Sosie d'un saint
Jacques Chessex donne de ses nouvelles sur le fil du rasoir

"Sosie d'un saint"
Recueil remarquable où l'érotisme et la mort sont maniés avec brio, et moult clins d 'œils à Hemingway. L'écrivain se fait sautillant.

La critique et la lecture ont sans doute trop cherché à sérier ce qui, dans les livres de Jacques Chessex, tenait soit du pasteur, soit de l'ogre. Avec Sosie d'un saint, recueil de nouvelles, le Vaudois relance l'énigme d'autant que la lecture se trouve placée sur le fil du rasoir et la critique renvoyée a la figure tutélaire d'Hemingway. Ainsi l'exergue de ce livre: les derniers mots de la nouvelle Dans un autre pays, rédigée en 1926 et publiée un an plus tard. "Mais les photographies ne faisaient plus guère d'effet sur le commandant, car il avait toujours les yeux fixés sur la fenêtre."

Si l'on remonte le cours de la nouvelle d'Hemingway, la fenêtre s'ouvre sur la mort et le souvenir érotique (la nostalgie), alors que les photographies ne sont que spectacle de la réalité-blessure de guerre. Ce court texte nous fait pénétrer dans un vieil hôpital où les guerriers se meurent loin de leurs amours. Temps suspendu en attendant la paix ou le front.

Pour alléger l'esprit

Dans Sosie d'un saint, les personnages errent. Ils séjournent, désirent, renoncent, imaginent. Les plus fous passent à l'acte, vivent leur érotisme déchaîné. Les plus sages rêvassent. L’écriture passe, belle et fluide. Ce que l'on ne comprend pas doit être évacué, allégeant l'esprit. Quinze nouvelles entre mort et désir. Dans des paysages qui font loi: falaise, lac, cimetière, collines, forêts.

Pris dans son ensemble, Sosie d'un saint agence ses lieux symétriquement: hôtels, transit, jeux mystiques, trains. L'épreuve est là, quelque part au centre, entre les trois nouvelles L'illuminé, L'agneau et Sosie d'un saint, entre pasteurs libidineux, mais ne tendant qu'à se libérer de tout, jeunes ogres pubères, et ce commandant, personnage fil rouge qui tantôt veut tuer les femmes, tantôt s'effacer dans la solitude, tantôt encore se racheter. Chessex se tient magnifiquement sur le fil du rasoir avec une légèreté mordante. L’amour? Illusion. La mort? A différer. Entre-deux, il s'agit d'alléger les sensations pour vivre.

Le Dernier été indien, la nouvelle faisant explicitement référence à Hemingway, voit le narrateur se libérer de toutes les lourdeurs:responsabilités, compassion, amour, jalousie. C'est le moment de l'épiphanie, ce moment baroque où le plaisir du jeu dans n'importe quel registre l'emporte sur toute morale. Ni Eros ni Thanatos ne sont éludés, comme toujours chez Chessex. Ils se pressent à la porte du récit. Mais Jacques Chessex joue ici au saltimbanque de sa propre écriture: il plaisante, joue l'allégorie, se met en scène. Peut-être pour se voir au-delà de la fenêtre.

Jacques Sterchi

Jacques Chessex, "Sosie d'un saint", Ed. Grasset, 284 pages