Le sommeil de la sieste est dense, avec des remuements noirs tout au fond. Très rarement y passent des rêves. Sommeil immobile, sur le dos -dans un abandon, mains posées sur le livre qu'on lisait, qui ne ressemble en rien à l'installation dans le sommeil nocturne, auquel on se prépare avec tout un rituel.

Tout au long de cette "Ligne imaginaire » défilent des images, des instantanés, moments de vie heureux, éphémères, à peine esquissés, ou comme entrevus au sortir d'une sieste délectable faite dans la touffeur de l'été, et, toujours, une présence au monde.

Marie Gaulis, française et suisse, née en l965, Docteure ès lettres, signe ici ses premiers récit.

Extrait de presse

Ligne imaginaire de Marie Gaulis suit la courbe mélodique d'une très belle écriture

Avec ce premier recueil de brefs récits concentrés et lumineux, la prosatrice s'inscrit dans le sillage des maîtres de l'évocation lyrique, entre Walser et Jacques Réda.

Ce ne sont apparemment que des "riens". Des instants saisis au vol, des sentiments cueillis dans le tout-venant des jours, des images grappillées le long des chemins. C'est par exemple la sensation que vous éprouvez au moment d'une sieste d'après-midi, d'abord de couler ("tout au fond, dans les remuements noirs du fond, on a peut-être touché au plus silencieux de soi, au plus innommable"), puis, au réveil, d'émerger dans un "affleurement d'inquiétude", comme si l'on participait d'une matière obscure et mystérieuse. Ou c'est, en train, telle vision nocturne arrachée à une humble gare perdue dans la neige ("un trait de lumière dans la gare de Culoz") ou, en descendant vers l'Italie dans la lumière du printemps, telle image, outre-mont, de "gorge que surplombe une terrasse avec trois tables qui n'attendent que nous, on dirait"), entre lselle et Domodossola, en ces lieux annonciateurs de sud qui ont "une austérité et une rudesse un peu albanaises"...

Il y a comme une grâce, à la fois naturelle et très concentrée par l'expression, dans l'écriture de Marie Gaulis, qui procède d'un regard à la fois aimant et comme voilé de mélancolie. A l'art walsérien de la promenade, avec une acuité de perception qui rappelle aussi les notations lyriques d'un Jacques Réda marchant ou zigzaguant sur son Vélosolex, notre promeneuse trace sa ligne imaginaire à travers minutes heureuses et visions iconiques, "insoucieuse du poids des hommes et, en même temps, amicale, quelque fois douce aux pieds comme un chemin de sable, quelque fois caillouteuse, raboteuse, hostile - seuls les mulets alors la suivent, sans broncher, sous le soleil de midi".

Que la ligne imaginaire de Marie Gaulis soit "amicale", nous le ressentons à tout bout de page, quand celle qui parle visite une vieille naufragée tournant en rond dans la somnolence oublieuse de quelque Hôtel-Dieu sans Dieu, ou lorsqu'elle formule tel "Adieu aux pères", ces pères "qui s'en vont, les uns après les autres, faisant de nous des orphelins tout à coup poussés dans l'océan du monde".

Or baigné d'une lumière à la Purcell, tout le recueil est marqué par la basse continue du temps qui passe, le thé de l'après-midi qu'on a renoncé à boire, les objets qu'on perd, les "coming and going" des séparations et des retrouvailles amoureuses, la ren contre occulte, "en chemin", de tel jeune résistant fusillé à 19 ans par les Allemands, ou la chambre jaune juste repeinte où l'on "lit le vide des journaux" en attendant "celui qu'on aime".

L'apparition d'un nouvel écrivain de qualité est toujours un bonheur, et celle de Marie Gaulis nous réjouit particulièrement, dont la "ligne" de l'écriture a la douce courbure des collines et la plénitude d'un chant.

Marie Gaulis, Ligne imaginaire. Récits. Metropolis, 107 pp.

J.-L. Kuffer

Mardi, 11 Mai 1999

 

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