Charles-Ferdinand Ramuz

Trois questions à des gens de lettres suisses et français

Compte tenu des vastes échos de presse entourant comme de juste la parution des romans de Charles-Ferdinand Ramuz à la Pléiade, notre site a souhaité offrir à ses lecteurs une présentation un brin décalée. C'est pourquoi nous avons adressé à de nombreuses personnalités littéraires suisses et françaises trois questions que nous voulions quelque peu ironiques ou provocantes. Il s'agissait de mettre en jeu le rapport encore et toujours problématique (les réponses ci-dessous en attestent) entre les lettres romandes et le grand voisin français.

Voici les réponses qui nous sont parvenues. Elles sont intéressantes. Aucune ne réagit à la dimension ironique de nos questions, soit que leurs auteurs n'aient pas perçu cette ironie, soit qu'ils n'aient pas souhaité entrer dans notre jeu. Seul Fabio Pusterla s'est trouvé dérangé par la référence à des problématiques de province ou de minorité, ce dont il fait état avec franchise: il nous semble sigificatif que cette réaction vienne justement d'un lecteur assidu de littérature francophone, mais extérieur aussi bien à la Romandie qu'à la France. Plus généralement, la diversité d'approches dans ces quelques réponses nous a interessés.

Jérôme Garcin
journaliste littéraire, Le Nouvel Observateur, Paris

Ramuz mérite-t-il la Pléiade?

Oui, évidemment.

Quel(le-s) autre(s) auteur(e-s) romand(e-s) souhaiteriez-vous voir rejoindre la prestigieuse collection en question? Et quel(le-s) autre(s) auteur(e-s) non-français(e-s), ou venant de la France non-métropolitaine (Départements et territoires d'outre mer)?

Jacques Mercanton, Gustave Roud, Philippe Jaccottet.

L'entrée de Ramuz dans la Pléiade marque-t-elle un tournant dans la réception des lettres romandes en France et dans la francophonie? Le cas romand est-il appelé à évoluer, voire à disparaître en tant que cas, maintenant que son chef de file a été récupéré?

En entrant dans la Pléiade, Ramuz devient plus que jamais un classique de langue française. Il y a donc peu de chances que cela fasse évoluer l'idée que les Français se font de la littérature romande - qui reste pour eux, malheureusement, une parfaite inconnue...

Silvia Ricci Lempen
écrivain, vice-présidente des autrices et auteurs de Suisse, Grandvaux

Ramuz mérite-t-il la Pléiade?

En littérature (et dans l'art en général) personne ne «mérite» rien. La notion de «mérite» suppose l'existence d'une échelle d'évaluation consensuelle, voire «objective», sur laquelle on pourrait placer les artistes sans risque de se tromper. Or, je ne crois pas à l'existence d'une telle échelle. Bien sûr, il existe d'incontestables génies, mais justement les génies échappent à toute évaluation... et si un génie ne figure pas dans la Pléiade, à mon avis ce n'est pas très grave. Cela étant dit, je me réjouis que Ramuz entre à la Pléiade, de même que je me suis réjouie que Assia Djebar ait été élue à l'Académie française- petites lézardes dans le mur compact du chauvinisme littéraire français...

Quel(le-s) autre(s) auteur(e-s) romand(e-s) souhaiteriez-vous voir rejoindre la prestigieuse collection en question? Et quel(le-s) autre(s) auteur(e-s) non-français(e-s), ou venant de la France non-métropolitaine (Départements et territoires d'outre mer)?

