Nouvelles écritures dramatiques de Suisse romande (3)

Dans un dossier conséquent consacré par Feuxcroisés 7/2005 - la revue "cousine" du Culturactif - aux écritures théâtrales de Suisse, François Marin avait notamment interviewé Mathieu Bertholet, Antoine Jaccoud, René Zahnd, Marielle Pinsard et Dominique Ziegler. Dans la continuité de ce travail, il donne la parole à des figures émergentes de la nouvelle dramaturgie romande, de septembre à décembre 2006. Plusieurs d'entre ces auteurs ont eu la chance de voir leurs textes créés à la scène cette saison. Ils livrent dans ces entretiens le cheminement vers le théâtre, leurs espoirs et parfois leurs déceptions. Après les deux premiers volets, consacrés à Bastien Fournier et Sandra Korol, puis à Patrick Suter et Odile Cornuz, François Marin a interrogé Nadège Reveillon et Julie Gilbert.

 

Nadège Reveillon, par François Marin

Nadège Reveillon (1974). Auteur de La Place-La Plaza (2005), prix de la Société genevoise des écrivains 2005.
Elle fait partie de la deuxième volée de Textes->en->scène, initiative de soutien à l'écriture de la Société Suisse des Auteurs

Quel a été votre cheminement vers l'écriture dramatique ? Est-ce une suite de hasards heureux, un choix délibéré ou l'aboutissement d'un travail en relation avec la scène comme comédien, dramaturge, metteur en scène, etc?

Par hasard? La "crise de la trentaine"! Je me suis rappelé de mon cursus aux beaux-arts, de la crise en Argentine de 2001 dans laquelle j'avais renié tout engagement artistique passé et futur. Et puis, je me suis souvenu que j'avais des choses à dire...
Par hasard? J'ai rencontré une jeune auteure dramatique qui m'a fait partager ses pièces. J'ai alors découvert un espace de liberté. J'écrivais des textes très courts qui se situaient entre le journal intime et le fait-divers, mais qui ne trouvaient pas à mes yeux, de finalité dans l'art plastique. Apparurent alors un début de dialogue, des regroupements entre mes textes, des histoires et une forte envie de jouer avec les mots. Je me suis rendu compte que l'écriture dramatique pouvait être "la troisième dimension" que je cherchais pour mes textes.
(Et puis, Par hasard... une voyante et le souvenir de mes curiosités d'enfant...) ;)

Dans cette discipline artistique, le relais par ses pairs (conseils, encouragement, etc.) semble important. Comment s'est passée la rencontre avec vos pairs? Ces relations sont-elles fortes, enrichissantes, ou lointaines, voire inexistantes? Comment appréhendez-vous le paradoxe apparent entre le geste solitaire de l'écriture et la dimension collective propre au théâtre? Quels sont vos liens avec les praticiens de la scène, comédiens, metteurs en scène, et directeurs de salle?

J'écris seulement depuis un an, et avant cela je n'avais aucun lien avec le monde du théâtre. Grâce au prix littéraire de la Société Genevoise des Ecrivains, j'ai "une marraine" qui est Mony Rey. Elle a soutenu ma pièce pour que je reçoive le prix. Nous nous voyons, elle me conseille et suit mon travail. Je découvre petit à petit un milieu accessible et ouvert... (Philippe Morand a eu la gentillesse de lire ma pièce et de prendre du temps pour que l'on en parle... ) Il me paraît essentiel de partager ses envies et ses doutes avec des personnes qui ont les mêmes centres d'intérêt. Tout s'est enchaîné... le prix de la SGE m'a permis de me présenter à la bourse Textes-en-scènes de la SSA. Cette bourse est arrivée au bon moment car j'avais besoin de partages, de retours et de discussions indispensables pour continuer à écrire.

Je ne vois pas vraiment de paradoxe. Ce qui me motive et me nourrit dans l'écriture dramatique, c'est justement de savoir qu'un jour le texte va être pris en main et qu'il va prendre vie. J'avoue que j'appréhende un peu ce moment enrichissant, mais à "effet miroir".

Vous écrivez et résidez en Suisse romande, y-a-t-il pour vous une singularité d'une écriture en Suisse romande, un état d'esprit particulier ? Pourriez-vous vous retrouver dans les derniers mots de Raison d'être de Ramuz qui se fixe pour objectif de pouvoir écrire un livre, un chapitre, une phrase qui ressemble à la terre de ce pays ?

Une singularité, un état d'esprit?
Je ne sais pas... Je perçois peut-être deux sortes d'écritures:
-L'une: ouverte sur le monde, intéressée par d'autres cultures, préoccupée par des conflits...
-L'autre: plutôt introspective, parfois violente.

Cela reflète en quelque sorte l'image que j'ai de la vie en Suisse romande: un éternel mouvement de va et vient.
On part: on a besoin de fuir, de découvrir le monde.
On revient: on a besoin de régler des comptes, de retrouver un équilibre.
Cela a-t-il un lien?

