbrizgniev? Mais Smith, 
                    comme tout le monde..."  Pour une mission ordinaire dans un 
                    pays dont le gouvernement comptait tant d'amis à Washington, 
                    en particulier du côté des militaires du Pentagone 
                    et des agents de Langley, siège de la CIA, Kevin le 
                    Canadien n'aurait pas eu besoin d'une couverture.  Celle-ci ne tiendrait de toutes façons 
                    pas auprès des guérilleros s'il se faisait piéger, 
                    au contraire. Comme âme damnée d'un des quatorze 
                    propriétaires de grands domaines agricoles qui se partageaient 
                    le plus clair des terres fertiles, les rebelles lui feraient 
                    son affaire.  Kevin héla un taxi devant laérogare, 
                    située non loin des plages du Pacifique. Malgré 
                    la chaleur et lhumidité, il transpirait peu. 
                   Aux yeux des diplomates en poste à 
                    San Salvador et des rares touristes qui s'aventuraient de 
                    nouveau dans le pays, l'image offerte était celle d'une 
                    Amérique latine de carte postale: accueil souriant, 
                    autoroute bien entretenue serpentant entre des collines douces, 
                    palmiers, hibiscus et champs de cannes à sucre.  Une échoppe ouverte à 
                    tous vents où grignoter des galettes de maïs en 
                    sirotant une bière, à l'ombre d'une tonnelle. 
                    Une paysanne et deux ou trois enfants en bas âge offrant 
                    aux passants des pastèques et des noix de coco posées 
                    à même le bord de la chaussée, et que 
                    l'on ouvrirait d'un adroit coup de machette pour consommation 
                    immédiate.  La traversée des faubourgs un 
                    peu crasseux et la plongée dans la ville immense et 
                    animée.  San Salvador s'étalait, toute 
                    blanche sur la pente, dominée par un cirque de volcans 
                    érodés dont quelques-uns fumaient encore, recouverts 
                    d'une jungle où seuls les guérilleros du FMLN, 
                    le Farabundo Marti de Liberacion Nacional, parvenaient à 
                    circuler sans se perdre.  Leur fief inexpugnable. La guerre civile 
                    couvait encore sous les cendres et draînait comme autrefois 
                    tous les hommes valides dans un camp ou dans l'autre, par 
                    la force s'il le fallait.  Indigène ou étranger, 
                    journaliste surtout, nul ne pouvait quitter le triangle délimité 
                    par trois pôles, la ville, l'aéroport et les 
                    superbes plages bordant le Pacifique. D'infranchissables barrages 
                    militaires cernaient toute la zone et refoulaient sans ménagements 
                    ceux qui s'y aventuraient sans un sésame signé 
                    par le chef de l'état-major général en 
                    personne. Le ravitaillement de la capitale en produits alimentaires 
                    en souffrait, mais pour la garde nationale, tous les paysans, 
                    hors du triangle "sûr", étaient plus 
                    ou moins partisans des "terroristes".  Kevin donna au chauffeur de taxi l'adresse 
                    de son contact où il se rendit directement, et attendit 
                    de se retrouver seul pour sonner. Ses instructions étaient 
                    de ne rencontrer personne d'autre que Chavez, et surtout de 
                    ne pas s'approcher des ambassades, ni celle des États-Unis, 
                    ni celle du Canada, même si sa vie en dépendait... 
                   Une mission en sous-marin. Personne 
                    sauf la "taupe" locale ne devait être informé. 
                    Et surtout pas les attachés militaires ni les agents 
                    des Services nord-américains en poste dans le pays. 
                    Si les Salvadoriens soupçonnaient leur implication 
                    dans l'action de Kevin, les gringos officiels n'auraient pas 
                    à mentir. Ils ne pourraient pas être gênés 
                    par les questions, puisqu'ils ne connaîtraient pas les 
                    réponses. Ils ne pourraient pas non plus rendre compte 
                    chez eux aux Affaires Étrangères ni au Département 
                    de Justice de laction décidée en secret 
                    par les plus hauts échelons de la CIA et du Pentagone, 
                    ainsi que par le conseiller à la Sécurité 
                    de la Maison Blanche. Ce dernier évitait d'informer 
                    le président Kenneth Walker afin de ne pas le compromettre. 
                    Un interphone était encastré dans un des piliers 
                    du portail à deux battants, surmonté par une 
                    discrète caméra de surveillance. Kevin s'annonça. 
                    Un homme maigre et taciturne vint immédiatement lui 
                    ouvrir et l'introduisit auprès du maître de maison. 