Je suis incapable de répondre à cette question parce que je ne sais pas très bien ce que c'est que d'être «un grand écrivain», condition indispensable pour ce type de consécration. Pour prendre un exemple romand, est-ce qu'on pourrait imaginer Alice Rivaz en Pléiade? Je mentionne exprès le nom d'une écrivaine. Dans «La Marche du cavalier», Geneviève Brisac cite cette remarque de Christa Wolf: «J'affirme que chaque femme qui, dans notre aire culturelle, s'est aventurée dans les institutions marquées par les représentations masculines - la littérature et l'esthétique en font partie - a dû éprouver le désir de l'autoanéantissement». Mais il n'y a pas que les femmes (d'ailleurs, je suis enchantée d'avoir dans ma bibliothèque les volumes de la Pléiade consacrés à Nathalie Sarraute ou à Marguerite Yourcenar), il y a beaucoup d'autres catégories de gens qui écrivent de grandes choses et à qui l'institutionnalisation en papier bible ne sied pas... Comme un habit coupé pour d'autres qu'elles et eux. Il y aurait toute une réflexion à faire sur le «canon» littéraire, institution que je ne condamne pas, mais que je n'utilise personnellement pas comme grille de lecture de la vie littéraire.

L'entrée de Ramuz dans la Pléiade marque-t-elle un tournant dans la réception des lettres romandes en France et dans la francophonie? Le cas romand est-il appelé à évoluer, voire à disparaître en tant que cas, maintenant que son chef de file a été récupéré?

Première question: non, je ne crois pas. C'est toute une attitude de désintérêt pour la production romande qui devrait évoluer. Qu'un écrivain romand ait été «récupéré», comme vous dites, ne prouve pas que le regard sur les écrivain-e-s romand-e-s en général ait changé ou soit sur le point de changer. Deuxième question: à mon avis, dans le contexte contemporain, le «cas romand» en littérature est plus socioéconomique que littéraire. Si les Français ne s'intéressent pas aux livres écrits aujourd'hui par les Suisses romand-e-s, ce n'est pas tellement parce que ces livres incarneraient une quelconque spécificité régionale peu recevable dans l'Hexagone, c'est tout simplement parce que les tenants de la place forte littéraire veulent éviter d'avoir de la concurrence supplémentaire sur un terrain déjà bien assez encombré. La disparition du «cas romand» signifierait la réalisation d'une libre circulation effective des œuvres dans le sens Suisse-France, ce qui me paraît une hypothèse peu probable. Mais la France ne cessera évidemment pas de phagocyter de rares écrivains romands en se les appropriant, comme elle le fait depuis Rousseau.

Daniel Cardis
administrateur des Editions Plaisir de Lire

Ramuz mérite-t-il la Pléiade?

Bien sûr

Quel(le-s) autre(s) auteur(e-s) romand(e-s) souhaiteriez-vous voir rejoindre la prestigieuse collection en question? Et quel(le-s) autre(s) auteur(e-s) non-français(e-s), ou venant de la France non-métropolitaine (Départements et territoires d'outre mer)?

Combien d'années a-t-il fallu aux éditeurs de Suisse romande (comme actuellement Plaisir de Lire) pour qu'il ne disparaisse pas, mais en plus soit enfin reconnu? Voyons pour les auteurs qui sont peut-être tombés dans l'oubli mais dont la plume est encore reconnue!

L'entrée de Ramuz dans la Pléiade marque-t-elle un tournant dans la réception des lettres romandes en France et dans la francophonie? Le cas romand est-il appelé à évoluer, voire à disparaître en tant que cas, maintenant que son chef de file a été récupéré?

Je pense que nous n'avons pas les mêmes moyens de marketing et le même soutient de l'Etat de Vaud pour envisager une telle sortie de nos frontières!


Fabio Pusterla

poète, traduteur, Lugano

OSSERVAZIONI SULLE DOMANDE DI CULTURACTIF

Non credo di poter rispondere alle tre domande: ho letto naturalmente, ma non in modo integrale, l'opera di Ramuz; ne apprezzo la forza e la bellezza, e ne conosco il significato storico, anche in rapporto al dialogo tra la cultura francese e quella romanda. Non sono particolarmente stupito di vederlo pubblicato nella Pléiade, e la cosa mi sembra comunque motivo di allegria: non perché Ramuz fosse romando, bensì perché Ramuz è senz'altro uno scrittore molto significativo e importante.