... qui ressemble à la terre de ce pays? J'ai toujours vécu sur la frontière, ma famille genevoise s'est installée en France avant la première guerre mondiale pour y trouver du travail. Il est vrai que Genève, ce n'est pas la Suisse. J'ai plutôt ce regard tourné vers le monde. Je ne porte pas en moi les paysages de ce pays. Et puis, cela n'a peut-être rien à voir avec la Suisse romande après tout... mais je crois qu'elle qui m'a enseigné la compassion et il en faut beaucoup pour écrire...

En 2003 l'antenne suisse des Ecrivains et Auteurs de Théâtre a été fondée à Neuchâtel. Depuis quelques années d'autre part, la SSA multiplie les innovations pour promouvoir l'écriture en Suisse romande. Comment percevez-vous ce mouvement ? Quelles perspectives voyez-vous pour l'écriture dramatique en Suisse romande ?

Ce sont des initiatives vraiment motivantes et encourageantes pour les auteurs. Elles répondent, je pense à l'un intérêt grandissant pour l'écriture dramatique des jeunes auteurs suisses. Il est important de soutenir et de stimuler cette richesse culturelle là. J'imagine ce mouvement comme étant le déclencheur d'un effet "boule-de-neige".
Alors pourquoi ne pas rêver d'une vraie politique de diffusion du théâtre suisse…

Propos recueillis par François Marin

 

Julie Gilbert, par François Marin

Julie Gilbert (1974). Scénariste indépendante, Julie Gilbert est l'auteur des 13 de B (prix SSA 2004) et réalise au Théâtre Saint-Gervais avec Jérôme Richer L'œil du Cyclone en octobre 2006.
Elle fait partie de la deuxième volée de Textes->en->scène, initiative de soutien à l'écriture de la Société Suisse des Auteurs.

Quel a été votre cheminement vers l'écriture dramatique ? Est-ce une suite de hasards heureux, un choix délibéré ou l'aboutissement d'un travail en relation avec la scène comme comédien, dramaturge, metteur en scène, etc?

Pour faire comme dans les vraies biographies de vrais auteurs, je peux dire que quand j'étais petite mon père montait des pièces de théâtre à Grenoble et après à Mexico, et que je restais avec lui dans les coulisses, dans la salle, sur le plateau. Je me rappelle des costumes en velours des comédiens, des draps que ma mère teignaient de rouge dans le lavabo, des textes et des silences etc... Le théâtre m'a un peu hanté et peut-être à cause de ça je n'osais pas trop m'y atteler. Alors, j'ai commencé par l'écriture scénaristique, qui ouvrait les champs immenses de l'imaginaire, mais aussi d'une certaine technicité. Mais au fil des années, la nécessité de retrouver le mot au milieu de la phrase, le mot qui résonne a été la plus forte et j'ai écrit ma première pièce.

Dans cette discipline artistique, le relais par ses pairs (conseils, encouragement, etc.) semble important. Qu'en est-il pour vous ? Ces relations sont-elles fortes, enrichissantes, ou lointaines, voire inexistantes ? Comment appréhendez-vous le paradoxe apparent entre le geste solitaire de l'écriture et la dimension collective propre au théâtre ? Quels sont vos liens avec les praticiens de la scène, comédien, metteurs en scène, et directeurs de salle ?

N'ayant pas des dizaines de pièces à présenter de toute part, je n'ai pas un lien spécifique avec des "praticiens de la scène" même si ça change aussi progressivement. Sinon comme tout le monde, j'envoie mes textes, et rarement j'obtiens des réponses. Par contre, en passant par le cinéma, j'ai des liens fort avec des comédiens qui me donnent envie d'écrire pour eux.

Vous écrivez et résidez en Suisse romande. Y-a-t-il pour vous une singularité, un état d'esprit particulier de l'écriture en Suisse romande ? Pourriez-vous vous retrouver dans les derniers mots de Raison d'être de Ramuz qui se fixe pour objectif de pouvoir écrire un livre, un chapitre, une phrase qui ressemble à la terre de ce pays ?

Au départ non, et même je peux dire que je me suis longtemps défendue de cette "appartenance", étant française, et n'ayant pas choisi très rationnellement d'habiter en Suisse. Mais curieusement, je me suis rendue compte que mon écriture dite "documentaire" se rattachait d'une certaine manière à une ligne existante en Suisse. Et du coup, pour prendre le taureau par les cornes, je me suis décidée à écrire ma nouvelle pièce sur cette thématique là. En l'intitulant justement "My Swiss Tour", je me suis donnée comme directive d'écrire non pas en résonance avec la terre de ce pays, mais comment en tant qu'individu on existe par rapport à cette terre.

En 2003 l'antenne suisse des Ecrivains et Auteurs de Théâtre a été fondée à Neuchâtel. Depuis quelques années, d'autre part, la SSA multiplie les innovations pour promouvoir l'écriture en Suisse romande. Comment percevez-vous ce mouvement ? Quelles perspectives voyez-vous pour l'écriture dramatique en Suisse romande ?

Je ne crois pas à l'idée de faire émerger des choses dans une région, ou après on pourrait dire, regardez c'est un groupe d'auteurs de Suisse romande, etc, mais ce que j'apprécie, c'est que ces actions mettent au moins de temps en temps sous les projecteurs l'écriture contemporaine, et que soudain les auteurs n'ont pas besoin d'être morts pour être vivants!

Propos recueillis par François Marin