                   On l'attendait.  Michel Goeldlin, Coeur de neige, Editions 
                    de l'Aire, 1999.    |  |   
          | Extrait 
            de : Chemins d'écume |   
          | 
 
               
                | 
                     
                      |  | 
                           
                            | Une page de Chemins d'écume Durant quatre mois, Yucki 
                                et Michel Goeldlin ont fait le tour du monde à 
                                bord dun cargo : Europe, canal de Panama, 
                                quatorze escales dans le Pacifique Sud et retour 
                                par lOcéan Indien, la Mer Rouge et 
                                le Canal de Suez. Vie quotidienne des marins, 
                                utilité du navire pour des îles de 
                                rêve mais coupées du monde, ouragans, 
                                mers à pirates
 170 photographies 
                                en noir/blanc et en couleurs illustrent ce  
                                livre de bord .  Pendant ce temps notre 
                                cargo a basculé de douze degrés 
                                sur bâbord et passe entre les atolls qui 
                                se dessinent, bas sur l'horizon. Palmiers, fleurs 
                                luxuriantes, sable immaculé, bleu outre-mer, 
                                la forme classique du rêve se rapproche 
                                à grands tours d'hélice. |  |  Voici que passe Toau, à 
                    quatre nautiques sur tribord, un îlot couvert de cocotiers 
                    qui culmine à dix ou quinze mètres peut-être, 
                    serti sur l'ouest, comme une bague de beauté, par une 
                    barrière de corail qui arrache à chaque vague 
                    embruns et jets d'écume. Enlacée par l'écrin 
                    de récifs, une promesse de calme et de douceur: j'entrevois 
                    la surface étincelante d'un lagon turquoise. Et c'est là peut-être 
                    que les huîtres aux lèvres noires, enragées 
                    des mois durant par un grain de nacre, salivent jusqu'à 
                    ce que mort s'en suive et livrent les perles les plus rares 
                    qui puissent parer la Femme. Premières visions d'îles 
                    exotiques, cartes postales dont nous verrons encore de lointaines 
                    surs jumelles... Les ombres vont s'épaissir. 
                    Annonçant une nuit claire, coucher de soleil somptueux, 
                    avec rayon vert couleur de vu, couleur de bonheur, couleur 
                    de flammes léchant un infini manteau d'or. Les ombres 
                    tombent si vite sous les tropiques... déjà apparaît 
                    la première étoile sur fond d'un dégradé 
                    de rouge, indigo, marine, roi, nuit. Vénus bien sûr, qui brille 
                    sans un clignotement, puis une myriade d'astres grossis par 
                    l'air limpide qu'aucune lumière terrestre, aucune fumée 
                    ne viennent voiler. Jamais encore n'avais-je contemplé 
                    une voûte aussi parfaite, proche à toucher. La 
                    voie lactée, belle à pleurer, belle à 
                    rêver, ce profil de galaxie où la lunette permet 
                    de deviner un nombre d'astres que personne, jamais, ne pourra 
                    compter. Nébuleuses invisibles, mondes 
                    lointains, tempêtes et convulsions d'étoiles 
                    qui se meurent, d'autres qui naissent, quasars, géantes 
                    blanches, naines rouges, trous noirs trop denses pour que 
                    la moindre lueur parvienne à s'en échapper, 
                    tous ces mondes peut-être morts au moment où 
                    les milliers de siècles-lumière convoient leur 
                    reflet jusqu'à nous. Je mesure mon ignorance des choses 
                    de l'astronomie, je n'ai aucun don pour le calcul qui permet 
                    de savoir qu'une planète existe là où 
                    l'il ne perçoit rien que le néant. Il 
                    faudra que j'apprenne la géographie du ciel. Il faudra 
                    qu'un jour j'acquière un télescope et sache 
                    sur quoi je le braque. Dans cette hémisphère 
                    australe d'où a disparu la Grande Ourse, voici la Croix 
                    du Sud, cette constellation si chère à Saint-Exupéry 
                    et peut-être connue du Petit Prince lui-même. Je découvre une lueur particulière, 
                    comme une pleine lune cachée par un voile de brume, 
                    et que le capitaine, féru d'astronomie, surnomme la 
                    "Boule de Neige". Sphère étrange aux 
                    contours imprécis, unique dans cet espace qui jamais 
                    ne m'a autant fasciné que ce soir, que je me prends 
                    à aimer mais qu'il me reste à connaître, 
                    un amas simplement formé par mille étoiles lointaines 
                    mais qui a dû faire naître de belles légendes 
                    oubliées...  * * * Dimanche 6 septembre. La nuit passée, sur le cinquième 
                    pont arrière, dans une brise douce, je ne pouvais cesser 
                    de contempler le panorama jusqu'à ce que les gros rouleaux 
                    de nuages cachent la lune pleine. J'oubliais le son grave 
                    des moteurs devenu si familier, mon oreille ne captait plus 
                    que la déchirure soyeuse des flots et le silence de 
                    l'heure sereine. "L'astre de nos nuits" était 
                    largement cerclé d'un immense anneau circulaire, un 
                    halo de brume que bordaient des strato-cumulus aux formes 
                    se mouvant avec lenteur. Leur épaisseur marquée 
                    par les nuances allant du gris foncé à un blanc 
                    laiteux, passant par toutes les nuances, fer, souris marquant 
                    leur volume, rappelait les nuages dessinés devant lesquels 
                    passait la caravelle du Capitaine Crochet... Les flots mouvants 
                    reflétaient un ciel clair, le regard s'adaptait à 
                    la pénombre et s'aiguisait, jusqu'à l'horizon 
                    le sillage de notre galion moderne jalonnait le chemin parcouru 
                    inlassablement. Toute cette glorieuse matinée, 
                    sous un ciel radieux, des peuples entiers de poissons volants 
                    s'écartaient par grappes de notre route rectiligne. 