Sono invece un po' stupito delle vostre domande, che sembrano mettere in evidenza soprattutto la valenza e le conseguenze regionali di questa bella notizia.

È un punto di vista che non riesco a condividere molto, o forse a capire. Forse sbaglio a dire quello che sto per dire, e che dico con grande cautela: mi sembra di ritrovare, dietro questi interrogativi, una specie di complesso di inferiorità, come se fosse quasi perturbante la notizia che uno scrittore romando venga considerato a tutti gli effetti francese, e come se un tale perturbamento facesse venire a galla vecchie ansie: davvero Ramuz è così importante? non ci saranno altri scrittori altrettanto importanti nel nostro paese? e comunque: adesso saremo più importanti anche noi!

Può darsi che io esageri; oppure che io non conosca fino in fondo cosa vuol dire scrivere vivendo in Romandia, e dovendosi confrontare con una cultura francese ancora molto parigina. In ogni modo, lette dall'esterno (cioè da un'altra regione culturale della Svizzera, tanto più piccola della Romandia, come il Ticino, che deve a sua volta sentirsi parte di un'altra cultura nazionale, quella italiana), queste domande sembrano davvero un tantino strane.

Michel Moret
directeur des Editions de l'Aire, Vevey

Ramuz mérite-t-il la Pléiade?

Oui

Quel(le-s) autre(s) auteur(e-s) romand(e-s) souhaiteriez-vous voir rejoindre la prestigieuse collection en question? Et quel(le-s) autre(s) auteur(e-s) non-français(e-s), ou venant de la France non-métropolitaine (Départements et territoires d'outre mer)?

a) Aimé Césaire
b) Les surréalistes belges (une sélection)
c) Pour la Suisse romande, on verra en 2050. Mais est-ce que la Pléiade existera encore?

L'entrée de Ramuz dans la Pléiade marque-t-elle un tournant dans la réception des lettres romandes en France et dans la francophonie? Le cas romand est-il appelé à évoluer, voire à disparaître en tant que cas, maintenant que son chef de file a été récupéré?

L'entrée de Ramuz dans la Pléiade ne va rien modifier. La France est profondément conservatrice. Dans quelques mois, tout le monde aura oublié cet événement. Hélas!


Claire Jaquier Kaempfer

professeur de littérature française à l'Université de Neuchâtel

Ramuz mérite-t-il la Pléiade?

Oui, sans aucun doute.

Quel(le-s) autre(s) auteur(e-s) romand(e-s) souhaiteriez-vous voir rejoindre la prestigieuse collection en question? Et quel(le-s) autre(s) auteur(e-s) non-français(e-s), ou venant de la France non-métropolitaine (Départements et territoires d'outre mer)?

Auteurs romands: Ch.-A. Cingria, Cendrars (le projet est en cours), A. Kristof, C. Colomb, G. Roud, Ph. Jaccottet
Auteurs francophones: Aimé Césaire, Kateb Yacine, Ahmadou Kourouma, L.-Sédar Senghor

L'entrée de Ramuz dans la Pléiade marque-t-elle un tournant dans la réception des lettres romandes en France et dans la francophonie? Le cas romand est-il appelé à évoluer, voire à disparaître en tant que cas, maintenant que son chef de file a été récupéré?

Non, pas un tournant, car la littérature romande n'en finit pas d'accomplir son processus de normalisation. Mais une étape décisive, qui devra être accompagnée d'un "suivi" grâce à la publication des romans de Ramuz dans des collections de poche à grands tirages. Le terme "récupéré" est inadéquat : Rousseau, G. de Staël, B. Constant, N. Bouvier sont-ils des écrivains "récupérés" par le pouvoir central de la France? Non, ce sont d'immenses auteurs que leur passage par l'édition française a permis de faire connaître et reconnaître dans leur dimension universelle.