                    Vue de sous la surface des flots, la coque de l'Arunbank devait 
                    les terroriser, de la taille d'une baleine mécanique, 
                    d'un monstre dont le rugissement et les vibrations sont propagés 
                    par l'eau, navigant au-dessus d'eux sans dévier de 
                    sa route, aveugle, menaçant, invincible, prêt 
                    à les dévorer. A moins que leur instinct ne 
                    les mettent simplement en garde contre l'approche d'énormes 
                    hélices prêtes à les laminer. Ils trouent la surface comme des missiles 
                    d'un ou deux pieds de long et déploient leurs nageoires 
                    hypertrophiées comme de véritables ailes transparentes, 
                    irisées. En frôlant la crête des vagues, 
                    ils parviennent à ricocher, à planer en s'éloignant 
                    de cent, voire deux-cents mètres du danger avant de 
                    regagner leur élément naturel. Parfois brumeux, nuages bas rejoignant 
                    par endroits la mer où tombent les averses locales, 
                    l'horizon se révèle aujourd'hui d'une netteté 
                    chirurgicale, dessinant la rotondité terrestre. Et dans le soleil couchant, le spectacle 
                    renouvelé des cheveux d'ange orangés, des pompons 
                    gris parsemant le ciel turquoise, puis l'obscurité 
                    qui tombe plus vite que sous d'autres latitudes, le réveil 
                    des constellations, des planètes et de l'heure sereine 
                    où nous progressons sur une vague marine qui scintille 
                    sous la lune, traçant un sillage luminescent. A une imperceptible nuance dans la 
                    couleur de l'océan, à la douceur de l'air, à 
                    la sensualité de la houle, plus modeste et dansante, 
                    à notre sillage d'écume et de bulles plus opalin, 
                    je sens que nous approchons d'un des paradis terrestres tel 
                    que l'ont découvert les anciens navigateurs de l'inconnu. 
                    Mais peut-être cette impression n'est que dans ma tête: 
                    grâce à la technique, je sais que nous approchons; 
                    j'ai lu les cartes, j'ai fait le point, en ce moment, à 
                    neuf heures du matin, longitude 10°07' et 128°38 de 
                    latitude, il nous reste à peine quatre jours de course 
                    jusqu'à notre première escale exotique. Sur 
                    les caravelles et les galions, on cinglait en aveugle vers 
                    la gloire ou la mort. Au moment où notre vitesse décroît 
                    de sept nuds par l'arrêt d'un moteur, notre cap 
                    s'infléchit de vingt degrés sous l'effet de 
                    la force d'inertie, avant d'être rétabli sur 
                    son aire. La faible houle nous vient directement par bâbord 
                    de l'Antarctique sans aucun obstacle intermédiaire 
                    pour la freiner, des vaguelettes glaciales frissonnent par 
                    le travers. Chaque vendredi après dîner, 
                    lorsque nous ne sommes pas à quai, les passagers invitent 
                    les officiers à un apéritif. Il y a eu de joyeuses 
                    réunions au salon, réception de bienvenue offerte 
                    par le capitaine, franchissement du canal qu'enjambe l'autoroute 
                    des Amériques reliant Anchorage à Ushuaïa, 
                    puis notre entrée dans l'océan Pacifique, l'Équateur, 
                    le diplôme en vieil anglais décerné par 
                    Neptune. Souvent, échange de bons procédés, 
                    dérivatif à l'ennui, un des officiers invite 
                    quelque voyageur ou un collègue à un coup de 
                    l'étrier dans sa cabine. Et le marin d'ordinaire laconique, 
                    réservé, ouvre un peu son cur. Une photo 
                    circule, qui montre la famille de l'un, la femme et la fille 
                    de l'autre, un paysage des environs de Vladivostok un jour 
                    de chasse à l'ours, une modeste maison de Newcastle... 
                    Nostalgie, solitude... Comme le moine dans sa cellule de prière, 
                    ici l'être est seul, entouré de solitaires... Michel Goeldlin, Chemins d'écume, 
                    livre de bord, Indo Editions, 2001.   Page créée le 01.11.97Dernière mise à jour le 27.01.12
 
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